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Morale de l’histoire (sociale) : les arnaques se multiplient, se diversifient, se complexifient, se banalisent depuis quelques années.
Morale de l’histoire (sociale) : les arnaques se multiplient, se diversifient, se complexifient, se banalisent depuis quelques années.
©DAMIEN MEYER / AFP

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Tout est désormais « arnaques », sur tous les sujets, dans tous les domaines. Il suffit d’ouvrir le journal chaque matin pour s’en convaincre.

Michel Fize

Michel Fize

Michel Fize est un sociologue, ancien chercheur au CNRS, écrivain, ancien conseiller régional d'Ile de France, ardent défenseur de la cause animale.

Il est l'auteur d'une quarantaine d'ouvrages dont La Démocratie familiale (Presses de la Renaissance, 1990), Le Livre noir de la jeunesse (Presses de la Renaissance, 2007), L'Individualisme démocratique (L'Oeuvre, 2010), Jeunesses à l'abandon (Mimésis, 2016), La Crise morale de la France et des Français (Mimésis, 2017). Son dernier livre : De l'abîme à l'espoir (Mimésis, 2021)

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Il est d’usage de penser – et d’écrire – qu’AVANT, décidément, « ce n’était pas l’bon temps », que c’est vraiment maintenant qu’« il fait bon vivre ». J’ai montré dans un ouvrage récent, La Balade des temps heureux (Ed. Amazon, 2022), que l’on pouvait au contraire répéter après Tourgueniev qu’AVANT, « pourtant, c’était le bon temps » (Mémoires d’un chasseur).

Aux nombreux exemples que j’ai donnés dans mon livre, j‘aimerais en ajouter un nouveau, présenté chaque jour, ou presque, dans les médias : l’arnaque. Bien sûr, AVANT, les arnaques existaient déjà, on les trouvait notamment dans le monde des affaires ou dans la classe politique. On les appelait alors de leur terme pénal général générique « escroqueries ».

Ce qui a changé entre hier et aujourd’hui, c’est la généralisation des escroqueries, et plus encore leur banalisation. Tout est désormais « arnaques », sur tous les sujets, dans tous les domaines. Il suffit d’ouvrir le journal chaque matin pour s’en convaincre. Je me suis livré au petit exercice de la traque des arnaques en consultant Le Parisien qui n’en rate généralement pas une. Sur la période courant du 25 février au 9 mars dernier, nous en trouvons exposée, une tous les jours ou tous les deux ou trois jours (et parfois plusieurs en une seule journée), donnant lieu à des titres plus ou moins ronflants. Edition du 9 mars : « Entre médecins et charlatans, les coachs « bien-être » épinglés ». Edition du 6 mars, sur une double page : « Arnaque à la carte vitale : tout le monde peut se faire piéger ». Edition du 4 mars : « Les victimes pensaient faire appel à un dépanneur. Des escrocs internationaux ont floué 138 personnes et empoché plus d’un million d’euros ». Edition du 2 mars (3 affaires) :  1) « Lime [célèbre opérateur de trottinettes en libre-service à Paris] accusé d’ « acheter des électeurs » [à quelques semaines de la votation sur le maintien ou pas de ce service, décidée par la maire de Paris] »  2) « Un escroc a contracté un crédit au nom de Mickaël pour acheter une voiture en 2018 »  3) « Experte en magie, elle dérobait les joyaux devant les bijouteries ». Edition du 1er mars : « En Ile de France, les voleurs internationaux pillaient les box de stockage ». Edition du 28 février : « Une enquête pour « escroquerie en bande organisée ouverte au sein de l’entreprise Go Sport ». En remontant quelques jours ou quelques semaines, l’on trouve d’autres arnaques. Edition du 23 février : « Abritel [site de locations saisonnières] condamné pour avoir publié de fausses annonces ». Edition du 21 février : « Un escroc de 27 ans vient d’être condamné pour la 18ème fois pour usage de cartes bancaires volées ». Edition du 20 février (2 affaires) : « A bord d’un faux Uber, ils repéraient les fêtards ivres » et « Une machine espionne pillait les données de 16 000 Franciliens ». Edition du 19 février : « Faux testaments pour vraies arnaques » (impliquant notamment des notaires). Edition du 18 février : « Réseaux sociaux : les faussaires de l’histoire ». Enfin, édition du 20 janvier (sur une double page) : « Alerte aux faux conseillers bancaires ».

Morale de l’histoire (sociale) : les arnaques se multiplient, se diversifient, se complexifient, se banalisent depuis quelques années.

Les arnaqueurs portent toutes sortes de noms : « brouteurs » en Afrique, quand le projet est de soutirer de l’argent aux victimes naïves, en échange, par exemple, de prétendues liaisons amoureuses ; coachs divers : de vie, de développement personnel ou de bien-être ; influenceurs (la fonction très « tendance ») : hommes et femmes, parfois très jeunes, qui sévissent en tous domaines.

Chacun de nous, bien sûr, a croisé au moins une fois dans sa vie, au moment de la présentation des vœux de fin d’année, les « faux éboueurs », les « faux plombiers ». Et, chaque jour, nous recevons des mails nous invitant à ouvrir des pièces jointes qui sont autant de pièges financiers. Il y a aussi, par la voie téléphonique, tous ces escrocs qui, après avoir mis leurs interlocuteurs en confiance, essaient d’obtenir d‘eux leurs identifiants de compte bancaire ou leur font valider des transactions toutes plus malhonnêtes les unes que les autres. L’une des arnaques les plus populaires en 2022 – puisqu’elle a concerné des millions de Français - a été, on s’en souvient, la fausse convocation par les forces de police ou de gendarmerie pour pédopornographie et la proposition, moyennant le paiement d’une somme d’argent, d’une renonciation aux poursuites pénales.

Ainsi l’arnaque est-elle devenue, au fil des ans, une véritable habitude sociale, créant une ambiance que j’appelle l’« arnaquitude », où chacun désormais se méfie – doit même, par prudence, se méfier - des autres. Naturellement, la plupart des arnaques sont pénalement condamnables. Il en est d’autres cependant qui peuvent être légales, mais qui sont moralement répréhensibles, je pense ici à certaines pratiques commerciales, comme celle qui consiste à réduire le contenu d’un article alimentaire… mais à le vendre plus cher.

Les faits d’arnaque étant solidement établis, il nous reste à présent à en déterminer les causes. La cause principale – et souvent unique (même si la prise ou le goût du risque peuvent être de puissants leviers) – est l’argent, selon l’adage : beaucoup d’argent, le plus rapidement possible, sans considération des moyens utilisés. La crédulité du « berné » est ici souvent un atout précieux pour l’arnaqueur.

Déjà connu pour être le moteur de la guerre, l’argent est devenu le moteur de la vie. « Naître sans fortune, disait Alfred de Vigny, est le plus grand des maux. On ne s’en tire jamais dans cette société basée sur l’or ».

Largent, une « sale affaire » en vérité. Jean Barois, héros du roman du même nom de Roger Martin du Gard, prédisait : « Je vois lextension monstrueuse des puissances de largent, toutes les revendications les plus légitimes écrasées et maintenues sous sa tyrannie ». Et, bien sûr, l’on connaît cette phrase de Péguy : « Dans le monde moderne, nul pouvoir nexiste, nest, ne compte auprès du pouvoir de largent… Pour la première fois, largent est maître sans limitation ni mesure ; pour la première fois, largent est seul en face de lesprit, seul en face de Dieu » (Notre jeunesse). D’où cette conclusion de Jean Guéhenno qui s’applique fort bien au monde actuel : « Dans nos sociétés fondées sur le seul argent ces âmes basses donnent le ton, déterminent les usages et les mœurs. Cest autour delles que sorganise le tourbillon denvies, de désirs et dambitions en quoi consiste la vie sociale ». Alors, avec Emmanuel Macron, l’on va proclamer : « Qui a de l’argent a réussi, qui n’en a pas, a échoué ». Réussite et argent se retrouvent, du coup, intimement liés. Et chacun va être jugé sur ses biens disponibles, sur son train de vie : avoir un jet privé ou ne pas en avoir !

Bref, lhomme contemporain veut gagner de largent - beaucoup et rapidement, répétons-le, pour vivre heureux (tout de suite). S’ouvre alors le champ très vaste de toutes les arnaques, évoquées plus haut. Il y en a, à vrai dire, pour tous les niveaux de compétences et d’intelligence, depuis la petite arnaque de l’arnaqueur isolé jusqu’à la grande arnaque commise en bande organisée.

Si l’argent est le moteur préféré de l’arnaque, ce que j’appelle « l’individualisme sans morale » en est à la fois le facilitateur et l’accélérateur. Individualistes forcenés, exposés en permanence à une surabondance de biens, ne croyant plus qu’en eux-mêmes pour se tirer d’embarras (et se méfiant de plus en plus des organismes d’assistance sociale, donnant, il est vrai, souvent trop peu ou trop mal aux bénéficiaires), les « gens » sont aspirés, pour beaucoup, par les pratiques frauduleuses et vont s’y adonner sans scrupules. Comme je l’ai montré dans un autre livre La Crise morale de la France et des Français (Mimésis, 2017), l’absence de règles morales contraignantes, la défaillance des surmoi, facilitent toutes les crapuleries.

Dans un monde sans foi ni lois (morales) où règnent en maîtres toutes les valeurs négatives : méchanceté, duplicité, mensonge, malveillance, comment l’arnaque n’avancerait-elle pas en pays conquis ?

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