Inégalités: ce que cette nouvelle étude de l’Insee révèle sur la redistribution en France… et ce qu’elle ne dit pas<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
Au total, 57% des personnes sont bénéficiaires nets de cette redistribution élargie.
Au total, 57% des personnes sont bénéficiaires nets de cette redistribution élargie.
©Flickr/bareknuckleyellow

Redistribution

Selon cette étude, la redistribution élargie, incluant l'ensemble des transferts monétaires et les services publics, améliore le niveau de vie de 57 % des Français.

Michaël Sicsic

Michaël Sicsic est chercheur associé au CRED (TEPP), il est spécialiste des questions d'inégalité et de mobilité.

Voir la bio »

Mathias André

Mathias André est chargé d'études sur la redistribution au Département des Études économiques (Insee)
Docteur en économie diplômé de l'École Polytechnique, il travaille sur la redistribution et les inégalités au département des études de l'INSEE.

Voir la bio »

Atlantico : Vous publiez une nouvelle étude pour l'INSEE sur la redistribution en France. "La redistribution élargie incluant l'ensemble des transferts monétaires et les services publics, améliore le niveau de vie de 57% des personnes". Qu'est-ce que cela veut dire exactement? 

Michaël Sicsic et Mathias André : Les ménages contribuent à la redistribution en s’acquittant d’impôts, taxes et cotisations. Ils reçoivent des transferts publics, en espèces telles que les prestations sociales monétaires, et en nature, tels que les services publics en nature (santé, éducation, etc.) et collectifs (police, justice, défense, recherche). La redistribution élargie fait le bilan entre ces prélèvements et ces versements pour chaque ménage. Au total, 57% des personnes sont bénéficiaires nets de cette redistribution élargie. Les principaux bénéficiaires nets sont bien sûr les ménages les plus modestes, mais aussi les plus de 65 ans, les familles avec enfants et les ménages moins diplômés. Pour les ouvriers et les employés, le bilan redistributif est quasi neutre, alors que les cadres, travailleurs indépendants, chefs d’entreprise sont contributeurs nets ainsi que, dans une moindre mesure, les professions intermédiaires. A l'inverse, les contributeurs nets sont des ménages actifs, aisés, âgés entre 40 et 60 ans, plutôt cadres ou urbains. Nous montrons aussi que les inégalités sont fortement réduites par la redistribution élargie : les ménages aisés (qui ont un revenu supérieur à 1,8 fois le revenu médian) ont un revenu 18 fois plus élevé que celui des ménages pauvres avant transferts, contre un rapport de 1 à 3 après transferts. Et cette réduction des inégalités vient pour plus de la moitié des dépenses de santé et d'éducation. 

Comment en êtes-vous arrivé à ce résultat ? Quelle a été votre méthodologie ? 

Ces résultats viennent de travaux débutés il y a plus de 4 ans à l'Insee à l’initiative du Directeur général, qui avait donné lieu à une première publication en 2021 portant sur l’année 2018. Cette nouvelle étude prolonge et complète ces travaux et porte sur l’année 2019. La méthodologie s’appuie sur un ensemble de base de données sur les revenus, la composition des ménages, les dépenses de santé, de consommation, la localisation des services publics notamment. Une des innovations importantes est de valoriser monétairement et allouer les transferts en nature (santé et éducation) et services publics collectifs à chaque personne en France. La méthodologie est détaillée dans la partie méthode de notre publication, elle est assez inédite dans le monde. 

Autant de redistribution, Est-ce que ça réduit le potentiel de croissance d'un pays ?  

A notre connaissance, aucune étude n'a établi que cela pourrait être le cas. Au contraire, l'OCDE a montré il y a quelques années que réduire les inégalités conduit à plus de croissance, et une croissance plus inclusive.

On peut ajouter que l’Insee a récemment publié une note de blog détaillant la production créée par les administrations, soit en quelque sorte le « potentiel de croissance » des services publics. En outre, notre méthode ne permet pas de conclure sur ce que serait une économie sans redistribution car les équilibres seraient fortement modifiés comme on peut essayer de se l’imaginer s’il fallait payer soi même pour ses dépenses de santé, d’éducation, de police ou de justice par exemple.

Lorsque la croissance est plus faible, y a-t-il moins de redistribution ?

Le niveau de redistribution dépend davantage du stade de développement des pays que de la croissance à court terme : en général, les pays plus développés font plus de redistribution que les pays moins développés, qui ont une croissance plus élevée en moyenne. Elle dépend donc plus du niveau du PIB que de la croissance du PIB. Il y a bien sûr des différences de redistribution pour les pays de même stade de développement qui dépendent de nombreux autres facteurs et des choix de société.

Il faut aussi avoir en tête que la réduction des inégalités dépend de leur niveau initial et ces inégalités primaires dépendent de comment sont distribués les fruits de la croissance. Nous avons d'ailleurs des travaux en cours pour reproduire ces résultats sur plusieurs années et qui pourront permettre de mesurer comment sont distribués les fruits de la croissance.

En mars 2021, vous avez signé une autre étude sur la réduction des inégalités. Quelles différences entre les 2 ? 

La publication de 2021 montrait que la redistribution était deux fois plus élevée en intégrant les services publics que la redistribution dite usuelle, c'est à dire qui prend seulement en compte les transferts monétaires (impôt sur le revenus, CSG, et prestations monétaires notamment). Elle montrait déja que la redistribution élargie réduit fortement les inégalités grace aux services publics, qui bénéficient à presque tout le monde. Cette toute nouvelle étude actualise les résultats sur l'année 2019 mais surtout donne beaucoup de détails sur les bénéficiaires et contributeurs nets à la redistribution. Nous déclinons ainsi pour la première fois nos résultats sur les inégalités et la redistribution élargie selon l'âge, le diplôme initial, la catégorie sociale, la configuration familiale, ou encore la situation géographique. Nous détaillons également mieux les inégalités primaires dans cette publication et nous donnons des résultats plus fins, au niveau du vingtième de revenu, c’est-à-dire en séparant la population par tranche de 5%.

Conclusion de ces deux études, peut-on dire que l'Etat français est trop généreux ?

Ce n'est certainement pas à nous de répondre à cette question. Nous sommes là pour apporter des statistiques et des analyses économiques sur la fiscalité. Chacun pourra faire sa lecture de ces résultats. Il faudrait en outre disposer d’études d’autres pays, ce qui n’existe pas avec cette même méthode. De notre côté, nous nous sommes tenus à exposer ces recherches de façon la plus détaillée mais aussi grand public possible. Outre cette nouvelle publication, nous avons publié un article méthodologique grand public et un document de travail davantage pour les initiés. De cette façon, tout le monde peut s'emparer de ces résultats, c'est désormais un bien public ! 

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !