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Journal de Cannes : 
"Amour" d'Haneke, 
trop beau pour n'être que triste ?
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Croisette

" Amour", Le dernier film du réalisateur autrichien Michael Haneke, a été projeté au festival de Cannes ce dimanche. Une oeuvre qui montre qu'au milieu du déclin, de l'amoindrissement physique et de l'épreuve mentale de ce "naufrage" qu'est la vieillesse, l'être humain peut encore être "grandi".

Clément  Bosqué et Victoria Rivemale

Clément Bosqué et Victoria Rivemale

Clément Bosqué réfléchit aujourd'hui sur les problématiques de l'action publique, dans le domaine des relations internationales et de la santé. Diplômé de littérature et agrégé d'anglais, il écrit sur le blog letrebuchet.c.la sur l'art, la société et l'homme.

Victoria Rivemale est diplômée en Lettres.

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L'averse est annoncée pour l'après-midi mais, ici à Cannes pour le moment, à huit heures du matin, il ne pleut pas et le ciel est même encore clair. Un premier lâcher de spectateurs sélectionnés gravit ventre à terre les célèbres marches du Palais à la façon désordonnée de volatiles maladroits, ébouriffés par la brise tiède, serrant leurs mallettes et leurs manteaux. Dans le grand théâtre Lumière, les lumières s'éteignent et le film de Michael Haneke, Amour, commence.

Le couple de protagonistes de Haneke (Georges et Anne) s'est promis d'éviter la maison de retraite médicalisée pour elle. Avec dignité et courage, en adoptant d'autres habitudes et rituels, ils "gèrent" la sénescence progressive qui la condamne à perdre progressivement l'usage du corps et de la parole. Et restent fusionnels jusqu'au bout. C'est le bouleversant amour.

Le film pose une série de questions, dont celles-ci :

- Une telle solitude à deux est-elle, face à la vieillesse, une force ou une faiblesse ?
- Maintenant la médecine fait vivre vieux, que faire de toutes ces années ? Quel sens à la maladie, à la perte de soi-même et des autres ?

On ne dit plus "vieux" ; autrefois, on s'accommodait bien que ce mot résume toute l'identité de quelqu'un, parce qu'en contrepartie il rejoignait dans une communauté d'êtres tous les autres "vieux". Aujourd'hui, pour faire correct, on dit "personne âgée" et, lorsque c'est le cas, "personne âgée fragilisée", "en situation de dépendance" ou "ayant des besoins d'aide à l'autonomie". En santé publique on parle même, par raccourci, de "prévention du grand âge." La médecine a créé une situation, celle d’une vieillesse interminable, maintenant elle doit se « prévenir » d’elle-même. 

Tout ce que cherchent à ne pas dire ces euphémismes froids, Haneke le montre dans la chair, avec à peine plus de chaleur. Il rappelle opportunément qu'"âgée" ou "dépendante", l'intérêt réside dans le combat ou l'abandon consenti par une "personne".

Film ultra-réaliste plombant recouvert d'un verni esthétique comme Haneke sait les faire ? Œuvre superbement touchante sur un sujet sensible ? Vous aimerez ce film si vous n'êtes pas gêné par le fait qu'aujourd’hui le cinéma ne soit plus seulement un divertissement populaire, une machine à fabriquer de l’émotion, mais aussi, parfois, un instant de méditation, un long poème réflexif. Si vous pensez qu'un film a le droit d’utiliser la tristesse qui dort en chacun de nous, et ici Haneke le fait superbement, avec une profondeur simple.

Vous l’aimerez si vous pensez que chez Haneke, ce qui est intéressant est qu'il montre des choses que la vitesse quotidienne enterre et qu'il les dévoile progressivement, grâce à sa maîtrise et sa justesse esthétiques. Que pour faire triste il faut montrer...des choses tristes. Que le sujet d'un couple faisant seul face à la maladie et la mort est un sujet idéal pour cela. Avec, en prime, une Isabelle Huppert aussi à l'aise chez Haneke qu'un glaçon sur la banquise.

Il est certain qu'on aurait été moins mal à l'aise avec une bonne comédie dramatique à la française sur un petit couple de vieux pour qui c'est dur, mais qui sont quand même rigolos. Oui, mais tous les films ne sont pas Intouchables.

Haneke montre que, au milieu du déclin, de l'amoindrissement physique et de l'épreuve mentale de ce "naufrage" (De Gaulle) qu'est la vieillesse, l'être humain peut encore être "grandi". Le mystère est celui de trouver la force d'affronter ce long, douloureux et inéluctable adieu à la vie et à celui et celle qu'on aime. Mystère de l'amour. Jusqu'au-delà de la fin.

Plus tard, à Cannes, Jean-Louis Trintignant arrive, marchant lentement, gris et courbé ; on l'aide à descendre quelques marches menant à la conférence de presse. L'actrice Emmanuelle Riva, les joues roses, sourit doucement aux journalistes et photographes qui l'interpellent. Elle s'excuse en agitant les deux mains de ne pas avoir beaucoup de temps.

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