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Grand ménage sur les partis existants : cette recomposition politique liée à la mondialisation… dans les années 1880
©(DR)

Leçons d'Histoire

Ce que les partis pourraient apprendre de la IIIème République.

Philippe Fabry

Philippe Fabry

Philippe Fabry a obtenu son doctorat en droit de l’Université Toulouse I Capitole et est historien du droit, des institutions et des idées politiques. Il a publié chez Jean-Cyrille Godefroy Rome, du libéralisme au socialisme (2014, lauréat du prix Turgot du jeune talent en 2015, environ 2500 exemplaires vendus), Histoire du siècle à venir (2015), Atlas des guerres à venir (2017) et La Structure de l’Histoire (2018). En 2021, il publie Islamogauchisme, populisme et nouveau clivage gauche-droite  avec Léo Portal chez VA Editions. Il a contribué plusieurs fois à la revue Histoire & Civilisations, et la revue américaine The Postil Magazine, occasionnellement à Politique Internationale, et collabore régulièrement avec Atlantico, Causeur, Contrepoints et L’Opinion. Il tient depuis 2014 un blog intitulé Historionomie, dont la version actuelle est disponible à l’adresse internet historionomie.net, dans lequel il publie régulièrement des analyses géopolitiques basées sur ou dans la continuité de ses travaux, et fait la promotion de ses livres.

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Atlantico : En quoi peut-on comparer l'évolution des clivages politiques que nous connaissons aujourd'hui à ceux qui organisait la politique sous la Troisième République dans les années 1880-1890 ?

Philippe Fabry : Aujourd’hui, comme dans la décennie 1880-1890, et j’étendrais cette période jusqu’au début du XXe siècle, nous connaissons en France une situation de relatif unanimisme politique : l’antagonisme politique entre gauche et droite est très estompé, il n’y a plus de sujets fondamentaux clivants. Dans les dernières décennies du XIXe siècle, il en allait de même parce que la Droite s’était ralliée à l’idée de République, de sorte que la grande question clivante depuis la Révolution, à savoir quel régime politique devait adopter la France, était résolue, de sorte que la gauche, les Républicains radicaux, n’avait plus guère de revendications à poursuivre, et la droite plus de résistance à opposer. Ce qui fit que, au tournant du XXe siècle, c’est sur des sujets sociétaux que l’on se battit : l’affaire Dreyfus, la séparation de l’Eglise et de l’Etat. Mais tout ceci n’était que du bruit par rapport à un débat portant sur la nature-même du régime.

A l’heure actuelle, c’est sur l’Etat-providence, la République sociale, que tout le monde est d’accord : tout le monde parle de préserver le modèle social français, qui est donc considéré comme un objet essentiellement achevé, de sorte que le progressisme n’a pas grand-chose à proposer pour l’améliorer, et les conservateurs guère de critiques à lui opposer, en l’état. On se dispute sur des débats très, très secondaires en réalité : le mariage homosexuel, la gestation pour autrui, l’euthanasie… ce sont des débats de société qui font énormément de bruit mais dont la portée n’a rien à voir avec la mise en place d’un système de sécurité sociale brassant plusieurs centaines de milliards d’euros par an, et la taxation de la production et du capital qui vont avec qui ont été le grand sujet de débat politique entre le début du XXe siècle et le début du XXIe siècle. Le gouvernement d’Emmanuel Macron, à la tête de La République en Marche, ce parti centriste qui a raflé la mise aux dernières élections législatives en écrabouillant les deux grands partis traditionnels de droite et de gauche, fait fortement penser à l’apogée de l’unanimisme sous la IIIe République, avec le gouvernement de Pierre Waldeck-Rousseau entre 1899 et 1902.

Ces années étaient celles d'une forme de mondialisation (intensification de l'économie, colonialisme etc.), qui provoqua notamment une forte réaction dans le paysage politique français. De quelle nature fut-elle ? Comment cette crise fut-elle gérée ? 

Exactement, c’est la période de ce que l’on appelle la « première mondialisation », qui s’acheva avec l’éclatement de la Grande guerre, laquelle fut d’ailleurs importante dans l’apparition du nouveau clivage politique, avec des mythes fondateurs comme l’assassinat de Jaurès, le rêve de la paix par l’internationalisme ouvrier, et le déclenchement de la Révolution russe, qui provoqua la naissance de l’Internationale Communiste en 1919. Cet internationalisme, précisément, avait crû avec la mise en place de la première mondialisation et l’industrialisation perçue comme phénomène global conduisant à l’apparition d’une nouvelle classe aux intérêts communs en dépit des frontières : ce n’est pas un hasard si ce qui est sans doute le premier grand slogan international, « prolétaires de tous les pays, unissez-vous », soit apparu dans ce contexte. Et fort logiquement, la réaction à cet internationalisme de gauche fut l’excitation du nationalisme, à droite – alors qu’historiquement, le nationalisme était né à gauche, en 1789. De la même façon, on voit aujourd’hui naître un identitarisme européen très fort, en réaction à l’idéologie mondialiste née de la seconde mondialisation.

Cette période fut celle d'une lente recomposition pour la droite, qui venait de voir sa frange monarchiste s'effondrer. Dans quel contexte celle-ci a-t-elle réussi à se reconstruire, notamment autour de figures telles que celles de Poincaré ? Quelle leçon pour la droite aujourd'hui ?

 Plus que d’une simple recomposition de la seule droite, c’est tout le paysage politique français qui a été bouleversé en moins d’une vingtaine d’années, avec l’apparition en 1905 de la Section Française de l’Internationale Ouvrière, l’ancêtre du Parti Socialiste, et en 1920 celle de la Section Française de l’Internationale Communiste, devenue peu après le Parti Communiste Français. Ces partis et leurs puissantes idéologies ont formé la nouvelle gauche, et repoussé vers le centre les Républicains radicaux – qui y sont encore, ce sont les fameux « radicaux » dont on ne comprend plus très bien l’appellation, laquelle est un vestige du temps où leurs idées étaient à l’extrême-gauche de l’échiquier politique.

Cette apparition a formé un nouveau clivage, entre une gauche revendiquant la redistribution des richesses, la collectivisation des moyens de production, la sécurité sociale, et une droite défendant désormais les acquis de la République libérale, l’Etat limité dans sa sphère d’intervention – la dépense publique représentait 8% du PIB en 1900, contre 57 % aujourd’hui. Rappelons qu’avant 1914, il n’y avait pas en France d’impôt sur le revenu : ce qui paraît naturel, normal et légitime à la plupart de nos compatriotes contemporains était alors tenu pour une épouvantable intrusion de l’Etat dans la vie des Français, une inquisition quant à leurs activités professionnelles et leurs efforts d’épargne et d’investissement. Aujourd’hui, bien rare sont ceux qui s’offusquent encore de devoir chaque année remplir des formulaires pour dénoncer eux-mêmes à l’administration fiscale ce qu’ils ont réussi à produire ou à gagner par leurs calculs d’investissement afin que celle-ci leur indique combien elle confisquera. C’est-à-dire que nous avons terminé, comme je le disais en répondant à la question précédente, le chemin débuté au début du XXe siècle avec ce nouveau clivage apparu à l’époque : nous sommes une République sociale, voire socialiste.

Mais à l’époque, ces nouvelles idées révolutionnaires, et scandaleuses pour une grande partie de la population, ont naturellement redynamisé le débat et donné à la droite de nouvelles causes à défendre : la droite défend toujours le principe de l’ordre ancien et la conservation de l’ordre actuel ; c’est pour cela qu’elle avait défendu la monarchie, et que désormais elle défendrai la République libérale. Jusqu’à, disons, Jacques Chirac, qui a laissé tombé. Le libéralisme de droite est mort au début des années 2000.

Je ne sais pas si on peut y trouver une « leçon » pour la droite d’aujourd’hui. En tout cas pas une leçon pour elle, mais une leçon pour nous, la concernant : la droite issue de la naissance du socialo-communisme est morte, elle a capitulé comme la droite monarchiste face à la République. La question c’est : contre quoi devra se battre la droite de demain ? Qu’est-ce qui ramènera au centre les socialistes et les communistes traditionnels comme le socialisme et le communisme y repoussèrent le républicanisme radical ? A mon avis, ce fatras épouvantable que l’on nomme, faute de mieux, l’islamogauchisme, et qui voit converger les revendications gauchisantes les plus farfelues et une fascination pour l’islamisme comme nouvelle internationale et parti des nouveaux damnés de la terre.

Cette période fut aussi riche en mouvements contestataires s'opposant violemment au pouvoir central radical. Qu'est-ce que cela nous dit sur les remous que connait aujourd'hui notre société ?

 La plus grande contestation eu lieu dans les années 1880 avec le mouvement boulangiste qui menaça l’existence-même de la jeune République. Ce mouvement rassemblait, autour de la personnalité charismatique du général Boulanger, tous les mécontents de cette République installée : les monarchistes les plus intransigeant, qui refusaient le ralliement au régime, les bonapartistes nostalgiques de l’Empire, pour ce qui est de l’extrême-droite, et à l’extrême-gauche les héritiers des communards et les anarchistes. Véritablement le mariage de la carpe et du lapin, mais ces gens se retrouvaient dans la détestation du régime républicain tel qu’il s’était installé et voulaient le renverser pour installer autre chose.

Selon moi, nous retrouvons aujourd’hui la même chose dans les populismes qui fleurissent partout en Europe. L’Italie est le cas le plus proche de la France, et qu’y voit-on ? Un gouvernement de coalition entre la Lega de Matteo Salvini, un parti fondé à l’extrême-droite, et le Mouvement 5 étoiles, populiste de gauche. Nous commençons à voir une évolution similaire en France-même : le ralliement spectaculaire au Rassemblement National de l’insoumis Andrea Kotarac est symptomatique de ce genre de trajectoire. De même, on a vu au plus fort de la crise des Gilets Jaunes se battre avec la police à la fois des groupuscules d’extrême-droite et d’extrême-gauche, qui ont été par conséquent qualifiés de « rouge-bruns » par le pouvoir en place.

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