Immigration légale : Ursula von der Leyen - Viktor Orbán, même combat (non avoué…) ?<!-- --> | Atlantico.fr
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La présidente de la Commission européenne a tenu un discours plus ferme sur l'immigration sur l'île de Lampedusa le week-end dernier.
La présidente de la Commission européenne a tenu un discours plus ferme sur l'immigration sur l'île de Lampedusa le week-end dernier.
©AFP / François WALSCHAERTS

Quelques ressemblances

La présidente de la Commission européenne a martelé à Lampedusa que l’Europe devait accueillir légalement des migrants. Une posture pas si éloignée que celle adoptée discrètement par la Hongrie et la Pologne.

Patrick Stefanini

Patrick Stefanini

Patrick Stefanini est un haut fonctionnaire français, membre du Conseil d'État et ancien directeur général des services de la région Île-de-France. Sa carrière se situe entre l'administration et la politique. Diplômé de l'ENA en 1979, il soutient Chirac avant de devenir un proche conseiller d'Alain Juppé lorsque ce dernier est entré à Matignon en 1995. Il s'est démarqué notamment lors de batailles électorales réputées difficiles ; il fut ainsi l'artisan de la victoire de Jacques Chirac à la présidentielle en 1995, de celle de Valérie Pécresse aux élections régionales de 2015, avant donc de conduire François Fillon à la victoire de la primaire, fin 2016. En mars 2017, il renonce à ses fonctions de directeur de campagne de François Fillon. Patrick Stefanini est directeur de campagne de Valérie Pécresse dans le cadre de l'élection présidentielle de 2022.

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Rodrigo Ballester

Rodrigo Ballester

Rodrigo Ballester dirige le Centre d’Etudes Européennes du Mathias Corvinus Collegium (MCC) à Budapest. Ancien fonctionnaire européen issu du Collège d’Europe, il a notamment été membre de cabinet du Commissaire à l’Éducation et à la Culture de 2014 à 2019. Il a enseigné à Sciences-Po Paris (Campus de Dijon) de 2008 à 2022. Twitter : @rodballester 



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Atlantico : Ursula von der Leyen s'est déplacée sur l'île italienne de Lampedusa dimanche en compagnie de Giorgia Meloni. Un déplacement au cours duquel la présidente de la Commission européenne a eu un discours plus ferme que d'habitude sur l'immigration : "C'est nous qui déciderons qui viendra et dans quelles circonstances". Elle a même parlé d'immigration légale qu'elle veut gérer de façon plus stricte en réponse à la migration régulière. Une immigration légale, la Hongrie le fait déjà non ? 

Patrick Stefanini : Je suis un peu surpris. Les responsables de l’immigration ont toujours eu à gérer en parallèle deux phénomènes. L’immigration clandestine et l’immigration légale. 

L’immigration clandestine est une difficulté pour de nombreux pays : l’île de Lampedusa en Italie, l’Espagne ou encore l’île de Lesbos en Grèce… Les Grecs ont géré l’afflux des migrants via la route de la méditerranée orientale. C’est la route de la méditerranée centrale qui est désormais la principale route migratoire et qui est très chargée. Les tentatives d’arrivée ont doublé depuis le début de l’année.

Imaginer qu’en organisant la migration légale depuis les pays d’origine comme l’a suggéré Ursula von der Leyen, cela me paraît illusoire. Qu’il faille le faire, oui. Qu’il faille l’organiser, oui. Mais la plupart des pays européens le font déjà. L’immigration légale n’est pas une compétence de l’Union européenne. En revanche, la lutte contre l’immigration irrégulière en fait partie. Certains pays, comme l’Italie, sont confrontés à une pression très forte. Vu leur positionnement géographique, ils ne s’en sortiront pas tout seul tant que l’anarchie régnera en Libye, que le régime politique en Tunisie ne voudra pas entendre parler d’immigration ou tant qu’il y aura des actes terroristes au Sahel.

Rodrigo Ballester : Le discours de Von der Leyen est plus ferme, mais marque-t-il pour autant un tournant? Je ne le pense pas. Certes, elle affirme que l’UE choisira ses migrants mais en lisant le reste du discours on s’aperçoit que les dix points qu’elle propose n’ont rien de révolutionnaire, c’est plutôt du réchauffé et des mesurettes qui ne changeront rien. En fait, c’est un discours de circonstances: comment ne pas afficher un minimum de fermeté après cette avalanche migratoire, devant Giorgia Meloni, les habitants de Lampedusa dont les nerfs sont à fleur de peau et une opinion publique européenne très remontée, le tout à quelques mois des élections européennes?

Et surtout, méfions-nous des discours. La visite de Von der Leyen a un parfum de déjà vu: il y presque dix ans, en octobre 2013, le Président de la Commission de l’époque Barroso et la Commissaire à la Migration, Cecilia Malmström, avaient visité l’île avec Enrico Letta après un naufrage massif qui avait laissé presque 200 victimes. Dix ans plus tard, qu’en est-il? Nous en sommes au même point, et les dix mesures étayées pa la va vite n’y changeront rien.

Quant à la mention à la migration légale, je ne suis pas sûr que ce soit un gage de fermeté. Au contraire, elle affirme textuellement qu’il s’agit de la meilleure solution pour combattre les trafiquants! En gros, la réponse serait de faciliter la migration afin de stopper le trafic, pas la migration en soi. Discours de fermeté ?

Concernant la Hongrie, ce pays (et tant d’autres) accueille en effet des migrants légaux, des ressortissants d’états tiers qui viennent travailler quelques années, voire de manière permanente pour couvrir la demande de travailleurs qualifiés. Ceci, en soi n’a rien de nouveau ni de révolutionnaire. Mais ce que la Hongrie semble faire mieux que les autres, c’est surtout de contrôler la frontière extérieure européenne qui lui correspond.

Est-ce que ce n'est pas un peu paradoxal que Ursula Von Der Leyen adopte le même discours que Viktor Orbán ?

Rodrigo Ballester : Encore une fois, sur la migration légale, ils n’ont pas le même discours, Von der Leyen en fait une concession alors que pour Orban c’est une partie intégrante de sa politique migratoire ferme et contrôlée. Par contre, il est vrai que depuis la crise de 2015, la Hongrie a eu raison avant tout le monde et que sa vision a imbibée les positions d’autres Etats membres sans qu’ils n’osent trop l’avouer.

Ceci est évident au niveau du contrôle des frontières en général et de la construction de barrières physiques aux frontières en particulier: depuis 2015, la Pologne, la Grèce, la Bulgarie, la Lithuanie les ont construites ou sont en train de les construire, sans parler de l’Espagne pionnière en la matière à Ceuta et Melilla. En 2022, seize Etats membres avaient même exigé à Vilnius que l’UE les finance. Réponse de la Commissaire Johansson qui a accompagné Von der Leyen à Lampedusa? Fin de non-recevoir et un rappel que les „refoulements” sont illégaux et que toute personne a le droit de demander l’asile, ce qui équivaut à un refus de contrôler les frontières. Entre temps, cette même Commissaire a participé activement à la campagne contre l’ancien Directeur de Frontex, Fabrice Leggeri, et souhaite transformer cette agence afin qu’elle surveille les Etats membres plus que les frontières.

Alors soyons mesurés, la Commission n’adopte pas le même discours qu’Orbán en matière de migration, loin s’en faut. Certes, l’influence de la Hongrie s’est fait sentir auprès de nombreux Etats membres, mais en ce qui concerne la Commission, c’est une autre paire de manches. Et le discours de Von der Leyen à Lampedusa n’y changera rien.

Est-ce qu'il y a urgence à régler le pacte asile-immigration ?

Patrick Stefanini :Oui ! D’autant que cela fait quatre ans qu’il est sur la table. Le 8 juin dernier, il y a eu des avancées. Les ministres se sont mis d’accord sur une série de points : les relocalisations des réfugiés et le traitement des demandes d’asile. Les ministres ont aussi avancé sur l’idée qu’on pourrait renvoyer les déboutés vers des pays tiers, c’est-à-dire les pays par lesquels les migrants ont transité. Il y a effectivement urgence que le parlement européen s’empare de ces propositions.

Pour aider l’Italie, l’Union européenne doit se mobiliser pour installer des centres d’accueil dans les ports avec une zone internationale. Il faut aussi des infrastructures et du personnel. L’UE a aidé la Grèce sur l’île de Lesbos. Elle doit aider l’Italie.

Rodrigo Ballester : Il y a surtout urgence à juguler l’immigration irrégulière  et je ne suis pas sûr que ce pacte apporte une solution effective, surtout qu’il ne sera pas adopté au plus tôt avant avril 2024 et qu’il devra lentement être mis en œuvre par après. Donc, „urgence” n’est pas le bon mot…  En outre, il rencontre déjà l’opposition farouche de la Pologne et de la Hongrie, et sans doutes une opposition bien plus silencieuse mais ferme d’autres Etats membres qui n’ont ni le courage ni l’habitude de parler haut et fort, l’Autriche notamment, mais qui n’en pensent pas moins.  Ce Pacte sera-t-il mort né? Sur certains aspects cruciaux, la question est pertinente.

Surtout, après deux décennies de politique migratoire commune, la question est de savoir si l’UE (et en particulier la Commission) est plus à même de régler l’immense problème de l’immigration illégale et du contrôle aux frontières  ou si les Etats membres devraient reprendre la main. Un exemple: l’un des textes du Pacte Migratoire est une recommandation de la Commission sur les activités de recherche et de sauvetage en mer par des bateaux « détenus ou exploitées par des entités privées », donc, les fameuses ONGs. Le message de ce texte est d’intimer les Etats membres à coopérer avec elles « en vue de réduire le nombre de décès en mer, de préserver la sécurité de la navigation et de garantir une gestion efficace de la migration ». Franchement, est-ce bien raisonnable ?

On sait que les européens n'arrivent pas à se mettre d'accord. C'est la répartition qui bloque ? La Hongrie ne veut pas payer et l'Allemagne est devenue frileuse ... 

Patrick Stefanini :Il y a un accord sur la relocalisation des migrants. Deux pays s’y sont opposés : la Pologne et la Hongrie. Par chance, les décisions se prennent à la majorité donc ils n’ont pas pu s’y opposer. Pas de blocage. 

Le risque cependant, c’est que le Parlement européen a une approche beaucoup plus permissive. L’exemple avec Frontex. Les députés se soucient beaucoup qu’il y ait des contrôles sur le non-refoulement. Les ministres, eux, voudraient que ce soit un outil qui aide davantage. Il y a donc une petite différence de sensibilité entre la majorité du parlement européen et des ministres qui sont plus fermes. Le parlement est un peu décalé, plus sensible aux discours des associations humanitaires et des ONG.

Rodrigo Ballester :  La répartition est un point polémique. La répartition ne serait plus obligatoire mais la solidarité financière pour compenser ce refus oui. C’est également la fameuse règle de Dublin (selon laquelle les demandes d’asile doivent être traitées par le pays par lequel le demandeur d’asile rentre dans l’UE) qui défraie la chronique. Mais surtout, ne nous voilons pas la face, le principal problème subsiste : l’invocation abusive du droit d’asile qui empêche les gardes-frontières de s’acquitter de leur tâche car eux-mêmes ne savent plus si empêcher une entrée illégale équivaut à un « refoulement ». Ce qu’il faut remettre totalement à plat, c’est cette confusion qui fait d’un droit d’asile complètement dévoyé, le principal vecteur d’immigration illégale. 

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