Guerre en Ukraine : ce narratif sur lequel l’Occident peine encore à s'accorder un an après l’invasion russe <!-- --> | Atlantico.fr
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Le président américain, Joe Biden, s’est exprimé hier devant le château de Varsovie.
Le président américain, Joe Biden, s’est exprimé hier devant le château de Varsovie.
©Wojtek Radwanski / AFP

Ambiguïté

Vladimir Poutine et Joe Biden se sont livrés à distance à un duel de narratifs sur la guerre : paranoïaque, menaçant, mais monolithique côté russe, centré sur la défense de la liberté côté occidental.

Guillaume Lagane

Guillaume Lagane

Guillaume Lagane est spécialiste des questions de défense.

Il est également maître de conférences à Science-Po Paris. 

Il est l'auteur de Questions internationales en fiches (Ellipses, 2021 (quatrième édition)) et de Premiers pas en géopolitique (Ellipses, 2012). il est également l'auteur de Théories des relations internationales (Ellipses, février 2016). Il participe au blog Eurasia Prospective.

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Vous pouvez retrouver un papier sur les trois objectifs de Vladimir Poutine lors de ses discours. 

Atlantico : Vladimir Poutine a donné un discours dans lequel il a réitéré sa critique d'un occident décadent. L'une des raisons pour lesquelles l'Occident n'a pas réussi à contrer les messages et les opérations d'influence de la Russie en dehors de l'Europe est qu'il n'a pas encore formulé son propre discours cohérent sur la guerre - et sur les raisons pour lesquelles l'Occident soutient Kiev. Comment l’expliquer ?

Guillaume Lagane : Une des difficultés réside dans le fait que l’Occident n’est pas uni sur la manière dont il faut soutenir l’Ukraine. Il est uni sur le fait qu’il est nécessaire de soutenir le régime de Kiev, mais des divergences existent entre ceux qui, à l’est de l’Europe, font une lecture du conflit en termes idéologiques - autrement dit, la démocratie contre la dictature - et qui souhaitent infliger une défaite sévère à la Russie, et ceux qui, à l’ouest du continent, jugent que l’Ukraine doit l’emporter mais sans que cela débouche sur une humiliation de la Russie. C’est tout le discours d’Emmanuel Macron par exemple.

Les uns soutiennent Kiev au nom de la démocratie, les autres de manière plus restreinte, sur le simple principe de la souveraineté, qui a été violé il y a un an par la Russie. 

Pourquoi, en un an, les choses n’ont-elles pas réussi à se mettre en place ?

Les Occidentaux sont entrés dans cette guerre à reculons car ils ne l’ont pas voulue. Au début, les propositions faites aux Ukrainiens étaient minimes. Aujourd’hui, c’est évidemment moins le cas puisqu’on évoque par moments la livraison possible d’avions de combat.

Le soutien a perduré, mais les raisons pour lesquelles on soutient l’Ukraine continuent d’être variables selon les capitales occidentales.

Quelles sont les différentes nuances lexicales affichées par les leaders occidentaux ?

Il y a des nuances qui tiennent à la personnalité des dirigeants et à la tradition diplomatique de chaque Etat. Aux Etats-Unis, il y a un soutien à la démocratie en tant que telle en Ukraine, même si le discours de Joe Biden peut être critiqué par certains haut gradés américains, qui visent toujours la Chine comme ennemi numéro un et principale menace, et préfèrent ne pas se laisser divertir par la guerre en Ukraine.

Sur le continent européen, il y a des nuances entre l’est et l’ouest, comme je l’évoquais précédemment, mais on peut faire le même constat entre les pays du nord et ceux du sud. La Suède et la Finlande tiennent un discours assez proche des Polonais, qui s’explique par la peur d’être les suivants sur la liste. Le fait que la Suède et la Finlande souhaitent intégrer l’Otan est une révolution et signe la fin de la politique de neutralité promue depuis deux siècles. Dans le sud, les pays restent plutôt discrets, même si l’Italie a fait un virage assez net en faveur de Zelensky depuis l’arrivée de Meloni, alors même que Berlusconi et Salvini, qui font partie de la coalition au pouvoir en Italie, sont critiques envers ce soutien.

Sur quels points les Européens (y compris entre eux) et les Américains n’arrivent pas à coordonner leur discours  ?

La pierre d’achoppement principale concerne la finalité de ce conflit. Emmanuel Macron souhaite négocier la paix, mais une autre partie des Européens estime que tous les conflits ne se terminent pas par un accord. De ce point de vue, c’est assez vrai puisque la Seconde Guerre mondiale s’est terminée par la défaite pure et simple du régime nazi. Cela renvoie donc aux imaginaires historiques de chacun des pays occidentaux.

Dans le camp macronien, on estime que cette guerre est assez similaire de ce que l’on a pu voir lors de la Première Guerre mondiale, avec une lutte entre deux nationalismes, celui de l’Ukraine ( l’idée que l’Ukraine doit avoir sa propre culture, sa propre langue) et celui de la Russie (avec la politique de la « grande Russie »). A l’est du continent européen, on voit cette guerre comme une réplique de la Seconde Guerre mondiale, dans le sens où c’est une guerre idéologique entre deux régimes impossibles à concilier. Pour eux, l’un doit disparaître pour que la paix revienne.

Dans quelle mesure la relative acceptation de l’annexion de la Crimée est-elle (entre autres) à l’origine de l’absence de contre-discours européen ?

La Crimée est un peu à l’origine de cette ambivalence actuelle, car on a estimé à l’époque que l’annexion n’était pas si grave étant donné qu’il y avait une majorité de russophones sur ce territoire.

Ce discours acceptant le nationalisme russe a sûrement encouragé Vladimir Poutine à aller plus loin.

De quel narratif pourraient se doter les Occidentaux face à la Russie ?

Garder une certaine ambiguïté sur l’issue qu’on attend du conflit peut nous donner plus de marges de manœuvre. Mais il n’est pas certain qu’un accord établi avec le régime poutinien aboutisse à une paix durable. Quand on voit l’expérience de ces vingt dernières années, on a plutôt l’impression qu'à chaque fois qu’on a voulu établir un compromis avec la Russie, on s’est retrouvés dans une situation encore plus problématique la fois suivante. La Russie est un état nucléarisé, ce qui ne facilite pas les choses.

En réalité, aucun dirigeant occidental ne sait ce vers quoi on se dirige. Les Occidentaux sont de plus en plus certains que la guerre va durer longtemps. C’est pourquoi on peut penser que la variété des narratifs occidentaux peut être un avantage puisque cela nous laisse une pluralité d’issues pour terminer la guerre. Comme le disait le cardinal de Retz, « on ne sort de l'ambiguïté qu'à son détriment ». 

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