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Grands couturiers : la frontière entre créateurs de mode et artistes contemporains devient de plus en plus ténue
©Tolga AKMEN / AFP

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Les artistes contemporains s'inspirent de plus en plus de l'univers de la mode. Quelle place tient la mode dans l'art contemporain aujourd'hui ?

Anne Balas-Klein

Anne Balas-Klein

Anne Balas-Klein est directrice de LISAA Mode, école de mode à Paris, spécialiste de la création de mode et du marketing de la mode.
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Atlantico.fr : Traditionnellement, ce sont les créateurs commerciaux de la mode qui s'inspirent des œuvres d'art. Cependant, la tendance s'inverse aujourd'hui : les artistes contemporains se font créateurs de mode, en utilisant par exemple un matériau associé à la tapisserie plutôt qu'à l'art dans le cas des"huit points d'exclamation", œuvre réalisée en 2006 par Richard Artschwager et exposée lors du salon du prêt-à-porter d'Akris à Paris au cours de l'automne 2019. De quoi est-ce le symptôme ? Quelle place tient la mode dans l'art contemporain aujourd'hui ?

Anne Balas-Klein : Cette distinction entre la mode et l'art contemporain existe depuis longtemps.Yves Saint-Laurent, par exemple, s'est beaucoup inspiré de l'art : on se souvient de ses collections en hommage à Matisse ou Picasso, preuve qu'il ne cachait pas ses influences artistiques. Donc ce n'est pas nouveau, parce que contrairement à l'architecture ou d'autres disciplines qui constituent un art, la mode n'en est pas un, bien que présente dans de nombreux musées, voire musées dédiés (il y en a quelques-uns à Paris). Sans doute la mode se sent-elle en retard, et puisqu'elle est relativement récente, c'est pour cela qu'il y a des accointances. Il est vrai que beaucoup de créateurs de mode utilisent des artistes lors de collaborations : Vuitton y a régulièrement recours en imprimant sur ses sacs des créations d'artistes. On peut donc dire que l'art devient marketing, sert à la vente de produit : c'est aussi une manière de communiquer, d'utiliser autre chose que ce qu'on utilise généralement quand on crée de la mode.

Depuis plusieurs années, la frontière entre la mode et l'art contemporain a eu tendance à s'estomper, leurs marchés semblant avoir de plus en plus de similitudes. Vend-on de plus en plus une création de mode de la même façon qu'une œuvre contemporaine ?

Mode et art contemporain se sont toujours un peu mélangés, mais la différence est qu'aujourd'hui il s'agit davantage d'une question de marketing. L'art redore ou dore une marque ou un groupe : c'est le cas dans le sponsoring, par exemple, l'achat d'œuvres d'art et, dans la même mouvance, les marques et les grands groupes ont envie de se donner une meilleure image en utilisant l'art puisque la mode n'en est pas.Là encore, dans certaines boutiques, les sacs et les vêtements sont exposés un peu comme des œuvres d'art sur des colonnes. On a tendance à rendre plus artistique ce produit de consommation, puisqu'il s'agit à la fois d'un produit de luxe et d'un produit utilitaire : un sac est voué à être utilisé un peu tous les jours et n'est pas uniquement exposé. En fait, c'est la différence entre l'art appliqué et l'art tout court. En somme, ce qu'il y a de nouveau, c'est l'intervention du marketing. C'est plutôt le marketing qui a atteint la mode et l'art, parce que la mode était moins un produit marketing auparavant et l'est devenu complètement.

Si la rencontre des deux domaines peut être fructueuse, cela n'encourage-t-il pas la séparation entre une mode vouée au musée et une autre à l'habillement ? A qui cela profiterait-il le plus : aux designers ou aux artistes ?

C'est plus l'artiste qui y gagne, parce qu'on va dire que si on n'avait pas trouvé ce moyen-là de mettre en avant le produit on en aurait trouvé un autre. C'est un peu de l'opportunisme. Je dirais qu'il y a aussi des articles qui sont plus marketing que d'autres, qui jouent davantage là-dessus. Je pense que certains refuseraient catégoriquement de vendre leur âme au diable et d'autres ont moins de scrupules ou pas d'état d'âme là-dessus et se disent que cela démocratise leur travail que de le retrouver dans une boutique ou vendu en quantités et pas en un seul exemplaire. Cela donne une visibilité à certains artistes qui ont finalement un esprit un peu business alors qu'avant cela faisait mauvais ménage. Avant l'artiste était forcément pauvre et incompris, aujourd'hui il peut devenir riche et businessman. Ils ne le sont pas tous, évidemment. Finalement, un vêtement de fast fashion peut s'inspirer également de motifs ou d'éléments qui proviennent de l'art aussi, mais peut-être que dans quelques générations on pourrait retrouver des pièces de fast fashion dans un musée, en souvenir d'une époque de surconsommation. Si un jour il n'y a plus de fast fashion, ça deviendra un élément qu'on pourrait retrouver dans un musée.

À partir du moment où l'on crée, je pense que l'on est artiste. Après, la mode est un art appliqué : il y a bien le mot "art" dans cette discipline. Seulement, comme cette création est appliquée à un produit que l'on utilise, ça donne un côté moins artistique. Après tout, on a bien exposé des toilettes. Dans certains défilés, pour les marques les plus créatives, on expose des produits que l'on ne retrouvera jamais en boutique, d'œuvres uniques qui ne seront ni vendues ni portées, et on est donc plus dans l'art que dans l'application. Maintenant, il y a un côté périssable dans la mode qui est moins vrai dans l'art, au sens où le défilé, même s'il est exceptionnel et événementiel, dans six mois il y en aura un nouveau qui va le remplacer. Donc ce côté extrêmement fugace, peu durable, fait que la mode, à mon avis, a du mal à concurrencer l'art. Il y a des produits qui sont vendus de manière classique, Hermès et Canel vendent des sacs depuis des années et des années et qui seront encore en vente dans des années. 

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