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Immigration : les dernières statistiques révèlent l'ampleur des flux vers la France. Mais qui saurait les contrôler ?
©Angelos Tzortzinis / AFP

Première vague

Les dernières statistiques qui émanent du ministère de l’Intérieur soulignent une forte pression migratoire et une spectaculaire augmentation depuis plus de 20 ans.

Arnaud Lachaize

Arnaud Lachaize

Arnaud Lachaize est universitaire, juriste et historien. 

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Atlantico : Quelles sont les dernières statistiques sur l’immigration française et que nous apprennent-elles ?

Arnaud Lachaize : La hausse des « premiers titres de séjour » délivrés reflétant le nombre de migrants autorisés à résider en France pour au moins un an est forte et continue : 125 000 en 1995 ; 186 116 en 2002 ; 183 893 en 2008 ; 193 655 en 2012 ; 210 940 en 2014 ; 217 5330 en 2015 ; 230 353 en 2016 ; 242 665 en 2017 ; 258 929 en 2018 ; 276 576 en 2019. 

Ces entrées se répartissent par motifs : 90 000 familial; 90 000 pour études, 38 700 à des fins professionnelles ; 36 200 humanitaires (réfugiés et étrangers malades). Une grande partie de ces chiffres (indéterminée) correspond, non pas à des entrées physiques l’année même, mais à des régularisations de migrants en situation illégale, entrés des années auparavant : l’immigration irrégulière nourrit ainsi les statistiques de l’immigration régulière. En outre, le nombre des immigrés qui repartent (parmi les étudiants par exemple) est méconnu, ce qui empêche de mesurer le solde migratoire.

Par ailleurs, même tendance à la hausse des demandeurs d’asile (total incluant les premières demandes et demandes réexamen) : 20 000 en 1995, 45 000 en 2004, 61 468 en 2012, 162 640 en 2018, 177 822 en 2019. Il faut noter que seuls 30 à 40 000 sont reconnus comme réfugiés par l’OFPRA et la cour nationale du droit d’asile (en appel des décisions négatives de l’OFPRA). Les autres deviennent des migrants en situation irrégulière et restent dans 94% des cas sur le territoire selon un rapport de la Cour des Comptes de 2016. 

Le nombre des migrants se maintenant en France en situation illégale peut être estimée sur la base de l’Aide Médicale d’Etat qui leur est accordée : 150 000 bénéficiaires en 2004, 320 000 en 2019.Cenombre ne mesure pas un flux mais celui des migrants présents à un moment donné. Il ne représente qu’un plancher car un nombre indéterminé de migrants en situation irrégulière ne sont pas inscrits à l’AME.

La question fondamentale qui est posée est celle de l’intégration des nouveaux arrivants. Comment avec un flux aussi important, intégrer correctement ces nouveaux arrivants dans un pays qui compte 4 à 6  millions de chômeurs, 10 millions de pauvres et 3 à 4 millions de mal-logés ? D’autant plus que les nouveaux arrivants proviennent pour la plupart de pays où les croyances, les mœurs, modes de vie, parfois la langue, sont différents de ceux de la tradition des pays d’accueil, ce qui ne peut que renforcer les difficultés d’adaptation.  

Atlantico : Le nombre d'expulsions, bien qu’en augmentation, est largement inférieur au nombre de migrants en situation irrégulière en France, pourquoi ce chiffre reste-t-il si bas ?

Arnaud Lachaize : Les mesures d’éloignement forcé en dehors de l’espace de l’Union européenne ont atteint 8858 en 2019. Ce chiffre est en augmentation mais il reste marginal par rapport au nombre de migrants en situation illégale. On estime que 15% seulement des décisions d’éloignement prises par les préfets sont mises en œuvre, pour deux raisons : l’enchevêtrement inextricables des procédures de recours contre les décisions d’éloignement qui combinent compétences du juge administratif et du juge des libertés ; le refus des pays d’origine d’accorder des laisser passer consulaires pour reprendre les migrants illégaux sur leur territoire. La moyenne des laisser-passer accordés varie entre 30 et 40% Certains pays refusent systématiquement de reprendre leurs migrants interpellés dans l’illégalité en France. En outre, la procédure française de reconduite à la frontière est d’une extrême complicité, quasi indescriptible, entre la multiplicité des recours, les compétences enchevêtrées des juges des libertés et des juges administratifs. La loi du 7 mars 2016 est exemplaire à cet égard. En mettant fin à la possibilité pour le préfet de décider une rétention administrative de 5 jours avant l’intervention du juge des libertés, elle a rendu extrêmement complexe la mise en œuvre des mesures d’éloignement. Le pouvoir politique, par-delà les coups de menton, depuis 2012 a une grande responsabilité à cet égard. 

Atlantico : Quels sont les freins que rencontre la France pour réguler son immigration ?

Arnaud Lachaize : Ils sont de deux ordres. Certains de niveau supérieur au lois, échappent aux politiques. Ainsi, la CEDH et la jurisprudence de la Cour de Strasbourg sont invoquées par les tribunaux pour annuler des mesures de reconduite à la frontière au titre du droit au respect de la vie privée et familiale. En outre les règlements et les directives de l’Union européennes et la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union européenne encadrent de plus en plus étroitement l’administration des étrangers en France et en Europe. Ainsi, c’est la directive éloignement de 2008 et son interprétation par le CJUE ont abouti à une dépénalisation partielle du séjour illégal. La jurisprudence du Conseil constitutionnel a de même un impact considérable sur la politique migratoire. Ainsi, deux décisions de cette juridiction suprême, de 1993 et de 2003 assurent aux migrants en situation illégale un droit au mariage, donc à terme, une régularisation. Cette influence du Conseil sur le droit des étrangers a connu une nouvelle impulsion avec la constitutionalisation du « principe de fraternité » par décision du 6 juillet 2018, qui dépénalise l’aide à la circulation des migrants en situation irrégulière sur le territoire français. 

Cependant, le manque de courage des autorités politiques aggrave ces blocages. Rien n’oblige les Etats européens, par exemple, à abandonner la maîtrise de la Méditerranée à des filières esclavagistes qui accumulent des fortunes gigantesques sur le trafic des personnes. Rien de la CEDH ou du droit européen, sauf le manque de courage, n’interdit aux Etats d’imposer un blocus maritime au passeurs esclavagistes. De même, rien, de la CEDH ou du droit européen n’empêche l’Europe, première puissance mondiale par ses PIB additionnés, à prendre ses responsabilités dans l’aide au développement de l’Afrique. Rien non plus n’interdit aux Etats de se montrer ferme dans la lutte contre l’immigration illégale en contrôlant efficacement les frontières et en raccompagnant dans leur pays d’origine les migrants en situation illégale. Le droit international et européen a parfois bon dos pour dédouaner les politiques de leur renoncement.

Atlantico : La France peut-elle encore limiter son immigration illégale ? Si oui, comment ?

Arnaud Lachaize : Il faut une authentique et très forte volonté politique   pour restaurer la maîtrise de l’immigration. D’abord, en finir avec les mensonges démagogiques : l’idée « d’immigration zéro » est totalement impossible et irréaliste dans un mode ouvert. Ce n’est qu’un slogan mensonger qui favorise par réaction le slogan inverse : l’ouverture illimitée. Pour restaurer la maîtrise des flux migratoire, c’est-à-dire les ramener à un niveau raisonnable, adapté aux capacités d’accueil du pays et les stabiliser, il y a beaucoup de choses à faire : relancer la politique de codéveloppement, organiser un blocus européen contre les passeurs criminels, lutter avec la plus grande fermeté contre l’immigration irrégulière, réserver l’asile aux seuls victimes de persécutions, conditionner l’accueil des étudiants étrangers à la qualité des études, soumettre à des plafonds quantitatifs l’immigration familiale et l’immigration du travail, en fonction de la situation du marché du travail des Etats. Sortir de la provocation, de l’idéologie et de la démagogie pour travailler sérieusement, mais nous en sommes loin…

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