L’Allemagne est-elle redevenue l’homme malade de l’Europe ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Angela Merkel et Olaf Scholz tiennent des responsabilités importantes dans la situation.
Angela Merkel et Olaf Scholz tiennent des responsabilités importantes dans la situation.
©FABRIZIO BENSCH / PISCINE / AFP

Malaise économique

L'économie allemande est à la peine et pourrait le rester.

Don Diego De La Vega

Don Diego De La Vega

Don Diego De La Vega est universitaire, spécialiste de l'Union européenne et des questions économiques. Il écrit sous pseudonyme car il ne peut engager l’institution pour laquelle il travaille.

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Selon le FMI, l'Allemagne connaîtra une croissance plus lente que l'Amérique, la Grande-Bretagne, la France et l'Espagne au cours des cinq prochaines années. Est-ce que l'Allemagne est de nouveau l'homme malade de l'Europe, comme The Economist l’écrit ?

Don Diego de la Véga : C’est effectivement le cas. Cependant, il aurait été judicieux de le souligner il y a plusieurs années. À présent, cela tend à devenir un consensus. Cette évolution se reflète dans les articles de presse, ce qui signifie que nous sommes déjà bien avancés dans le processus et qu'il est en partie trop tard ; il y a plusieurs années déjà, nous avons observé que l'Allemagne était en train de redevenir le "malade de l'Europe". Cela découle en partie de la période de quinze ans sous la direction de Merkel, durant laquelle ils ont largement rassuré la population en présentant un modèle supposé solide et en laissant entendre que tout était sous contrôle avec "Mamie Merkel" à la barre. Malheureusement, ils n'ont pas préparé l'avenir en investissant dans des domaines productifs solides. Les investissements actuels se concentrent principalement dans l'industrie automobile thermique, un secteur qui est appelé à disparaître dans les dix prochaines années. Cela équivaut à une exposition inquiétante à un secteur condamné et à une industrie très dépendante des commandes chinoises. L'Allemagne est le pays le plus exposé à la Chine. L'année dernière, les échanges entre les deux pays se sont élevés à 314 milliards de dollars. Cependant, les Chinois sont en train de prendre des mesures pour réduire leur propre dépendance.

A cela s’ajoute des contraintes environnementales plus strictes, ce qui nuit à la présence locale d'entreprises telles que BASF, ainsi que d'autres acteurs. Il y a un vrai sujet de stratégie économique. A cela s’ajoute les problèmes énergétiques qui ont été mis en lumière depuis février 2022 qui forcent l'Allemagne à recourir au charbon pour réduire leur dépendance au gaz russe.

Mais même sans parler de l’industrie, il y a des enjeux industriels considérables. Il ne faudrait que quelques personnes talentueuses et visionnaires à l'image d'Elon Musk pour ébranler sérieusement l'Allemagne. Le modèle de la "Giga Factory Berlin" mise en place par Musk est en train de rendre obsolète à vitesse grand V le pilier de l'avantage compétitif allemand et le cœur de son industrie manufacturière, à savoir l'automobile thermique. Si seulement deux ou trois autres entrepreneurs du calibre de Elon Musk apparaissaient, l'Allemagne serait dans une situation critique.

En effet, si l'industrie automobile thermique fléchit, cela aurait des répercussions en cascade sur d'autres secteurs tels que la chimie, l'électronique et la mécanique. De ce fait, l'Allemagne deviendrait essentiellement un pays qui ne sait pas se débrouiller dans les services, qui est particulièrement nul dans le secteur bancaire et des assurances. Cela créerait un fardeau considérable et affaiblirait sa position, ce qui serait particulièrement problématique étant donné le vieillissement de la population. Les banques sont complètement zombifiées, avec un très mauvais rapport rendements risques. L'Allemagne manquerait de dynamisme et de motivation.

Pour envisager un avenir positif pour l'Allemagne, il faudrait croire en un redressement durable du cycle manufacturier. Cela devrait impliquer que des pays comme l'Inde ou l'Afrique deviennent de nouvelles puissances économiques à l'image de la Chine. Cependant, cela dépendra en grande partie de la situation énergétique et d'une transition réussie vers de nouvelles formes d'énergie, car l'hydrogène ne semble pas être la solution. En réalité, pour garder foi en un avenir économique prospère pour l'Allemagne, il faudra une certaine dose de confiance aveugle. D'autre part, il serait nécessaire que d'autres pays européens rencontrent des difficultés pour que l’Allemagne s’en sorte.

Comme le disait Charles de Gaulle, "Il ne suffit pas de réussir, il faut que les autres échouent". Cela semble être la position actuelle de l'Allemagne, où elle peut encore sembler bien par rapport à d'autres pays qui rencontrent des problèmes plus graves. Si ces tendances persistent, alors le modèle allemand pourra encore perdurer.

Et comment l'Allemagne s'est retrouvée dans cette situation d'être l'homme malade de l'Europe, structurellement finalement ?

Don Diego de la Véga : Les aspects structurels et monétaires sont toujours une constante. Ce qui relève de la démographie et échappe en grande partie à la volonté consciente des gouvernements. De même, les facteurs tels que la bureaucratisation des sociétés et d'autres phénomènes influent sur tout cela. L'obtention d'une licence pour exploiter une entreprise prend 120 jours en Allemagne, soit deux fois plus de temps que la moyenne de l'OCDE.

Les éléments structurels échappent par définition à un contrôle absolu, et il est rare que ces aspects soient intentionnellement dirigés de manière centralisée. Par exemple, le nombre d'enfants par femme n'est pas une décision délibérée. En ce qui concerne l'ordre monétaire, l'idée persistait que maintenir une rigueur monétaire à Francfort préserverait leur position dominante et en ferait une référence monétaire, en particulier pour l'or. Cela était possible en partie en raison de leur position haut de gamme. Et les Chinois, ayant peu d'options, acceptaient d’importer des machines-outils, ce qui leur a permis de maintenir une croissance même si elle n'était pas excellente.  S’ils continuent de se faire disrupter et qu’ils maintiennent un euro cher, ils vont s’effondrer.

Angela Merkel a en quelque sorte anesthésié l'esprit de réforme. L'idée sous-jacente en Allemagne, même si ce ne sera jamais dit comme ça, était que les réformes avaient été faites avec Schröder, ce qui justifiait de demeurer dans un modèle de gestion. Les réformes structurelles sont restées en suspens, Merkel les évoquant sans jamais vraiment les faire. Macron a adopté une approche similaire, prétendant parler de réformes tout en les évitant.

L’Allemagne aurait dû utiliser ses bonnes réformes et les bonnes années offertees pour les faire fructifier et anticiper l’avenir.

De plus, il aurait fallu anticiper le virage vers l'électrification et investir dans un avenir "à la Tesla". Ils ont négligé cette transition jusqu'à ce qu'il soit presque trop tard, comme en témoigne le cas de Volkswagen. Ils ont fait un choix difficile entre le maintien à court terme de l'emploi et une stratégie plus ambitieuse. Ils ont choisi de préserver les emplois à court terme. Cependant, ils sont coincés entre un modèle traditionnel bien ancré et la nécessité d'aller de l'avant dans une nouvelle direction, ce qui les met dans une position difficile sur le plan psychologique et financier.

La Chine, elle, a pu bâtir sa stratégie à partir de zéro. Les constructeurs allemands, en revanche, sont engagés de manière profonde et compliquée et le changement de direction est complexe. Sans un soutien financier substantiel de l'État ou une vision ambitieuse comme Musk, ils ne peuvent rien faire et sont tentés de se réfugier dans le court terme.

En fin de compte, l'Allemagne se retrouve coincée dans une situation complexe. Et ce qui est vrai pour l’automobile l’est pour les autres secteurs, y compris l'énergie.

Si l'Allemagne est l'homme malade de l'Europe, que peut faire l'Europe ?

Don Diego de la Véga : Ce que je répète depuis un moment, c'est que quand il devient nécessaire de trouver des solutions complexes, une question fondamentale se pose. Je ne dis pas que cela puisse être résolu en un jour, mais il est essentiel de déterminer comment agir. Imaginez un individu malade. Vous avez deux options : soit vous le poussez vers une voie sans retour, soit, si vous choisissez de ne pas agir par manque d'intérêt ou de motivation, vous cherchez à le soigner. Cependant, si cette personne ne souhaite pas guérir, une politique de containment devient nécessaire. De la même manière, si l'Allemagne, comme je le pense, est un pays mal en point et contagieux, car leurs erreurs sont également contagieuses, une stratégie pour se désolidariser du pays doit être élaborée.

Cela implique peut-être de passer d'une alliance déséquilibrée avec l'Allemagne à une alliance avec les Anglais. Concrètement, cela signifie privilégier la création d'une Europe de la défense avec les Anglais plutôt que de continuer à prioriser l'Europe monétaire avec les Allemands. Cette approche aurait dû être mise en œuvre il y a 30 ans. Cependant, la réticence à s'allier avec les Américains (à travers le Royaume-Uni) et la volonté de toujours collaborer plus étroitement avec l'Allemagne nous ont laissés dériver. Dans le couple franco-allemand, nous n'avons pas le contrôle, et les Allemands eux-mêmes sont sous l'influence des Américains sur des enjeux majeurs tels que l'énergie ou le militaire. Si nous devons finalement faire des concessions avec les Américains, il serait plus judicieux de le faire à travers les Anglais plutôt qu'avec les Allemands.

Les Anglais, étant dans une situation délicate, offrent la possibilité d'établir un partenariat plus équilibré. Contrairement aux Allemands, ils ne sont pas enclins à nuire aux intérêts français. Pour mettre en œuvre cette stratégie, il serait nécessaire d'isoler le lobby pro-allemand à Paris, caractérisé par une sympathie excessive envers l'Allemagne. Une sorte de complexe d'infériorité, notamment dans le domaine monétaire vis-à-vis des Allemands, existe, et il serait essentiel de mener des efforts de sensibilisation à ce sujet. De plus, il faudrait exposer la stratégie allemande des dernières années, qui consiste en grande partie à affaiblir la France, en mettant en avant les faits concrets.

Après cela, il serait crucial de revoir nos alliances, en favorisant des partenariats avec les Italiens et les Anglais. Plutôt que de suivre passivement l'Allemagne et de croire que cela nous positionne en bons élèves, nous devons reconnaître que l'Allemagne elle-même ne se comporte pas en élève modèle. Peut-être qu'après une crise sérieuse, il sera plus facile de faire passer ce message.

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