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Iran : l’heure de l’optimisme n’a pas sonné
©Reuters

Révoltes

Après une semaine de troubles, le calme semble être revenu en Iran, au prix d'un impressionnant déploiement de forces de sécurité. Il convient désormais s’interroger sur les causes véritables de l’insurrection et de déterminer les raisons de son apparent échec.

Ardavan Amir-Aslani

Ardavan Amir-Aslani

Ardavan Amir-Aslani est avocat et essayiste, spécialiste du Moyen-Orient. Il tient par ailleurs un blog www.amir-aslani.com, et alimente régulièrement son compte Twitter: @a_amir_aslani.

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Depuis une semaine l’Iran est secoué par un vent de révolte qui, sorti de nulle part, a enflammé plus de 80 villes en Iran. Une vague d’arrestation et une répression policière sanglante ayant entrainé 21 morts à date d’aujourd’hui semblent avoir eu raison des troubles qui avaient pris de court le pouvoir de Téhéran. Le calme semble être revenu dans les rues des villes iraniennes. Il convient de s’interroger sur les causes véritables de l’insurrection et de déterminer les raisons de son apparent échec. Il faudra également se poser la question de savoir quelles vont être les conséquences, en tout état de cause, pour le pouvoir en place en Iran.

Il est aujourd’hui avéré que les troubles ont vu le jour dans la sainte ville de Machhad, deuxième ville du pays, gouvernée, d’une part, par le beau-père du candidat malheureux conservateur, Raisi, dans les dernières élections présidentielles iraniennes et par Raisi lui-même, qui se trouve être à la tête d’une des fondations religieuses les plus puissantes du pays. C’est un secret de polichinelle que le camp des conservateurs en général est opposé à l’ouverture de l’Iran envisagée par le Président réformateur Rouhani. Une telle ouverture étant de nature à réduire leur pouvoir dans le pays et à circonvenir leur monopole sur l’économie iranienne. Rappelons que 80% de l’économie en Iran est détenu directement ou indirectement soit par les fondations religieuses soit par le complexe militaro-industriel des Gardiens de la Révolution et autres structures étatiques.

C’est ainsi que l’on peut comprendre la hargne de ces mêmes fondations religieuses lorsqu’elles ont découvert que l’administration Rouhani, dans son budget avait rendu public, à dessein, les subventions dont elles jouissaient ainsi que l‘exonération fiscale qui leurs étaient octroyées. Information qui jusqu’alors était tenue secrète. Or c’est justement dans la ville de la principale de ces fondations que les troubles ont commencé. Le gouvernement a même pointé du doigt le haut clergé de Machhad comme étant les principaux instigateurs des troubles au lendemain du premier jour des émeutes.

Ce que les conservateurs n’ont pas correctement appréhendé est qu’ils jouaient avec le feu en encourageant l’irruption de la révolte. Le terrain était particulièrement propice pour que l’étincelle prenne. 70% des iraniens ont moins de 40 ans. Ils sont tous éduqués avec un niveau universitaire voisin de celui de l’occident. Ils sont aussi tous connectés à l’internet et sont donc à même de comparer leur niveau de vie avec la jeunesse d’autres pays. Or cette jeunesse se rend parfaitement compte que les promesses d’ouverture économique du pays tenues par Rouhani lors de sa campagne électorale ne se sont pas matérialisées. Tout au contraire. Cette jeunesse n’avait comme perspective que la continuité des restrictions des libertés publiques et le chômage. Les femmes qui ont massivement votées pour Rouhani ont eu le regret de constater qu’iI n’y avait aucune femme au gouvernement malgré les promesses faites par Rouhani. On se souvient de l’image de cette courageuse iranienne qui se tenant debout sur une voiture avait hotté son foulard que les règles de convenances religieuse imposent aux femmes. Autant de raisons de mécontentement qui n‘attendaient que le déclic qui a été fourni à Machhad.

La connectivité totale de la population aux réseaux sociaux a fait le reste. C’est ainsi qu’un ensemble très hétérogènes de manifestants se sont roués vers les rues avec des revendications disparates allant de l’amélioration de leurs sorts économique jusqu’au changement de régime. Or contrairement, aux mouvements de masse ayant suivi l’élection contestée d’Ahmadinejad en 2009 ayant déversé dans les rues des millions d’iraniens, la sociologie des manifestants cette fois-ci était différente. Contrairement à 2009, ceux qui manifestaient dans les rues étaient issus des milieux défavorisés de la paysannerie et des ouvriers, alors qu’en 2009 les manifestants étaient principalement issus des classes moyennes et des milieux estudiantins. De surcroit, en 2009, il y avait un leadership du mouvement de contestation en la personne du candidat malheureux Moussavi et de son acolyte Karroubi. Alors que les troubles de la semaine dernière n’avaient aucune forme de leadership. Par ailleurs, les violences engendrées ont fini par aliéner la plus grosse partie de la population qui méprisait davantage l’insécurité et l’anarchie que le régime.

A l’échelle internationale, les tweets intempestifs du Président américain Donald Trump ont fini par procurer l’argument nécessaire pour le pouvoir de lancer la répression en miroitant le rôle des intérêts étrangers dans l’organisation des troubles. Cela a suffi pour sonner le glas de la révolte.

Mais l‘affaire n’est pas terminée pur autant. La répression sanglante a eu la peau de la main tendue de l’Iran à l’occident. La première victime de la chose fut l‘annulation du déplacement du Ministre Français des affaires étrangères qui ne pouvait prendre le risque de se rendre à Téhéran et véhiculer de la sorte son soutien au pouvoir de Téhéran.  Le déplacement tant espéré du Président français semble également compromis. Le 14 janvier prochain, il y a fort à parier que Trump ne certifiera pas ou pire, désertifiera le respect de l’Iran des dispositions de l’accord nucléaire du 14 juillet 2015, préparant la sortie des Etats-Unis de l’accord. Ceci entrainera encore davantage l’ostracisme de l’Iran et enhardira les milieux conservateurs qui s’en prendront au pouvoir de Rouhani avec comme reproche l’échec de l’ouverture économique du pays faute de dividende suite à la signature de l’accord nucléaire. Le rôle joué par l’Iran dans la pleine lune chiite autour de l’Arabie Saoudite allant de l’Iraq, à la Syrie et du Liban du Hezbollah aux Houttis du Yémen sans oublier l’Afghanistan participera à l’isolement politique du pays.

L’absence de perspective d’amélioration économique et la chape de plomb qui ne manquera pas de se transposer sur la société iranienne, ne feront que préparer le terrain pour d’autres troubles. L’heure n’est pas forcément à l’optimisme à moins que Rouhani saisisse l’occasion pour introduire de véritables reformes économiques et politiques. En pareil cas, les 21 morts de la semaine dernière ne seront pas des sacrifices pour rien.

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