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Les marchés financiers et la bourse, Photo d'illustration AFP
Les marchés financiers et la bourse, Photo d'illustration AFP
©JOHANNES EISELE / AFP

Boom de la Tech 2000, le retour ?

Alors que l’affluence au salon Viva Tech 2023 s’est notamment jouée autour de l’enthousiasme pour les solutions d’IA, cet intérêt se traduit par une flambée de la valorisation des acteurs du secteur à travers le monde

Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

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Atlantico : Le salon Viva Tech, plus grand événement européen dédié aux startups, a eu lieu du 14 au 17 juin 2023 à Paris. Avec une affluence largement due à l’enthousiasme pour les solutions d’IA, on a vu une flambée de la valorisation des acteurs du secteur à travers le monde. Mais jusqu’à quel point ? 

Michel Ruimy : Il convient de noter que les programmes de « trading », basés sur des versions antérieures de l’intelligence artificielle (IA), existent depuis des décennies. Ce concept est donc commun / banal pour certaines institutions financières traditionnelles.

Cette technologie-clé pour l’avenir suscite, de nos jours, un grand intérêt en raison de son déploiement, potentiellement rapide et généralisée, au sein de la société (demande des consommateurs, réglementations gouvernementales…). Si elle inquiète certains acteurs, elle en charme d’autres qui, y voyant des perspectives de croissance, investissent massivement dans la recherche et le développement. Ceci peut avoir un impact sur leurs performances financières et, in fine, sur la valorisation de leurs actions. 

Mais, l’engouement actuel pour l’IA, ses développements et sa diffusion étant aujourd’hui inconnus, il est difficile de répondre précisément à votre question d’autant que « les arbres ne montent pas jusqu’au ciel ». N’oublions pas que les marchés financiers sont, notamment des marchés d’anticipation. La volatilité future des cours boursiers des entreprises du secteur évoluera, en partie, vraisemblablement au gré des incertitudes entourant les perspectives de l’industrie et des attentes des investisseurs. 

Cette frénésie sans précédent dans ces technologies est-elle comparable à la fièvre des « dot.com » de la fin des années 1990 ? 

Il existe certaines similitudes entre l’engouement actuel entourant les technologies d’IA et l’importante excitation vis-à-vis des dot.com de la fin des années 1990. En effet, les investisseurs et le grand public manifestent, de manière générale, un vif intérêt pour les entreprises technologiques émergentes, espérant profiter des opportunités de croissance et de rendement financier élevé. En outre, les entreprises liées à l’IA sont aujourd’hui souvent valorisées à des niveaux élevés voire excessifs, déconnectés de leurs fondamentaux intrinsèques. De manière similaire, de nombreuses firmes liées au secteur de l’Internet soit ont connu une forte volatilité, soit étaient surévaluées, ce qui a contribué à la formation d’une bulle spéculative. 

Cependant, des différences significatives entre les deux périodes existent aussi. L’IA s’appuie sur des fondements technologiques réels plus solides. Elle a déjà démontré son potentiel dans divers domaines (santé, transports, finance, industrie…) et les entreprises développent déjà cette technologie pour améliorer leurs opérations et fournir de nouvelles solutions à leurs clients, ce qui n’a pas été toujours le cas pour les entreprises de l’Internet. Ceci peut justifier une partie de l’optimisme entourant son développement futur et peut être appréhendé comme le signe d’une adoption plus répandue et d’une demande croissante de l’IA, qui peuvent soutenir la croissance de l’industrie à long terme. Par ailleurs, les investisseurs et les acteurs du marché ont tiré des leçons de la bulle des dot.com. Les réglementations et les pratiques d’investissement sont devenues plus prudentes et les évaluations sont souvent basées sur des fondamentaux plus solides. Ceci peut aider à éviter certaines erreurs du passé.

Cette euphorie financière pourrait-elle se transformer en bulle spéculative ? 

On ne parle traditionnellement de bulle spéculative que si une divergence importante entre la valeur réelle des actifs et leur valorisation sur les marchés est constatée. La formation d’un tel phénomène est un processus complexe dans lequel il n’y a pas de schéma précis décrivant la manière de son développement et prédisant la date de la survenance de son éclatement.

Concernant l’IA, ceci peut arriver si, dans un environnement médiatique considérable comme aujourd’hui, les investisseurs, pris d’une confiance irrationnelle, ignorant les mesures traditionnelles de valorisation et se concentrant davantage sur des indicateurs spéculatifs ou des promesses de croissance future, placent progressivement de plus en plus de capitaux dans le secteur, contribuant ainsi à la naissance d’une bulle. Ce mouvement s’accompagne, en général, d’un comportement grégaire : la hausse des cours boursiers et le succès apparent de ceux qui ont investi peuvent inciter de plus en plus de personnes à rejoindre le mouvement, créant ainsi un effet de mimétisme (fear of missing out - FOMO). 

Ces dernières années, de nombreuses sociétés d’IA, suscitant un intérêt croissant de la part des investisseurs, ont levé d’importants capitaux et ont connu une croissance significative. Ce contexte doit inspirer la prudence et une recherche et une analyse approfondie des informations pour éviter les pièges de la spéculation excessive. Devant les multiples incertitudes touchant le secteur, il convient d’être avisé en essayant de reconnaître les signes avant-coureurs de l’éclatement d’une éventuelle bulle (hausse rapide du prix des actifs, forte augmentation du volume des transactions, endettement massif des investisseurs, sentiment d’euphorie et/ou d’optimisme excessif…) et de déterminer le moment où la tendance s’inverse (baisse tendancielle de la demande et domination des vendeurs sur le marché).

Nous sommes peut-être à l’aube d’une révolution sociétale mais il convient, malgré tout, d’être vigilant dans la mesure où les marchés financiers sont interconnectés et globalisés.

Faut-il craindre une explosion, à plus ou moins long terme ? Si oui, quel serait l’élément déclencheur ? 

Les bulles ne se forment pas sans raison. Tout ce qui avait été dit, il y a 25 ans, sur les potentialités de l’Internet s’est réalisé. Le monde a changé plus qu’avaient prédit les plus gros investisseurs et analystes de l’époque. Et pourtant, presque aucune des entreprises de la fin des années 1990 n’existe encore. Les investisseurs avaient raison sur le concept mais se sont trompés sur les « chevaux » sur lesquels ils avaient misé bien trop tôt. Il est donc possible de croire simultanément dans les prometteuses perspectives d’évolution de l’IA qui a le potentiel de transformer de nombreux secteurs de l’économie (croissance du marché, réduction des coûts de production et augmentation de la productivité, optimisation des processus, nouvelles opportunités de création de valeur…) tout en croyant que les actions cotées en bourse engagées dans ce secteur ne méritent pas un investissement.

Les freins au développement de cette technologie sont peut-être l’impact sur la nature du travail ainsi que les défis éthiques et réglementaires s’y afférant. 

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