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Quand Poutine voulait 
"buter les Tchétchènes 
jusque dans leurs chiottes"
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Siècle rouge

Vladimir Fédorovski, diplomate russe qui a subi de l'intérieur le système totalitaire et participé à sa destruction et Alexandre Adler, intellectuel européen d'abord séduit par le communisme, qui a finalement perdu ses premières illusions, racontent "Le Siècle rouge". De la révolution bolchevique à la guerre froide, de la perestroïka à l'arrivée au pouvoir de Vladimir Poutine. Extraits (2/2).

Alexandre Adler et Vladimir Fédorovski

Alexandre Adler et Vladimir Fédorovski

Alexandre Adler est, entre autres, éditorialiste au Figaro et à Europe 1. Il est spécialiste des questions de géopolitique internationale contemporaine

Vladimir Fédorovski est porte-parole du Mouvement des réformes démocratiques en Russie lors des grands bouleversements à l'Est et auteur de plusieurs best-sellers internationaux. Il est aujourd'hui l'écrivain d'origine russe le plus édité en France.

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Alexandre Adler : Comment Poutine a-t-il succédé à Eltsine ? C’est tout simple. Il y avait trois candidats à la présidence : un vieux du KGB, un adversaire du KGB et un proche du KGB carrément nationaliste. Puisqu’il n’y avait pas d’autre choix que de s’en remettre au KGB, il apparut préférable de rajeunir et de moderniser les cadres. Poutine a d’autant mieux joué ce jeu qu’il avait commencé sa carrière politique intérieure en tant qu’adjoint du maire de Saint-Pétersbourg, Anatoli Sobtchak – le plus démocrate des réformateurs – et qu’il avait été chassé de son poste, de même que son patron, par les mafieux, dès 1995.

Poutine passait donc pour avoir souffert en défendant des idées libérales et présentait un certain nombre de garanties. Cela étant, pour succéder au Premier ministre Primakov, le choix initial d’Eltsine s’était porté sur un autre officier du KGB, Sergueï Stepachine, lequel, à peine nommé, avait commencé à s’entendre avec Primakov dont il jugeait le retour inévitable. L’un et l’autre, parce qu’ils étaient des modérés dans l’âme, avaient recommencé à négocier avec les Tchétchènes. Stepachine est écarté, Vladimir Poutine nommé à sa place. Et c’est là que, à peine arrivé aux commandes, il déclare vouloir « buter les Tchétchènes jusque dans leurs chiottes » et poursuivre la modernisation, sans pour autant revenir, quitte à l’infléchir, sur la société créée par Eltsine. C’est ce message à la fois de fermeté face aux dissidences et au terrorisme, et de modernité en termes économiques qui était attendu par les Russes, et qui explique l’élection de Poutine en mai 2000 à la présidence de la Fédération.

Vladimir Fédorovski : Poutine a été élu, mais grâce aussi à un certain nombre de parrains, comme le voulait le caractère très structuré du système oligarchique. Dans ses rangs, on repère un personnage emblématique, Boris Berezovski, doté d’une fortune colossale, qui a purement et simplement adoubé Poutine. Pourquoi ? Parce que l’oligarchie voyait en Primakov un véritable adversaire et qu’elle ne voulait surtout pas qu’il revienne aux affaires. Cela montre encore une fois que la politique est imprévisible, surtout les politiques russe et arabe : de fait, si l’on s’étonne que personne n’ait vu venir le Printemps arabe, il ne s’est pas trouvé un seul analyste au monde pour prévoir la fin de l’union soviétique et le choix de Poutine. C’est un choix qui s’est fait « au flair » et qui s’est porté sur un homme totalement méconnu du public occidental !

Poutine a certes bénéficié du parrainage des oligarques, mais aussi de celui de la force structurée des anciens des services spéciaux. Le KGB, en plein désarroi dans les trois mois qui ont suivi le putsch manqué, s’est peu à peu ressaisi sous Eltsine et s’est pratiquement rétabli sous Poutine qui en était devenu le patron à la fin de l’ère Eltsine, de juillet 1998 à sa nomination comme Premier ministre en août 1999.

Le KGB – désormais FSB, Service fédéral de sécurité – a choisi d’enrayer le recul de la Russie, de changer le système sans en modifier le fonctionnement sur le fond, en prenant lui-même la place de l’ancienne oligarchie de manière à se garder toute la part du gâteau. De ce point de vue, Poutine bénéficiait d’une double filiation du fait de sa défense des idées libérales à Saint-Pétersbourg et de son appartenance aux services secrets.

Le nouveau maître du Kremlin a surpassé dans l’art politique aussi bien Gorbatchev et son ambiguïté, qu’Eltsine et son flair. Au départ totalement inconnu, il a ainsi su s’imposer grâce à la télévision et à sa capacité à utiliser le « code mental du pays ».

Comment Poutine s’y est-il pris ? Dès sa nomination comme Premier ministre, il a prononcé cette phrase que tu as rappelée, absolument incroyable et parfaitement calculée, bien que pouvant passer pour un dérapage – je sais qu’il l’a testée à plusieurs reprises auprès de ses collaborateurs, de ses conseillers et de son entourage : « On va buter les Tchétchènes jusque dans les chiottes ! » La formule est certes choquante, y compris pour les occidentaux, mais elle est très bien passée. Pourquoi ? Parce que le pays était criminalisé, qu’il vivait dans un sentiment de recul et d’humiliation, et que les Russes, après avoir vu pendant des mois sur leur petit écran le visage complètement bouffi d’Eltsine, ont apprécié l’image et la fermeté de Poutine, lorsqu’il a pris le micro après le journal télévisé du soir.

C’est par cette formule, par son image et par l’habileté de son utilisation du code mental du pays qu’il s’est imposé, sans oublier le soutien que lui ont apporté les oligarques, l’armée et le KGB – les trois piliers de son système. Il faut dire que dans cette affaire, les gens qui, comme Boris Berezovski, pensaient tenir leur tsar se trompaient lourdement, car, à peine élu, un tsar vous tient. La donne allait changer. Ainsi, le premier acte de Poutine a été de limoger Boris Berezovski parce qu’il en savait trop. Sa liquidation a été si radicale que Poutine, lorsqu’on lui a demandé ce qu’il pensait du personnage, a répondu : « Mais qui est Berezovski ? »

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Extraits deLe Roman du Siècle rouge, Éditions du Rocher (16 février 2012)

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