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Iran – Etats-Unis : malgré le Covid-19, la tension s’accroît
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Alain Rodier revient sur les tensions entre les Etats-Unis et l'Iran en cette période de pandémie de coronavirus.

Alain Rodier

Alain Rodier

Alain Rodier, ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français, est directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Il est particulièrement chargé de suivre le terrorisme d’origine islamique et la criminalité organisée.

Son dernier livre : Face à face Téhéran - Riyad. Vers la guerre ?, Histoire et collections, 2018.

 

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En cette période de coronavirus, l’Iran et les États-Unis sont particulièrement impactés. Ainsi, le 25 avril matin, les USA présentaient un ratio de 2 813,33 individus atteints pour un million de personnes. Ils déploraient 52 400 décès. L’Iran avait de son côté un ratio de 1 058,36 personnes infectées pour un million d’habitants avec  5 574 victimes. À titre de comparaison, la France a un ratio de 1 827,43 de citoyens touchés pour un million de personnes et 22 245 décès. Bien sûr, ces chiffres auront évolué au moment où cet article sera publié mais il ne faut pas s’attendre à des améliorations importantes.

Et pourtant, cette crise sanitaire majeure n’empêche en rien les maîtres de ces deux pays de se défier en permanence. Il faut reconnaître que l’état d’esprit de ces dirigeants a littéralement tourné à la haine de l’autre.

Washington - qui du coup semble avoir totalement oublié la menace terroriste représentée par Daech et Al-Qaida "canal historique" pour se retourner tous moyens réunis contre l'Iran - reproche au régime des mollahs les nombreuses exactions commises depuis leur arrivée au pouvoir en 1987 (que les Américains n’avaient rien fait pour empêcher ayant "une dent" contre le Chah), prise en otages des personnels de l’ambassade US à Téhéran, actes terroristes de grande ampleur dirigés contre les intérêts américains dans les années 1980 puis depuis l’invasion de l’Irak en 2003, etc.

Les mollahs reprochent à Washington d’avoir soutenu Saddam Hussein lors de la "guerre imposée" de 1980-88 qui aurait fait au moins 500 000 tués iraniens, de soutenir l’État d’Israël contre vents et marées, de tenter de renverser le régime par tous les moyens et, plus récemment, de profiter de la crise économique crée par les sanctions décidées unilatéralement par la Maison Blanche et par le coronavirus pour étrangler la population iranienne afin de la pousser à la révolte.

Les responsables politiques s’invectivent sur le plan de la morale - sujet très porteur au sein des opinions occidentales -, Washington reprochant aux mollah les répressions féroces de manifestations anti-régime, leur influence mortifère au Proche et Moyen-Orient et bien sûr, leur antisionisme qui peut être assimilé à de l’antisémitisme. Téhéran n’est pas en reste traitant les USA de "grand Satan" (et Israël de "petit Satan"), reprochant le soutien inconditionnel de la Maison Blanche à l’Arabie saoudite qui "massacre les populations civiles au Yémen", etc.

C’est dans cette ambiance détestable que les incidents se multiplient. Si l’un des membres de ces deux protagonistes perd son sang froid, cela peut déboucher sur un affrontement de première importance. Des guerres ont démarré pour moins que cela !

Depuis que le président Donald Trump a ordonné la neutralisation du major général Qassem Soleimani exécuté le 3 janvier car il craignait qu’un scénario à la libyenne ne se renouvelle à Bagdad (l’assaut d’une représentation diplomatique US comme à Benghazi le 11 septembre 2012 qui avait mené à la mort l’ambassadeur J. Christopher Stevens), les incidents vont croissant.

En Irak, les milices populaires chiites Hachd al-Chaabi  (qui ont aussi perdu leur responsable opérationnel, Jamal Jaafar Mohamad Ali al-Ibrahim alias Abou Mehdi al-Mouhandis, lors de la frappe dirigée contre Soleimani) harcèlent les positions américaines par des tirs de roquettes sporadiques. Plus grave au moins sur le plan de l’image (si importante pour la manipulation des foules), sept navires de l’US Navy et des US Coast Guards croisant dans les eaux internationales au large du détroit d’Ormuz ont été l’objet le 15 avril d’un "harcèlement" de onze vedettes rapides iraniennes qui sont venues les narguer à très proche distance sans toutefois ouvrir le feu. En réplique, le président Trump a donné l’ordre le 22 avril "de détruire toute embarcation iranienne qui harcèlerait nos navires en mer". Le lendemain, le chef des pasdaran, le major général Hossein Salami a "ordonné à nos forces navales de détruire toute force terroriste américaine dans le Golfe Persique qui menace la sécurité des navires militaires ou non de l'Iran". Par contre, il est légitime de douter de la capacité iranienne à menacer sérieusement les navires de l'US Navy. Cela dit, en cas de guerre, Téhéran a la capacité de fermer le détroit d’Ormuz au moins temporairement. Cette arme a perdu de sa valeur depuis l’effondrement du prix des hydrocarbures et du fait que toutes les réserves débordent. Par contre, et fort curieusement, certains analystes pensent que le rebond des cours connu le 24 avril est dû au "coup de gueule" de Trump…

Parallèlement, le 22 avril, Téhéran a mis sur orbite son premier satellite militaire d’observation "Noor 1" (lumière) ce qui inquiète au plus haut point les autorités israéliennes. Les Américains ont, dans un premier temps, accusé les Iraniens d’utiliser ce prétexte pour développer leur flotte de missiles stratégiques, ce qui n’est certainement pas faux. Ensuite, ils ont affirmé qu’ils n’avaient pas repéré un satellite qui correspondrait à ce lancement avant de revenir sur leurs déclarations. Sans doute lié à cet évènement, Tsahal a effectué des tirs de semonce contre des positions du Hezbollah - où se trouveraient des conseillers iraniens - au sud-ouest de la Syrie.

À n’en pas douter, les derniers évènements ont poussé les faucons des deux pays sur le devant de la scène. Les Américains (50 hommes politiques et experts dont 32 appartenant à la Fondation pour la Défense de la Démocratie - FDD - ont signé mardi 21 avril un appel à doubler les sanctions contre Téhéran; parmi eux, le sénateur démocrate Bob Menendez et son collègue républicain Eliot Engel; par contre le candidat démocrate à l'investiture suprème Joe Biden a parlé de "cruauté" en évoquant le refus de Trump de laisser le FMI débloquer cinq milliards de dollars à l'Iran pour l'aider à lutter contre le coronavirus) qui veulent vraiment renverser le régime des mollahs en utilisant tous les moyens à leur disposition, même celui qui consiste à affamer les populations civiles comme cela a été le cas avec l’Irak avant la guerre de 2003. Il y en a qu'un qui n'est pas envisagé : une invasion terrestre qui tactiquement est impossible sans causer de très lourdes pertes dans les deux camps mais aussi dans toute la région. Résultat de la politique de l’administration Trump, elle est parvenue à ce que les "durs" du régime des mollahs évincent les "modérés" (il est vrai que l’on peut s’interroger sur la réalité du terme "modéré"). Washington voulait un changement de régime ; il est en train d’y parvenir car ce sont les pasdaran qui prennent le pas sur les religieux et qui vont bientôt tout diriger sans partage…  

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