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L’avenir noir du Sahel ou l’implacable loi de Daech et consorts
©Michele CATTANI / AFP

Ennemi durable

Daech est uneune franchise qui se développe à vitesse grand V et qui risque de s’accélérer, nourrie par la rancœur, la haine, la fuite en avant, notamment au Sahel.

Sébastien  Boussois

Sébastien Boussois

Sébastien Boussois est Docteur en sciences politiques, chercheur Moyen-Docteur en sciences politiques, chercheur Moyen-Orient relations euro-arabes/ terrorisme et radicalisation, enseignant en relations internationales, collaborateur scientifique du CECID (Université Libre de Bruxelles), de l'OMAN (UQAM Montréal) et consultant de SAVE BELGIUM (Society Against Violent Extremism). Il est l'auteur de Pays du Golfe les dessous d’une crise mondiale (Armand Colin, 2019), de Sauver la mer Morte, un enjeu pour la paix au Proche-Orient ? (Armand Colin) et Daech, la suite (éditions de l'Aube).

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Cessons de nous leurrer. Ni Daech ni le djihadisme ne sont morts. Bien au contraire. Tant que nous nierons l’évidence, nous irons dans le mur. L’opération française Barkhane, qui comprends 4500 soldats et qui ne cesse de s’enliser ne pourra plus résister longtemps, même pas au nom de la sécurisation de notre approvisionnement en uranium. L’Afrique de l’Ouest et le Sahel sont malheureusement dans une très mauvaise passe. L’accident tragique des deux hélicoptères ayant provoqué la mort de 13 soldats au Mali est la preuve évidente que nos chemins eux se croisent avec les djihadistes sans jamais parvenir à être définitivement coupés.

Car Daech est une marque de fabrique postmoderne, une franchise qui se développe à vitesse grand V et qui risque de s’accélérer, nourrie par la rancœur, la haine, la fuite en avant notamment au Sahel sur un terreau fertile à souhait : Etats fragiles, frontières poreuses, arsenal libyen dispersé sur le continent, conditions économiques et sociales sans espoir pour les jeunes de ces pays. Aucune armée conventionnelle ne semble encore adaptée à ces mouvements

Dès les années 1990, les mouvements repoussés au sud de l’Algérie après la fin de la guerre civile donnèrent l’embryon d’une partie des mouvements djihadistes sahéliens que l’on connaît encore aujourd’hui. Ils sont devenus plus  puissants que jamais. Le 11 janvier 2018, le Représentant spécial des Nations unies en Afrique de l’Ouest affirmait devant le Conseil de sécurité que la situation sécuritaire restait gravement préoccupante dans l’ensemble du Sahel : « M. Mohamed Ibn Chambas, a expliqué, ce matin, devant le Conseil de sécurité, qu’en dépit de progrès continus réalisés en matière de transition démocratique et politique, la situation sécuritaire dans la région demeurait une source de grave préoccupation. (ONU-CNS, 2018a) Cela fait en réalité des années que cela dure : « M. Chambas s’est notamment dit préoccupé par les incidents sécuritaires au Mali, du fait notamment des activités de groupes affiliés à Al-Qaïda et à l’État islamique du Grand Sahara, ainsi qu’au Niger. »

Mais s’il n’y avait que le Mali.Aujourd’hui, le point névralgique de la menace semble être au Nigéria. Boko Haram est l’un des mouvements djihadistes les plus violents et résistants que l’Afrique ait connu. Fondé en 2002, connu sous le nom de « Groupe sunnite pour la prédication et le djihad », il existe toujours et continue à commettre régulièrement des attentats. À l’origine secte prônant un islam salafiste et djihadiste radical, où la charia fut décrétée en 2001 dans l’État de Borno sur les traces historiques du califat de Sokoto, il s’est transformé en internationale terroriste pour finir par prêter allégeance à Daech en mars 2015. Il devient l’État islamique en Afrique de l’Ouest (Wilayat al-Soudan al-Gharbi) et tient plusieurs villes, notamment dans le nord-est du Nigeria, un des pays les plus dangereux du monde – mais également le pays africain le plus riche du continent avec ses hydrocarbures (sur la côte seulement). Il restait une prise de choix. L’organisation se finance par la corruption de l’administration locale, les enlèvements d’Occidentaux, les saisies directes auprès des populations, la contrebande des richesses locales comme en Syrie et en Irak.

Mais il n’y a pas que l’économique et le militaire chez les djihadistes. Il y a toujours un ressort idéologique puissant : ainsi par exemple, le Nigeria est important pour Daech car la ville de Sokoto a été fondée en 1809 par Ousmane Dan Fodio, qui y installera par la même occasion son califat. Ainsi, il y a fort à parier que IS ait cherché à ressusciter, sur une base historique avérée, le Califat de Sokoto, qui avait été annexé un siècle plus tard par les Anglais lors de la colonisation du pays. En août 2016, le groupe se divise, et c’est Abou Mosab al-Barnaoui qui est considéré comme le chef d’IS Afrique de l’Ouest par la maison-mère, alors que l’ancien chef Aboubacar Shekau reprend le nom de Groupe sunnite pour la prédication et le djihad. IS étend ses attaques alors au-delà du Nigeria, jusqu’au Mali, au Tchad et au Cameroun. L’idée bien rôdée était de provoquer une déstabilisation régionale à partir du Nigeria, dont il pouvait s’approprier une partie des richesses, et étendre sa toile. Mais pas seulement : depuis les années 2000, les tensions entre le Nord musulman et le Sud chrétien se sont aggravées et donnent une raison supplémentaire à IS de lutter contre l’ennemi culturel et mécréant que sont les chrétiens. Aujourd’hui, le pays est devenu une plaque tournante du prosélytisme djihadiste avec la formation de milliers de prédicateurs radicaux et violents envoyés partout en Afrique. Il y a de réelles raisons d’être inquiets sur le sort non seulement du Nigeria mais également des métastases daechistes qui sont en train de se répandre sur un continent déchiré par les rivalités religieuses, sociales, politiques et culturelles. En avril 2015, l’intervention des armées tchadienne et nigérienne au Nigeria a infligé de sévères pertes au mouvement. Obligés de se replier dans la forêt de Sambisa et au lac Tchad, les djihadistes ont repris le chemin de la guérilla suite à la perte d’une large partie de leurs territoires. Selon des sources plus que divergentes, on estime les effectifs de Boko Haram aujourd’hui entre 5000 hommes, évaluation basse, et 30 000, estimation la plus large. A titre de comparaison, l’évaluation haute de l’ensemble de Daech en Syrie et en Irak était de 80 000 ! Que se passera-t-il alors quand les Français se retireront face à une guerre impossible à gagner ?

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