Jean-Pierre Denis : « Les valeurs chrétiennes n’ont pas grand chose à voir avec celles que revendiquent les tenants du christianisme patrimonial »<!-- --> | Atlantico.fr
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Des fidèles prient dans l'église Saint-Sulpice, en novembre 2020.
Des fidèles prient dans l'église Saint-Sulpice, en novembre 2020.
©ALAIN JOCARD / AFP

Quel est le sens de la pandémie ?

Dans "Les catholiques, c'est pas automatique !" (éditions du Cerf), Jean-Pierre Denis veut réaffirmer le message de la Bible en ces temps de pandémie et de perte du sens du sacré.

Jean-Pierre Denis

Jean-Pierre Denis

Après avoir dirigé la rédaction de La Vie, Jean-Pierre Denis a rejoint Bayard Presse pour créer de nouveaux médias. Intervenant régulièrement dans la presse, sur les ondes, les écrans et les réseaux sociaux, il est l'auteur de livres remarqués dont, récemment au Cerf, Un catholique s'est échappé.

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Atlantico : Vous publiez « Les catholiques, c'est pas automatique ! » aux éditions du Cerf. Comment expliquer que l’Eglise ait accepté de renoncer à un certain sens du Sacré ? Est-ce que l’Eglise ou le Pape François portent ce message négatif ou une part de responsabilité ? Comment expliquer ce recul également au sein de notre société, cette désacralisation ?   

Jean-Pierre Denis : Franchement, je trouve que le procès fait à l’Eglise et au pape relève souvent du souverain poncif, pour ne pas dire de la mauvaise foi. Que le pape ait pris des positions qui déplaisent à telle ou telle sensibilité, admettons. Que son invitation à la fraternité puisse sembler naïve, je veux bien le comprendre. Il m'arrive même de le penser. Que l’Eglise dont je fais partie puisse parfois se montrer plus à l’aise pour pérorer sur des sujets de société que pour annoncer le salut en Jésus-Christ, je serais même le premier à le déplorer. Mais ces procès en politisation et en désacralisation sont trop souvent cousus de fil blanc. On sent très vite pointer la contradiction, des intentions politiques, des obsessions idéologiques qui n’ont pas grand-chose à voir avec cette religiosité qu’il s’agirait de défendre avec des sanglots de veuve éplorée dans la voix. On a reproché aux cathos de gauche d’avoir dissous la foi dans le socialisme. Soit. Mais nous voici confrontés à un néo-maurrassisme décadent, pour lequel l’Evangile ne semble avoir que peu d’importance. Je ne vois pas trop le progrès !  Rappelons à toutes fins utiles que dans le catholicisme, l’enjeu n’est pas le sacré, C’est le sacrement, c’est-à-dire le signe de Dieu donné aux hommes. Et c’est la sainteté, c’est-à-dire le témoignage de conversion personnelle. On peut ne pas aimer, ou ne pas y croire. Mais tel est le programme.

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Quel est l’impact et comment considérer la démarche de certaines personnalités hors de l’Eglise comme Philippe de Villiers ou Patrick Buisson qui plaident pour une défense des valeurs chrétiennes et du rôle du religieux et de l’Eglise dans la société française ? Ce sursaut a-t-il des chances d’aboutir ? 

En un temps où l’on déboulonne les statues, dire que nous sommes les héritiers d’une civilisation judéo-chrétienne apparaît comme une forme de transgression. Nous vivons une époque tellement gangrénée par les faits alternatifs, de droite ou de gauche, que le simple rappel des évidences fait événement. On se donne le grand frisson pour pas cher. Il suffirait pourtant de profiter de l’ouverture des musées et de pousser leur porte, puisque l’on a martelé que la culture était un bien essentiel dont nous serions privés (spoiler : leurs salles restent vides). Allez donc au musée des Beaux-Arts de Dijon, à celui de Nantes, aux Augustins de Toulouse, au Louvre évidemment. Vous ne tarderez pas à trouver la réponse, qui n’est pas vraiment cachée : notre civilisation est chrétienne. Pas que, mais beaucoup. Sinon, regardez le nom des hôpitaux. Cochin ? Un curé. Les hôtels-Dieu ? Comme leur nom l’indique. Voilà le socle : la culture et la charité. Faites-le sauter, nous disparaissons, au profit d’autre chose. Ce sera peut-être mieux… Mais cela reste à prouver, au moins à moyen terme, car les transitions d’une civilisation à l’autre sont rarement des moments agréables pour les générations concernées.  

Seulement voilà, il faut ajouter deux petits détails à l’usage de ceux qui prônent un christianisme patrimonial. D’abord, que l’imprégnation chrétienne que je viens d’évoquer n’a pas grand chose à voir avec « la défense des valeurs ». Du moins d’un point de vue chrétien. Car celles-ci sont cotées très bas à la bourse de l’Evangile, où excellent ce que j’appelle les valeurs faibles : la charité déjà évoquée, l’humilité, la pauvreté… Du point de vue croyant qui est le mien, c’est plutôt là-dedans que je conseillerais d’investir. Les gains de court terme, c’est bon pour le capitalisme. Dans le christianisme, on spécule plutôt sur la fin des temps.  

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Deuxième petit détail : le sursaut que vous évoquez a été tenté aux Etats-Unis sous la forme du pari trumpiste des évangéliques et d’une partie de l’Eglise catholique. Le résultat est déjà là : une sécularisation accélérée des jeunes générations, beaucoup plus de défiance vis-à-vis du christianisme. 

Troisième minuscule détail : l’avenir du christianisme n’est pas affaire de stratégie, il repose sur la fidélité des fidèles eux-mêmes, sur leur capacité à attester de la foi, à titre personnel, à évangéliser autour d’eux. Ce n’est pas en disant « j’ai des droits », comme toutes les pleureuses, mais en osant dire « je crois », contre beaucoup de peureux, que le christianisme reprendra de la vigueur. 

Quelles sont les perspectives sur la question du dialogue interreligieux au sein de notre société ? Le dialogue interreligieux peut-il permettre d’apaiser les tensions en France ?  

Cela dépend de quoi on parle. Car derrière ce concept se cachent des intentions et des réalités bien différentes : du cœur à cœur le plus mystique jusqu’au jeux d’appareil les plus stériles, et de la joute théologique à l’engagement de terrain. Si c’est pour créer un syndicat des religions pour faire front commun contre la sécularisation, j’en verrais plus le danger que l’intérêt. Mais en 1986, quand le pape Jean-Paul II avait réuni les responsables de toutes les religions à Assise, c’était une vision prophétique. Tout Polonais et catholique qu’il était, il avait senti qu’un nouveau monde commençait, avec beaucoup plus d’occasions de nos rencontrer et donc plus de risques de nous affronter. Lui qui avait vécu derrière le rideau de fer, il avait senti aussi que le choc des blocs et des civilisations n’était pas un vain mot. Et lui qui avait résisté au totalitarisme athée se disait peut-être que la lutte contre le matérialisme pouvait rapprocher les croyants. Mais surtout, il pensait à la paix.  

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Aujourd’hui, bien sûr, on peut dire que l’islamisme a balayé tous ces espoirs. On peut penser que le dialogue interreligieux reste un monologue catholique, auxquels certains répondent par des amabilités de circonstance, d’autres par un double langage. Pour suivre ces affaires depuis 25 ans, et pour y participer régulièrement, j’ai pu parfois avoir l’impression que les bons apôtres de la rencontre prenaient leurs désirs pour des réalités. Seulement, voilà. Comme dirait Margareth Thatcher, there is no alternative. Il faut une infinie patience, beaucoup d’humilité… de la foi en somme, et de l’espérance. Il y a eu des dialogues très riches et très féconds, entre les Églises - ça s’appelle l’œcuménisme - ou entre juifs et chrétiens. Avec l’islam, c’est une autre paire de manches. Mais le voyage du pape François en Irak et sa rencontre à Najaf avec l’ayatollah Sistani a constitué un signal spirituel fort, pour l’humanité. Il reste à savoir qui l’a perçu et quelles murailles il a percées. 

En ce qui concerne plus particulièrement la France, il me semble que le véritable enjeu n’est pas le dialogue entre les religions, qui ronronne tout à fait sympathiquement. Ce n’est pas non plus la laïcité comme religion sans dieu. C’est notre capacité à lutter contre une certaine montée des sectarismes et des colères et à chercher le commun. 

Quels ont été, à vos yeux, les enseignements de la crise sanitaire et de la pandémie de Covid-19 sur le plan religieux et du sacré (les restrictions sanitaires ayant notamment limité l’accès aux lieux de culte lors des premiers temps du confinement) et sur notre rapport à la mort ? Le monde d’après permettra-t-il de revaloriser la question du Sacré et de la religion auprès des Français ?   

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Je crois que c’est moins notre rapport à la mort qui est affecté, que notre rapport à la vie qui est ravivé. Quel est le sens de note existence personnelle et collective ? Qu’est-ce qui est « essentiel » et « non essentiel » ? Voilà déjà de belles interrogations spirituelles. Cela ne m’indique en rien le futur, mais justement en faisant l’expérience de l’imprévisible nous avons redécouvert le présent !  Je sais donc de moins en moins de quoi sera fait le monde d’après, mais je comprends de mieux en mieux de quoi le monde est toujours fait : d’une relation entre les hommes et entre les hommes de Dieu, ici et maintenant, hic et nunc. Dieu, en somme, parle par signes et l’homme déchiffre ces messages. La Bible ne traite que de ça, de la Genèse à l’Apocalypse. Ce nous vivons a du sens. Même les épreuves. Cela ne signifie nullement que le coronavirus est une punition divine. Je laisse les interprétations archaïsantes à ces écologistes qui ont affirmé que la pandémie était une vengeance de la nature ! Cela signifie que l’expérience que nous faisons est le lieu même de notre espérance et le temps même notre conversion. Nos églises ont été fermées, par exemple. Voilà un signe patent. J’essaie de l’interpréter, avec d’autres. Puis elles ont été ouvertes, mais ne se sont pas remplies pour autant. Voilà un autre signe. Donc, il ne suffit pas de crier « le sacré ! le sacré ! » en sautant comme un agneau sur son banc de messe. Il est temps que les catholiques se secouent.

 Jean-Pierre Denis vient de publier « Les catholiques, c’est pas automatique ! » aux éditions du Cerf.

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A lire sur Atlantico, deux extraits de l'ouvrage :

- Les catholiques, c’est pas automatique : les signes de l’affaiblissement du christianisme au sein de notre société

- Les catholiques, c’est pas automatique : le signe de la liberté guidant le peuple (de Dieu)

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