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Guerre des primaires : les tensions Sarkozy Juppé pourraient-elles finir par déboucher sur une double candidature en 2017 ?
©Reuters

Gue-guerre

En début de semaine, les tensions au sein des Républicains se sont exacerbées avec pour objet de désaccord le nombre de bureaux de vote mis en place pour la primaire. Dans ce climat, certains n'écartent pas la possibilité d'abandon de celle-ci, son contournement potentiel par l'un des deux candidats... Peut-êrtre même une double candidature Nicolas Sarkozy-Alain Juppé aux Présidentielles de 2017 !

Xavier  Chinaud

Xavier Chinaud

Xavier Chinaud est ancien Délégué Général de démocratie Libérale et ex-conseiller pour les études politiques à Matignon de Jean-Pierre Raffarin.

Aujourd’hui, il est associé du cabinet de stratégie ESL & Network.

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Roland Hureaux

Roland Hureaux

Roland Hureaux a été universitaire, diplomate, membre de plusieurs cabinets ministériels (dont celui de Philippe Séguin), élu local, et plus récemment à la Cour des comptes.

Il est l'auteur de La grande démolition : La France cassée par les réformes ainsi que de L'actualité du Gaullisme, Les hauteurs béantes de l'Europe, Les nouveaux féodaux, Gnose et gnostiques des origines à nos jours.

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Jean Petaux

Jean Petaux

Jean Petaux, docteur habilité à diriger des recherches en science politique, a enseigné et a été pendant 31 ans membre de l’équipe de direction de Sciences Po Bordeaux, jusqu’au 1er janvier 2022, établissement dont il est lui-même diplômé (1978).

Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, son dernier livre, en librairie le 9 septembre 2022, est intitulé : « L’Appel du 18 juin 1940. Usages politiques d’un mythe ». Il est publié aux éditions Le Bord de l’Eau dans la collection « Territoires du politique » qu’il dirige.

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Atlantico : Gilles Boyer, directeur de campagne d'Alain Juppé réagissait à l'offensive du président des Républicains dans les colonnes du Monde : "Il y a un accord politique voté à l’unanimité du bureau politique, qui prévoit 10 000 bureaux de vote donc dans notre esprit, ce chiffre n’est pas contestable […] Ce n’est pas lui (Nicolas Sarkozy, ndlr) qui aura à s’occuper de l’organisation de la primaire donc qu’il ne se fasse pas de mouron…". Dans ce climat,  certains n'écartent pas l'hypothèse d'une primaire abandonnée, ou contournée par l'un des deux candidats. 

Jean Petaux : Cela fait des mois qu’une guérilla plus ou moins intense voit s’affronter les deux principaux concurrents de la primaire à droite. Et si ce ne sont pas les concurrents eux-mêmes ce sont, et c’est « normal », leurs équipes. Les motifs de querelles ne manquent pas. Dès lors que Nicolas Sarkozy est revenu à la présidence du principal parti de droite et qu’il entend également se présenter aux primaires organisées par cette même formation, il est forcément dans la situation de « l’arbitre qui joue dans la partie » ou, plus simplement, du « juge-acteur ». D’autant qu’il n’a caché ni ses choix ni ses intérêts, fidèle à sa démarche habituelle : « je dis ce que je fais et je fais ce qui me dit ». Quels sont les sujets qui font débat et sont donc sources de contentieux entre Sarkozy et Juppé ? On peut les regrouper en deux catégories : les questions techniques organisationnelles et les suspicions de manœuvres politiques.

Au plan technique il y a  bien sûr les conditions matérielles de l’organisation des primaires. Vous citez Gilles Boyer, le directeur de campagne d’Alain Juppé qui pointe la question du nombre de bureaux de vote. Nicolas Sarkozy souhaite ramener ce chiffre à 8.000 alors qu’Alain Juppé tient pour l’accord fixé au sein de la commission présidée par Thierry Solère, soit plutôt 11.000, et entériné par le bureau politique de LR. Quel est l’enjeu ici ? Moins il y aura de bureaux de vote et moins il y aura d’électeurs de droite qui se déplaceront pour voter. Moins il y aura de votants et plus, proportionnellement, les adhérents au parti LR seront nombreux et pèseront sur le résultat du scrutin, plus Sarkozy aura de chance de l’emporter. Autre question technique essentielle et peu évoquée : où implanter les bureaux de vote ? en fonction de quels critères ? Le principe retenu est celui d’un certain nombre de bureaux par circonscriptions législatives avec un « renfort » et un surplus dans les endroits où la droite républicaine est traditionnellement bien implantée et connait de bons résultats. Quelle va être l’élection de référence pour choisir ces lieux ? Sarkozy et les siens disent : « on prend comme indicateur le résultat de Nicolas Sarkozy au premier tour de la présidentielle 2012 » ; Juppé et les siens disent : « on prend comme mesure, puisque ce sont des primaires ouvertes des « Républicains »  jusqu’au MODEM en passant par l’UDI, les scores additionnés des candidats Sarkozy et Bayrou au premier tour d’avril 2012 ». Colère des sarkozystes dont le sang ne fait qu’un tour à l’évocation du seul nom de Bayrou !

On pourrait ainsi multiplier les exemples de questions techniques, plus ou moins stratégiques, qui peuvent, selon qu’elles seront traitées dans un sens ou dans un autre, inférer le sort du résultat. Parmi ceux-ci, un argument ne va pas tarder à être évoqué : la question de la confidentialité des listes d’émargement. Si les sarkozystes s’emploient à faire fuiter l’information selon laquelle l’identité des personnes venues participer aux primaires de la droite à l’automne 2016 sera relevée (et forcément elle le sera sur les feuilles d’émargement constituées par les listes électorales), nombre d’électeurs modérés, non-affiliés à un des partis de la droite républicaine, tout simplement désireux de peser dans le choix du candidat à la présidentielle de 2017, auront peur d’être ainsi « dévoilés » et « identifiés » comme de droite et ne viendront pas voter. Rappelons que l’objectif d’Alain Juppé est de dépasser les 3 millions de votants. Celui de Nicolas Sarkozy est de resté sous l’étiage des 500.000 . Inutile d’épiloguer, il est clair que Sarkozy et les siens ont intérêt à ce que les électeurs de droite restent tranquillement chez eux les deux dimanches du vote…

Au plan politique, les juppéistes estiment, à bon droit, se fondant sur la « jurisprudence » des primaires citoyennes (« socialistes ») de 2011 que la multiplication des candidatures joue en faveur de Nicolas Sarkozy en fragilisant le score potentiel de leur leader Alain Juppé. A ce titre la candidature Le Maire est mal perçue car elle ressemble fort à celle d’un Montebourg (évidemment pas dans le contenu mais bien dans la démarche et la tactique) qui est venu perturber le jeu de Martine Aubry mais surtout de Ségolène Royal en incarnant une posture différente, nouvelle et « rafraichissante », quitte à rejoindre avec armes et bagages, fort de ses 17%, le candidat Hollande (qu’il avait copieusement insulté dès 2007 d’ailleurs….) arrivé en tête au soir du premier et torpiller ainsi un peu plus la candidature Aubry. De là à imaginer que Nicolas Sarkozy instrumentaliserait des candidatures pour affaiblir son principal concurrent… : on ne prête qu’aux riches. Ou à ceux dont les capacités manœuvrières sont estimées fortes.

Malgré ce climat plutôt délétère il est difficile d’imaginer, aujourd’hui, une rupture dans la démarche des primaires. Alain Juppé a dit, dès le départ, qu’il n’hésiterait pas à ne plus jouer le jeu des primaires s’il constatait, à un moment ou à un autre du processus, que celui-ci était perverti ou truqué. Sauf qu’il y a un vrai pas à franchir dans ce cas-là. Sarkozy est aux manettes et n’entend rien lâcher. La question des délégués départementaux, ces « préfets » du parti « Les Républicains », véritables « missi dominici » du président du parti, nommés par Sarkozy et qui n’ont de comptes à rendre qu’à lui seul, pour chaque département est bien la marque que l’ancien président de la République « ne lâche » rien et n’entend rien céder de son contrôle de fer sur l’organisation. En clair : Alain Juppé n’est pas loin d’être en train de se faire piéger dans cette configuration. S’il « renverse la table » il faut qu’il ait les arguments pour siffler la fin de partie et quitter l’aire de jeu. Mais il encourt le risque d’apparaître comme le diviseur, lui qui n’a jamais voulu jouer cela et qui préférerait laisser ce costume sur les épaules de Nicolas Sarkozy qui l’a déjà porté…. en 1993, en soutenant Edouard Balladur contre le président du RPR d’alors, Jacques Chirac.

Roland Hureaux : L'intérêt d'Alain Juppé est qu'il y ait le maximum de votants et  donc qu'il y ait le plus possible de bureaux de vote; or 10 000, c'est énorme. Nicolas Sarkozy peut redouter le poids de l'organisation de la primaire pour le parti dont il a la charge. Mais surtout, les sondages montrent que ses chances sont plus grandes si le vote est resserré sur le noyau dur des militants.

On peut craindre en effet, comme vous le suggérez, que la primaire n'aboutisse finalement pas en raison de désaccords sur la règle du jeu : les bureaux de vote ou autre chose. Mais nous n'en sommes pas encore là. Pour le moment, elle reste la perspective commune des candidats. Son abandon serait un coup dur pour la crédibilité des Républicains quel que soit le candidat restant: donc je ne pense pas qu' on en arrivera là dans l 'immédiat.  


La possibilité d'une double candidature en 2017 Nicolas Sarkozy-Alain Juppé peut-être alors envisagée ? Même s'il ne s'agit pas à ce jour du scénario le plus probable, pourquoi la question se pose-t-elle ? Comment pourrait-on en arriver là ?

Roland Hureaux : La possibilité d'une double candidature existe dans la mesure où il peut toujours y avoir désaccord sur la règle du jeu ou son application. Si le résultat est serré, comme il l'avait hélas été entre Fillon et Copé, le perdant peut dire que la règle n'a pas été respectée et ne pas se plier au verdict des urnes.

Mais franchement, je ne vois pas une double candidature Juppé-Sarkozy : il me semble que ce n'est dans la culture ni de l'un ni de l'autre qui sont en définitive tous les deux des hommes de parti. Je ne suis pas sûr non plus qu'ils soient l'un et l'autre assez motivés pour aller jusque là. Des rumeurs récurrentes de retrait proviennent de l'une et de l'autre équipe, mais s'il devait y avoir retrait, je doute que ce soit  au sein de ce binôme. Ni Juppé, ni Sarkozy ne voudront se retirer l'un pour l'autre. Et d'ailleurs ce serait dommage car il faut bien dire qu'ils représentent des tendances passablement distinctes.

Si l'on prend la droite et le centre en général, une double candidature Sarkozy-Bayrou est en revanche possible. Bayrou est assez poche de Juppé, pas seulement sur le plan géographique (Bordeaux-Pau)  mais sur celui des idées ; Bayrou ne sera donc pas candidat contre Juppé. Contre Fillon non plus, je crois : bien que leur ligne soit différente, ils ont une bonne opinion l'un de l'autre. En revanche Bayrou n'estime guère Sarkozy (qu'il a appelé à battre en 2012) . S'il y a une candidature Sarkozy, il y aurait aussi, on peut le craindre, une candidature Bayrou.

La possibilité d'une double candidature en 2017 Nicolas Sarkozy-Alain Juppé peut-être alors envisagée ? Même s'il ne s'agit pas à ce jour du scénario le plus probable, pourquoi la question se pose-t-elle ? Comment pourrait-on en arriver là ?

Xavier Chinaud : Il y a 3 scénarios dans votre contexte : la primaire se déroule telle que souhaitée, large et honnête ; la primaire dérape et est contestée à l’instar de l’élection pour la présidence de l’UMP en 2012 ; enfin celui dans lequel la primaire n’a pas lieu. Le plus probable reste le premier. Le deuxième pourrait se produire précisément si faute d’indépendance et de contrôle, le processus était manipulé par le seul parti Les Républicains au détriment des candidats et des partenaires centristes qui en accepteraient le principe. Le troisième se poserait si au-delà de la guerre des nerfs, la charte des primaires n’était plus du tout respectée.

Il faut aujourd’hui raison garder, la primaire est prévue dans un an, nous sommes aujourd’hui dans une période de faux plat où officiellement les énergies sont tournées vers les élections régionales mais qui laisse place à un marquage voire à la provocation, mais cela évoluera. J’évoquais dans ces colonnes le 10 septembre dernier tout ce qui restait à organiser pour que ces primaires puissent se tenir sereinement et la liste reste longue ! L’enjeu est clair, moins l’indépendance et l’avancement de l’organisation des primaires se fera, plus le parti suppléera, avantageant ainsi naturellement son président. Il y aura donc dans les mois qui viennent d’autres tentatives visant à "mettre sous tension" les candidats, je ne doute pas que cela agitera d’avantage les commentateurs que les acteurs principaux.

Les deux candidats seront-ils prêts à aller jusque-là ?

Jean Petaux : Pas certain. De toute manière ce ne sont pas des deux candidats dont il faut parler, c’est de Nicolas Sarkozy d’un côté et de quelques autres de l’autre côté tels Alain Juppé et François Fillon, voire  Bruno Le Maire et Xavier Bertrand (s’ils y trouvent leur intérêt et s’ils considèrent qu’ils ont plus à gagner en dénonçant des primaires truquées qu’en acceptant les coups de vices que Sarkozy va multiplier).

Nicolas Sarkozy a un statut totalement à part dans cette compétition. C’est lui qui préside et gouverne le principal parti de la droite. Il est donc, quelque part, le candidat « naturel » du parti LR. Ses challengers, s’ils se présentent à l’élection présidentielle de 2017, sans passer par la case « primaire » deviennent de facto des « diviseurs » ou de potentiels « mauvais perdants ». C’est bien ce qu’a compris François Bayrou qui, le soir même d’une éventuelle défaite d’Alain Juppé au second tour de la primaire, à l’automne 2016, sera en situation d’annoncer sa candidature à la présidentielle (la « vraie » celle-là) avec une ambition clairement affichée : empêcher le retour de Sarkozy à l’Elysée. Est-ce qu’Alain Juppé peut, en se retirant du processus de la primaire, habiter le rôle et jouer la stratégie de son voisin et ami Béarnais ? Improbable !

Lorsque vous êtes candidat à une élection quelconque vous reconnaissez d’emblée et par définition la légitimité du résultat du vote. Vous ne pouvez dire : j’accepte le verdict de cette consultation s’il m’est favorable, je le récuse ou ne m’estime pas tenu par lui, s’il s’avère défavorable pour moi. C’est ce qui advient pour Sarkozy et Juppé dans cette affaire de primaire. Si Nicolas Sarkozy est battu au soir du second tour de la primaire à droite, il est inenvisageable qu’il se présente à la présidentielle de 2017. Qu’il fasse en sorte de faire perdre son concurrent qui l’aura emporté, c’est autre chose. Ségolène Royal est bien placée pour savoir qu’on peut gagner une primaire contre son parti en novembre 2006 et voir les principaux cadres de celui-ci rester l’arme au pied au moment de se lancer dans la bataille présidentielle finale.

Xavier Chinaud : Personne ne peut aujourd’hui assumer la responsabilité de faire échouer les primaires, une charte a été adoptée à l’unanimité et elle doit maintenant s’appliquer. En l’état actuel de l’opinion, la présence quasi assurée de l’extrême droite au 2eme tour oblige et obligera aussi longtemps que cela sera les prétendants à ne pas commettre l’irréparable.

J’ajoute que les études d’opinion qui aujourd’hui mettent deux candidats à la candidature au coude à coude évolueront, exclure que la donne soit totalement différente dans 6 mois serait une erreur politique. L’hypothèse que se dégage un candidat existe, l’un des deux comme un ou une autre et cela modifierait alors singulièrement la donne et les débats.

Sur quels soutiens pourront-ils l'un et l'autre s'appuyer ? Quels seront leurs relais ?

Jean PETAUX : Si, d’aventure, l’un des deux voulait tenter sa chance en solitaire, il n’aurait qu’une seule carte à jouer. Celle du retour à la « doctrine gaullienne » de l’élection présidentielle sous la Vème République depuis sa première édition en 1965 : la rencontre entre un homme (un destin personnel) et un peuple, par-dessus les partis, les organisations, les institutions en quelque sorte. L’idée est simple : la base contre le sommet. Le corps électoral contre les corps intermédiaires. Il est d’ailleurs assez intéressant de pointer ce dernier paradoxe dans une situation politique à droite qui n’en manque pas. Nicolas Sarkozy serait le mieux à même de s’approcher de cette posture : « base » contre « sommet ». Tout son discours depuis des années (et surtout pendant sa campagne de 2012) s’est construit autour de la désignation puis du rejet de ces fameux corps intermédiaires qu’il présente toujours comme un filtre entre gouvernés et gouvernants. Parmi ceux-ci figurent, naturellement, les organisations partisanes. Mais, pour autant, formé à la politique par Jacques Chirac, Charles Pasqua et quelques autres, Sarkozy sait que sans le contrôle d’un parti, d’un appareil, d’une structure avec des cadres et des relais, il est très difficile de « battre campagne ». Le voilà donc dans le rôle de celui qui joue le parti contre le peuple de droite. A l’inverse, celui qui a fondé l’UMP en 2002, qui a construit tout son cursus honorum politique sur la formation gaulliste et néo-gaulliste, celui qui a été le véritable « flanqueur » de Chirac (y compris contre les « Rénovateurs » de l’automne 1988 au sein du RPR), Alain Juppé, est obligé de s’extraire du cadre partisan propre au LR au motif que le jeu serait pipé, verrouillé et contrôlé par le « président-candidat ». Paradoxal en effet au regard des trajectoires de l’un et de l’autre.

Roland Hureaux : A supposer qu'elle se produise, tout dépend dans quelles conditions se ferait la rupture. Le grand jeu est évidemment de montrer que c'est l'autre qui en est responsable.

Mais si une telle hypothèse advenait, on peut penser que Nicolas Sarkozy aurait l'essentiel de l'appareil du parti avec lui. Ne le surestimons pas : il est très affaibli ; beaucoup de militants ne reprennent pas leur carte. Mais il reste légitimant. Il garde une capacité de labellisation qu'il ne faut pas négliger.

Les réseaux de Juppé sont beaucoup plus faibles, sauf  dans le Sud-Ouest. On retrouverait sans doute quelque chose comme le clivage Giscard - Chaban de 1974.

Xavier Chinaud :  Je ne me place pas dans cette hypothèse, tout en me souvenant que sur les 9 élections présidentielles tenues depuis l’introduction du suffrage universel dans cette élection il y a toujours eu plusieurs candidats dans chaque bloc. Si la montée du FN le place aujourd’hui en situation de prétendre accéder au 2eme tour, il y a eu un précédent en 2002 avec 5 candidats à gauche, 2 au Centre et 4 à droite, je n’imagine pas que cette multiplicité puisse se reproduire en 2017. Certains pensent qu’il est encore indispensable d’avoir un parti fort derrière soi, d’autres pensent différemment, nous verrons bien, après tout en 1974 les Républicains Indépendants (RI) parti de V. Giscard d’Estaing n’étaient pas un parti de masse…il avait juste pour lui la modernité.

Le parti serait-il prêt à subir de nouveau une fracture telle ?

Jean PETAUX : Vraisemblablement non… Mais qu’en est-il aujourd’hui du principal parti de la droite républicaine ? Les dernières déclarations de Jérôme Lavrilleux montrent un état calamiteux de la précédente formation politique (l’UMP) au sortir de la présidentielle de 2012. Le changement de nom n’a été que le cache-misère d’une situation financière intenable. Dans les fédérations l’ambiance est plus que délétère et les clivages propres aux pré-positionnements pour les primaires jouent comme du sel jeté sur des plaies à vif. La droite n’a pas la culture du débat permanent, dans son fonctionnement organisationnel, comme a pu l’avoir le PS, bien avant le congrès d’Epinay en 1971. A la SFIO jadis, au Parti Socialiste depuis près de 45 ans, deux militants socialistes qui discutent et s’opposent entre eux seront toujours d’un avis contraire au troisième qui arrive. Ils pourront se détester cordialement ou méchamment, ils s’entendront toujours sur une seule chose : battre la droite. Cela ne signifie pas qu’ils sont à l’abri des trahisons et des coups tordus. Cela n’interdit pas, au cas par cas, de favoriser la victoire d’un candidat de droite, mais c’est un cas de figure extrême et finalement rare. En règle général, le départ du parti, la démission, la scission, la création d’une formation dissidente, sont autant de choix qui évitent la trahison en interne et le complot ourdi à l’intérieur de la formation socialiste. Pour la droite il en va différemment : le bal des égos (pas plus ou moins forts qu’au PS ou ailleurs) se déroule en public, au sein du bloc des droites et au risque de favoriser la victoire politique du leader du camp adverse. C’est ainsi que Mitterrand l’emporta en 1981, après que VGE et Chirac nous aient rejoué « Horace » ; c’est ainsi que Balladur et Chirac faillirent tout perdre en 1995 et c’est sans doute aussi ainsi que Sarkozy et Bayrou ont perdu en 2012… De quoi laisser un espace à François Hollande en 2017… Mais ça c’est une autre histoire. A moins que cela ne soit la même… qui se répète.

Roland Hureaux : Non, ce serait une catastrophe. Il ne s'en relèverait sans doute pas. Outre les querelles de personnes, le parti des Républicains est affaibli par deux facteurs. D'abord la difficulté de faire un programme réellement innovant. Aucune de ses grandes figures ne renonçant à l'hypothèse de l'euro, la marge de manœuvre reste presque aussi faible que celle de Hollande-Valls. Les projets des ministères où on va généralement pêcher sont inspirés par les mêmes principes qui ont conduit au désastre actuel, par exemple à l'éduction nationale. Quant aux think tanks, compte tenu de leur financement par les grandes entreprises, ils produisent des projets d'inspiration libérale ou ultralibérale qui sont loin d'être en phase avec les aspirations du peuple français. On essaierait d'appliquer un programme de ce genre au début. Puis il y aurait une levée de boucliers, et pour finir, on ne ferait rien, comme cela s'est déjà vu.

La troisième faiblesse de la droite classique est le décalage de plus en plus grand entre le sommet et la base. L'affaire Morano a été à cet égard un révélateur, la plupart des militants de base ont  trouvé la sanction excessive ou même approuvé ce qu'elle disait. Ajoutons que s'il y a plus de deux candidats à droite et au centre, ils seraient probablement tous les deux relégués au troisième rang; le second tour se passerait alors entre Marine Le Pen et François Hollande. Ce serait absolument désastreux. Je pense que le parti, et plus largement la droite classique, ne s'en relèveraient pas.

Xavier Chinaud : Les Républicains (LR, ex-UMP) n’échapperont pas plus que le PS aux conséquences du résultat de 2017, quel qu’il soit. D’ici là, la volonté dominante dans les deux partis est de maintenir coute que coute une unité qui si elle n’est pas toujours fondée s’agissant par exemple de l’Europe, l’économie ou du projet, reste nécessaire pour ne pas être balayé. Le RPR avait résisté en 1995 à la guerre fratricide entre J. Chirac et E. Balladur avec il est vrai une UDF plus puissante et organisée que l’UDI d’aujourd’hui, LR résisterait il à une fracture née de l’échec des primaires ? Difficilement si aucun candidat ne se distinguait vraiment dans les sondages d’opinion.


Les divergences idéologiques entre Nicolas Sarkozy et Alain Juppé sont plus fortes que celles à la base de la guerre François Fillon/Jean-François Copé. A quel point le sont-elles ? Y a-t-il pour autant derrière eux deux électorats complètement irréconciliables ?

Roland Hureaux : Je ne suis pas aussi  sûr que vous  que les divergences Sarkozy-Juppé soient plus fortes que les divergences Fillon-Juppé. Dans le discours peut-être, mais dans les actes, on peut s'interroger.

Je ne crois pas non plus que ce soit une question d'électorat. A 80 % ils ont le même électorat. Juppé mordrait peut-être un peu sur la gauche, mais, si l'on en croit les sondages, il perdrait sur sa droite au bénéfice du Front national. Sarkozy a, il est vrai, une image plus droitière assez en phase avec l'électorat actuel de droite: le problème est qu'au vu de son bilan 2007-2012,  beaucoup doutent de sa capacité à réaliser les aspirations qui sont aujourd'hui celles de cet électorat. Mais avec Juppé, le scepticisme est encore plus grand : certains vont même jusqu'à se demander ce qu'il apporterait de plus par rapport au gouvernement actuel, une  position sans doute exagérée. 

Xavier Chinaud : Vous parlez là de deux choses bien différentes, le positionnement politique de Nicolas Sarkozy et Alain Juppé relève d’avantage du fond et du tempérament et vise l’élection présidentielle, la « guerre » ayant opposé François Fillon à Jean François Copé visait la présidence de l’UMP et relevait de l’inconscience politique et de ce qui éloigne plus encore les citoyens des partis : le mensonge.

Dans l’attente de leurs visions et propositions, les divergences idéologiques que vous évoquez entre les deux hommes ne semblent pas être un obstacle au rassemblement , ils ont un positionnement différent, un tempérament différent, une pratique des institutions qui le serait sans doute, mais le principe même de la primaire est que les français choisissent et que tous les candidats malheureux rallient celui qui en sera issu.

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