L’ambiguïté, au coeur de la stratégie de dissuasion de l’Iran <!-- --> | Atlantico.fr
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Ebrahim Raïssi, le président iranien, assiste à un défilé militaire aux côtés de hauts responsables et de commandants lors d'une cérémonie à Téhéran? le 18 avril 2023.
Ebrahim Raïssi, le président iranien, assiste à un défilé militaire aux côtés de hauts responsables et de commandants lors d'une cérémonie à Téhéran? le 18 avril 2023.
©ATTA KENARE / AFP

Objectifs de Téhéran

En dépit de ses efforts de normalisation diplomatique, l'Iran n'a nullement l'intention de revoir ses ambitions militaires à la baisse.

Ardavan Amir-Aslani

Ardavan Amir-Aslani

Ardavan Amir-Aslani est avocat et essayiste, spécialiste du Moyen-Orient. Il tient par ailleurs un blog www.amir-aslani.com, et alimente régulièrement son compte Twitter: @a_amir_aslani.

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Le début de l'année 2023 a donné à l'Iran de réelles satisfactions sur le front diplomatique : un partenariat militaire accru avec la Russie, une reprise des relations bilatérales avec l'Arabie Saoudite, une alliance eurasienne renforcée sous l'égide de la Chine, autant de succès qui lui ouvrent de nombreuses perspectives économiques et politiques. Ces réussites permettent sans aucun doute à la République islamique de conserver son pouvoir, alors que sa stabilité demeure sous la menace constante d'une révolte de grande ampleur – dont le mouvement « Femme, Vie, Liberté » a donné un aperçu l’automne dernier. Au sein du régime, cette temporisation semble encourager le renforcement des ambitions militaires de l'Iran. Les récentes déclarations du Guide Suprême engageant l’état-major iranien à se tenir « prêt », sur fond de tensions croissantes avec l'Etat hébreu en Syrie et dans le sud du Liban, dessinent certaines perspectives, quoiqu'ambiguës, sur les objectifs de l'Iran à court et moyen terme.

La première crainte, qui émane surtout de l'armée israélienne et d'anciens cadres de Tsahal, est de voir l'Iran concrétiser sa « stratégie d'unification des fronts » conçue par le général Qassem Soleimani, qui doit mobiliser l'ensemble du réseau de proxies iraniens à travers le Moyen-Orient directement contre Israël, dans une forme de « guerre-éclair ». Plusieurs indicateurs laisseraient en effet penser que Téhéran finaliserait sa propre « guerre des Six jours ».

Le 13 avril dernier, plusieurs frappes ont eu lieu à la frontière entre le Liban et Israël, et il est difficile de ne pas voir l'ombre de l'Iran derrière le Hezbollah et le Hamas palestinien, surtout dans le contexte de tensions extrêmes entre l’État hébreu et l’Autorité palestinienne. Trois jours plus tard, le Guide suprême invitait l'armée iranienne à poursuivre son développement technologique et à se concentrer sur les objectifs à long terme de « l'ennemi », à savoir Israël et les Etats-Unis. Selon les médias américains, Esmail Qa'ani, chef de la force Al-Qods et de ce fait, successeur de Soleimani, se serait entretenu avec plusieurs proxies régionaux de l'Iran, notamment des groupes intervenant en Irak et en Syrie, ainsi qu'avec les représentants du Hamas, du Hezbollah et du Jihad islamique palestinien à l'ambassade d'Iran à Beyrouth, dans le but supposé d'organiser des attaques contre Israël. Le fait que l'Iran ait dévoilé plusieurs nouveaux équipements de production nationale, qui s’ajoutent aux achats contractés auprès de la Russie, laisse en effet penser qu'une intense préparation militaire est actuellement en cours, et que les proxies iraniens seront mieux équipés à seule fin de mener des frappes efficaces contre l'Etat hébreu. Le scénario d'une guerre régionale en plusieurs phases – guerre aérienne qui épuisera le Dôme de fer israélien, cyberattaques, puis attaques au sol – inquiète donc fortement certains haut-gradés israéliens, d'autant plus que Tsahal manquerait de préparation et d'équipements modernes pour y résister.

Mais alors que l'Iran est en voie d'apaisement avec les voisins arabes, et que de surcroit, l'accord irano-saoudien stipule le respect de la souveraineté des Etats de la région - ce qui doit théoriquement inclure Israël – la possibilité de cette « guerre des Six Jours » interroge. Certaines analyses croient y voir l'influence des plus radicaux des conservateurs, qui refuseraient la normalisation avec le royaume wahhabite ou n'y auraient pas intérêt, et pousseraient à l'escalade militaire régionale dans le but de le saborder, ce qui démontrerait un réel clivage sur le sujet au sein du régime.

L'hypothèse d'une attaque iranienne imminente contre l'Etat hébreu reste néanmoins sujette à caution. Plus vraisemblablement, l'Iran cherche avant tout à confirmer son influence et sa domination régionales, tout en renforçant ses capacités militaires à des fins dissuasives. Le fait que « l'unification des fronts » suive de près la normalisation avec l'Arabie Saoudite, invite à penser que l'Iran se sent désormais légitime pour s'imposer comme le leader incontesté du monde musulman au Moyen-Orient, en tant que protecteur non seulement des populations chiites, mais des Palestiniens face à Israël. Le climat de haine anti-arabe et de division politique qui occupe l'Etat hébreu depuis la formation du dernier gouvernement Netanyahu accélère en effet, selon certains généraux israéliens », « la course à l'abîme » dont l'Iran pourrait naturellement profiter.

Il semble en tout cas clair qu'en dépit de ses efforts de normalisation diplomatique, l'Iran n'a nullement l'intention de revoir ses ambitions militaires à la baisse. Malgré les sanctions économiques américaines, le budget alloué aux dépenses militaires a augmenté en 2021 pour la première fois en quatre ans, encourageant l'innovation de l'industrie de défense iranienne qui ne cesse de produire du matériel de plus en plus sophistiqué. Le renforcement des capacités militaires de l’Iran vise en premier lieu à éloigner toute menace pour sa sécurité nationale, par ailleurs à développer la production d'armes de pointe afin de devenir un acteur majeur de l'industrie militaire, comme sa coopération avec la Russie le démontre.

D'un point de vue strictement géopolitique enfin, l'activisme militaire de l'Iran vise certainement à envoyer un signal, non seulement à Israël, mais aussi aux pays arabes voisins. Alors que l'accord irano-saoudien laisse présager une coopération bilatérale renforcée, il faut de nouveau rappeler qu'il n'a aucunement traité l'expansion de l'influence régionale de l'Iran, ou ses ambitions nucléaires. Dans la lignée des frappes sur les infrastructures saoudiennes en septembre 2019, le déploiement de puissance de Téhéran vise avant tout à rappeler sa position dominante sur l’échiquier du Moyen-Orient à ses voisins, afin d’orienter le rapport de forces diplomatique en sa faveur.

Le message adressé à Israël est tout aussi clair. Isolé au Moyen-Orient, encerclé par les alliés de l’Iran, l'Etat hébreu sait pertinemment qu'en cas de conflit, nulle grande puissance ne prendra spontanément son parti. La Chine et la Russie, tout comme les Etats-Unis et l'Union européenne, se borneront simplement à appeler à la désescalade, tandis que le monde arabe prendra naturellement fait et cause pour le régime iranien. Mais Téhéran passera-t-il ou non à l’acte ? C’est précisément cette incertitude qui marque la politique étrangère iranienne, où l'usage maîtrisé de l'ambiguïté complète habilement les démonstrations de force, tous deux indispensables à toute bonne politique de dissuasion.

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