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Hillary Clinton est-elle en train de promettre une rupture entre les Etats-Unis et l'Arabie Saoudite ?
©Flickr / marcn

La rupture tranquille

Réagissant à l'attentat d'Orlando, Hillary Clinton a fermement demandé à l'Arabie Saoudite, au Koweït et au Qatar de ne plus se montrer aussi complaisants avec l'islamisme radical. Une prise de position pas si étonnante que cela pour celle qui briguera la Maison Blanche en novembre prochain.

Yannick Mireur

Yannick Mireur

Yannick Mireur est l’auteur de deux essais sur la société et la politique américaines (Après Bush: Pourquoi l'Amérique ne changera pas, 2008, préface de Hubert Védrine, Le monde d’Obama, 2011). Il fut le fondateur et rédacteur en chef de Politique Américaine, revue française de référence sur les Etats-Unis, et intervient régulièrement dans les médias sur les questions américaines. Son dernier ouvrage, Hausser le ton !, porte sur le débat public français (2014).

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Atlantico : Ce lundi, en réaction à la tuerie d'Orlando, Hillary Clinton a fustigé dans un discours à Cleveland l'attitude de l'Arabie Saoudite, du Qatar et du Koweït, qui devraient selon elle "cesser de soutenir financièrement les écoles et mosquées radicales". Dans quelle mesure peut-on penser que les positions très tranchées en politique étrangère de son futur adversaire Donald Trump ont incité la candidate démocrate à adopter cette posture agressive, peu habituelle chez elle ?

Yannick Mireur : Plusieurs éléments déterminent cette position en effet peu attendue.

Tout d'abord, la prise de conscience plus nette sous Barack Obama de la perversité de l'alliance américano-saoudienne, du danger que représentent les régimes autoritaires incapables d'offrir un avenir à leur jeunesse nombreuse et qui ne se pérennisent que par la rente des hydrocarbures. Nous sommes peut-être ici face à un nouveau chapitre de l'histoire entre les Etats-Unis et les monarchies pétrolières.

S'ajoutent à cela les conséquences stratégiques imprévues de l'invasion de l’Irak. Cette politique a favorisé la position stratégique de l'Iran dans la région, en raison notamment de la majorité chiite en Irak, excitant donc par la même occasion la rivalité avec l'Arabie Saoudite.

Il y a déjà ainsi un substrat de la réorientation de la politique de Barack Obama qui crée une base de départ pour Hillary Clinton, qui a par ailleurs été l'un des instruments de cette politique présidentielle en tant que secrétaire d'Etat.

Ensuite, dans le contexte électoral, il y a une règle d'or dans la vie politique américaine. Lorsque l'économie va bien, cela bénéficie au pouvoir en place, mais peut-être plus particulièrement aux Démocrates. Lorsqu'il y a des défis de sécurité nationale, le petit bonus est plutôt pour les Républicains. En l'occurrence, l'économie américaine ne va pas si mal (d'où une cote de popularité assez élevée pour Barack Obama), mais le drame d'Orlando bénéficie, au moins dans l'immédiat, au discours de Donald Trump : un discours simple, facile, contre l'islamisme radical... Une dimension supplémentaire est d'ailleurs visible ici : en focalisant sur l'islamisme radical, il critique à bon droit les précautions de langage prises par la classe politique ficelée par le politiquement correct et qui ne nomme pas les choses. Cela trouve un écho auprès d'une bonne partie de l'opinion.

Ces deux conditions – l’héritage des huit dernières années et le contexte électoral  incitent évidemment Hillary Clinton, qui a toujours cultivé une image – pour le coup cette fois authentique  de quelqu'un de proche des problématiques de sécurité nationale et du monde militaire, même en ayant été féministe dans sa jeunesse, à apparaître comme déterminée sur le front de la sécurité et de la politique extérieure.

Cultiver cette image-là est d’autant plus important pour une candidate qui prétend devenir commandant en chef. Il s’agit donc de bien occuper ce terrain, qui bénéficie traditionnellement aux Républicains, face à un adversaire dont elle sait très bien qu'il saura l’exploiter avec habileté.

Voilà les conditions qui dictent son discours par rapport aux pays du Golfe.

Si jamais Hillary Clinton est élue Présidente, aura-t-elle les moyens de maintenir cette ligne de pression envers l'Arabie Saoudite ? Le rôle économique et géopolitique du Royaume, ainsi que le contexte politique au Congrès américain, ne représentent-ils pas de sérieux obstacles ?

Il y a toujours un hiatus entre les discours électoraux et la réalité des politiques mises en œuvre ensuite. Les premiers concernés, les dirigeants américains comme les dirigeants des pays du Golfe, ne sont pas dupes. En revanche, cela peut signaler une préoccupation américaine quant à la stabilité régionale, qui repose avant tout sur la stabilité intérieure des pays. C'est tout l'enjeu évoqué précédemment : ces pays doivent être capables de réformes, notamment en Arabie Saoudite, pour apporter à la société civile une vision nouvelle pour son avenir.

Ce sera un enjeu régional et international important. En tant qu'alliées des Etats-Unis et des Occidentaux d'une façon générale, les monarchies pétrolières ne peuvent nier qu'elles sont devant un défi intérieur très fort. Au niveau international, cela s'exprime par une révision des liens étroits qui unissent une partie de leurs dirigeants aux milieux islamistes internationaux ; voilà le sens des remarques de Clinton.

En clair, quel que soit l'élu aux Etats-Unis, Washington et ses alliés occidentaux sont placés devant la nécessité de défaire un nœud gordien, à savoir une alliance contre-nature avec des régimes quasi-théocratiques qui nourrissent les mouvements radicaux qui essaiment au cœur des sociétés occidentales, sachant qu’une bonne partie des élites de ces pays – je pense notamment à l'Arabie Saoudite – ne respectent pas personnellement la conduite dictée par les lois religieuses en vigueur dans leur pays.

Pour ce qui est de la situation intérieure américaine, je pense que s'il y a victoire démocrate à la présidentielle, les Démocrates ont de bonne chances de remporter aussi la majorité au Congrès (conserver le Sénat et reconquérir la Chambre), ce qui donnerait une marge de manœuvre à une présidente Clinton.

Par cette déclaration sans ambiguité envers l'Arabie Saoudite et les pétromonarchies du Golfe, Hillary Clinton confirme-t-elle le changement de stratégie des Etats-Unis et surtout des démocrates au Moyen-Orient, alors que Barack Obama a notamment beaucoup oeuvré pour le dégel des relations avec l'Iran ?

Je pense qu'elle s'inscrira dans la ligne révisionniste et l'actualisation voulue par Barack Obama, qui consiste à briser l'isolement des relations américano-iraniennes et à renouveler l'influence des Etats-Unis dans la région via l'Iran, dans un contexte de recul très net de leur poids politique et de leur perception par les opinions publiques dans la région suite à l'opération en Irak.

Ce rééquilibrage sera très probablement poursuivi par une éventuelle administration Clinton.

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