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Jean-Luc Mélenchon s'inscrit parfois dans une contestation de l'Etat de droit ou dans l'acceptation (tacite, à tout le moins) d'une forme de violence symbolique
Jean-Luc Mélenchon s'inscrit parfois dans une contestation de l'Etat de droit ou dans l'acceptation (tacite, à tout le moins) d'une forme de violence symbolique
©Thomas SAMSON / AFP

Perdition

La réaction du leader des Insoumis à l’agression dont a été victime le petit neveu de Brigitte et Emmanuel Macron est révélatrice de la dérive dans laquelle il est engagée et qui relève bien plus d’une stratégie politique assumée que de supposés dérapages

Hadrien Mathoux

Hadrien Mathoux

Hadrien Mathoux est journaliste politique à Marianne. Il est chargé du suivi de la gauche et notamment de La France Insoumise.

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Atlantico : Le petit neveu de Brigitte Macron, chocolatier de sa profession, a récemment été agressé pour motif politique. Interrogé à ce sujet, Jean-Luc Mélenchon a préféré jouer la carte de la concurrence victimaire, rappelant les agressions dont sont parfois victimes ses amis et sympathisants. Dans quelle mesure ce genre de "dérapage" pourrait constituer, en vérité, une réelle stratégie politique ?

Hadrien Mathoux : Avec Jean-Luc Mélenchon, il ne faut jamais décréter d’entrée de jeu qu’il s’agit d’un simple emportement, d’une “perte de contrôle”. Et ce même quand il en donne l’impression. Bien sûr, cela peut lui arriver, ce qu’il dit lui-même : il a un tempérament de méditerranéen, dit-il, qu’il ne maîtrise pas toujours. Cela étant, cette sortie s’inscrit dans une tendance à long terme.

A mon sens, il est possible de distinguer trois phases de l’histoire récente de Jean-Luc Mélenchon. La première débute au moment où il quitte le Parti socialiste en 2008, dans l’idée de jouer sa carte personnelle. A l’approche de l’élection présidentielle de 2012, il théorise la phase du “bruit et de la terreur”. Pour faire court, il s’agissait alors d’exister en parlant haut et sans hésiter à choquer : il cherchait alors à se faire remarquer et à trancher avec les discours tièdes dont s’accomodait tout ou partie de la gauche de cette époque-là.

En 2017, pour l’élection présidentielle encore une fois, il change son fusil d’épaule. Cette fois, Jean-Luc Mélenchon cherche à donner une autre image : celle du calme, de la maîtrise. Il cherche à devenir quelqu’un d’avenant, qui ne s’emporte pas. Une des phrases qu’il prononce alors résume bien l’intention : “Je suis le vote stable et sûr”, a-t-il déclaré. En somme, il a essayé de donner de lui l’image d’un instituteur républicain.

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Récemment, il a partiellement abandonné cette approche. Il s’est évidemment montré assagi, pour partie au moins, durant la campagne de la dernière élection présidentielle… et pourtant il a de nouveau changé. Cette fois il ne s’agit plus de se faire remarquer et de faire son trou… Mais il semble plutôt avoir théorisé la nécessité, dans une période qu’il estime marquée par une attente de radicalité, de la confrontation. S’il n’encourage pas la violence physique (il s’est d’ailleurs désolidarisé des violences perpétrées par les black blocs), il semble juger la virulence du propos nécessaire. Il encourage d’ailleurs la stratégie de radicalité des Insoumis à l’Assemblée nationale.

La réaction, très vindicative, à l’égard de l’agression de Jean-Baptiste Trogneux illustre la volonté de Jean-Luc Mélenchon de ne rien donner, ne rien lâcher. Il allume immédiatement un contre-feu et parle des tentatives d’assassinat contre lui quand il ne brandit pas l’exemple d’un syndicaliste CGT lui aussi violenté. Plusieurs Insoumis l’ont aussi fait, ce qui ne laisse que peu de doutes sur l'existence d’une stratégie au sein du mouvement mélenchonniste. Ils sont persuadés qu’il faut être implacables, ne rien céder, entretenir un certain niveau de tensions dans la société.

Jean-Luc Mélenchon, quoique sans fonction représentative aujourd'hui, demeure un homme politique de premier plan dans le paysage politique français. En jouant la carte de la concurrence victimaire, de quel type d'idéologie et de combat se fait-il directement ou indirectement le porte-parole ? Qu'est-ce que cela traduit de l'état d'une certaine gauche en France ?

Ce débat traverse la gauche en ce moment. Celle-ci s’interroge en effet sur le bon discours à adopter pour devenir majoritaire. Si on schématise, il existe deux grandes stratégies qui se font d’ailleurs face jusqu’au sein de la France Insoumise.

La première, qui correspond à celle de Jean-Luc Mélenchon, est celle que nous venons de décrire. Encore une fois, elle repose sur le constat d’un haut niveau de conflictualité dans la société et une attente de radicalité, sur laquelle il faudrait s’appuyer. Selon eux, il est nécessaire de jouer de ce désir de confrontation, l’attiser. Les tenants de cette stratégie, dont fait donc partie Jean-Luc Mélenchon, estiment que le peuple attend d’eux qu’ils se fassent les portes-paroles de leur colère. 

Dans une certaine mesure, il est possible de se demander si tout cela n’est pas influencé par une certaine idéologie trotskiste, puisqu’il y a chez la France Insoumise la certitude qu’une révolution populaire est sur le point d’advenir. Un discours que reprend d’ailleurs le leader de la NUPES, pour lequel une révolution apparaît toujours possible, sinon imminente. Cela accentue, je crois, la véhémence et la radicalité que défendent les tenants de ce discours.

Attention, toutefois, cette vision n’est pas hégémonique à gauche. Nombreux sont ceux qui estiment que la bonne stratégie consisterait en vérité à se montrer calmes, responsables et à ne pas effrayer les électeurs. Ceux-là jugent qu’il ne faut pas passer pour des “excités”. On retrouve parmi eux les socialistes, évidemment, mais aussi certains membres de la France Insoumise, dont François Ruffin. Observons d’ailleurs que la réaction de ce dernier à l’agression de Jean-Baptiste Trogneux a été très différente de celle de Jean-Luc Mélenchon.

A quel point est-il dans une logique insurrectionnelle ? Que ce soit dans ses discours ou ses actes ? 

La réponse du normand est simple : Jean-Luc Mélenchon s’inscrit, dans une certaine mesure, dans une logique insurrectionnelle. 

Plus sérieusement, je pense qu’il importe d’abord de rappeler que c’est là un argument très souvent utilisé par les macronistes, qui cherchent volontiers l’occasion de faire sortir Jean-Luc Mélenchon du fameux “arc républicain”. Ils disent alors de lui qu’il est dans une logique d’insurrection parce qu’il cherche à renverser les institutions. C’est en partie vrai : il ne se désolidarise pas toujours très vivement des violences, il lui arrive d’avoir des mots ambigus… Si une révolution pour renverser le pouvoir advenait, d’aucuns pourraient avoir du mal à anticiper ce qu’il ferait.

Difficile de ne pas rappeler aussi que l’épisode de la Terreur constitue un imaginaire qui plaît beaucoup au sein de la France Insoumise. Toutefois, ils ne positionnent pas dans une logique de combat qui passerait par l’action violente.

De fait, plusieurs éléments vont à l’encontre de la thèse d’un Jean-Luc Mélenchon insurrectionniste. 

N’oublions qu’il se désolidarise toujours des black blocs ou qu’il estime que la violence en politique n’est pas souhaitable. Je crois d’ailleurs qu’il arrive que les macronistes lui fassent de mauvais procès, comme à l’occasion de sa sortie sur la “mauvaise République”. Celle-ci a été complètement déformée : depuis des années, Jean-Luc Mélenchon défend l’idée d’une VIème République, plus parlementaire. Dire de lui qu’il est un factieux pour cela, ce n’est pas pertinent. Oui, il veut transformer la société en profondeur, mais il entend le faire par les urnes. Pas par le coup de force.

La réaction de Jean-Luc Mélenchon peut-elle parfois s'inscrire dans une contestation de l'Etat de droit ou dans l'acceptation (tacite, à tout le moins) d'une forme de violence symbolique qui viendrait "en réponse" à celle que peut exercer l'Etat ? Quel est le problème exact avec ce type de situation ?

Il y a effectivement, chez Jean-Luc Mélenchon, une certaine forme de tolérance à l’égard d’une violence symbolique. On parle alors de mannequins à l'effigie du président de la République, que certains manifestants n’hésitent pas à bousculer où d’invectives à l’égard d’Emmanuel Macron. Pour le leader de la Nupes, tout cela fait partie du folklore français : cela s’inscrit dans la tradition française qui consiste à brocarder ses dirigeants.

Une fois encore, un débat existe sur ce type d’action : d’aucuns s’interrogent, à gauche sur la nécessité d’entretenir un climat de rejet et de détestation des gouvernants. Un des grands problèmes de la société française c’est que, sur le plan politique, elle est aujourd’hui séparée en trois grands groupes qui ne se supportent pas mutuellement et ne parviennent pas à échanger. Plutôt que de convaincre par la discussion, on préfère l’invective.

Je ne pense pas pour autant que l’on puisse l’accuser de remettre en cause l’Etat de droit. Rien de tout cela n’est illégal. Bien sûr, on peut tout à fait contester ce mode d’expression, mais il demeure autorisé.

Dans quelle mesure la concurrence victimaire, dont Jean-Luc Mélenchon abuse en l'état, peut-elle menacer le bon fonctionnement institutionnel en France ?

C’est une question complexe. De fait, la concurrence victimaire est, en soi, problématique. Dans une société, il faut - à mon sens - observer des principes généraux qui dictent ce qu’il est acceptable de dire ou de faire. C’est à l’aune de ces principes que l’on doit juger tout un chacun.

Par principe, en démocratie, il est communément admis que la violence (et tout particulièrement la violence pour des motifs politiques) est inacceptable. Il en va de même pour la discrimination, quelque soit la forme que celle-ci prend. Or, si l’on commence à se jeter à la figure les exemples de sa propre communauté pour répondre à une agression ou à une discrimination, on participe à la création d’un environnement de tensions extrêmes. De confrontation totale entre groupes qui ne sont pas unis par une même idée du bien commun.

C’est une conception des choses qui ne permet pas l’avènement d’une société apaisée et pacifique.

En définitive, Jean Luc Mélenchon est-il perdu pour le champ républicain ?

Je pense qu’il faut toujours se méfier de ce type de constat.

Ce qui domine, aujourd’hui, dans le débat public, c’est clairement l’utilisation récurrente du concept d’arc républicain. On lui fait dire ce qu’on veut et, quand on écoute les défenseurs de la ligne d’Emmanuel Macron, il y a de quoi avoir le sentiment que ce dernier ne va que du centre-droit au centre-gauche. Dès lors, je préfère ne pas me risquer à une définition de ce que serait réellement ce fameux champ républicain. C’est un argument politicien plus que politique, il me semble

Ce que l’on peut dire, toutefois, c’est comment a évolué Jean-Luc Mélenchon. Quand on observe sa trajectoire politique et idéologique, on constate qu’il a eu à cœur la défense de la laïcité, d’un certain logiciel attaché aux valeurs des lumières et à la lutte contre l’influence des religions dans la société pendant la majeure partie de sa carrière. Aujourd’hui, sa position a évolué, peut-être pour des raisons sincères ou peut-être par stratégie. Il s’est détourné de cette ligne républicaniste au profit d’un logiciel plus multiculturaliste.

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