Google s’est ingéré 41 fois pour peser sur les élections américaines depuis 2008. Qu’en est-il en France ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Sundar Pichai est le président-directeur général de Google depuis le 10 août 2015 à la suite de la restructuration de Google et la création de la société Alphabet.
Sundar Pichai est le président-directeur général de Google depuis le 10 août 2015 à la suite de la restructuration de Google et la création de la société Alphabet.
©ALAIN JOCARD / AFP

Et au fait ?

Le Media Research Center a publié un rapport faisant état de 41 cas d'"ingérence électorale" de la part du moteur de recherche depuis 2008.

Fabrice Epelboin

Fabrice Epelboin

Fabrice Epelboin est enseignant à Sciences Po et cofondateur de Yogosha, une startup à la croisée de la sécurité informatique et de l'économie collaborative.

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Atlantico : Le New York Post a évoqué dans un article l'étude du Media Research Center, lequel fait état des multiples fois où Google aurait décidé d'interférer dans les élections américaines, en faveur du parti démocrate. Le titre de presse évoque 41 occasions en tout et pour tout. Quelle est l’ampleur du mal, exactement ? Que sait-on de cet évènement ?

Fabrice Epelboin : Cela n’a rien de bien nouveau. Les médias comme le New York Post se contentent aujourd'hui de relayer une liste relativement exhaustive de tout ce que l'on sait depuis 2008 sur les ingérences politiques de Google. Cela ressemble à un inventaire à la Prévert qui permet de constater le fait que Google penche du côté démocrate et que la firme a aidé les Démocrates à de multiples reprises, parfois en trichant. Ces informations et ces “révélations” ont été rendues publiques depuis plus de dix ans pour certaines. Le New York Post n’a fait qu’une compilation d’une multitude de formes de censures utilisées par Google pour favoriser le camp démocrate.

L’article évoque également le fait qu’à partir de l’administration Obama, les « revolving doors » ont été mises en place entre l’administration Démocrate et Google, des dirigeants de Google qui vont travailler pour le gouvernement, et réciproquement. Un mécanisme de corruption très classique, que l’on retrouve également en France.

Peut-on légitimement penser que ce genre de situation s’est également produit en France ? Sur quels indices peut-on éventuellement s’appuyer pour l’affirmer ?

Si Google s’est comporté ainsi dans son propre pays, il serait étonnant qu’il n'en soit pas autrement ailleurs. Il n'y a aucune raison d'imaginer que Google ne pratique pas ce genre de choses partout à travers la planète.

Google a besoin d'établir des relations avec des politiques, avec des gouvernements et des législateurs, et cela aussi bien dans des démocraties que dans des régimes autoritaires, car Google est présent dans la plupart des pays du monde. La firme tente donc d’établir des relations avec les institutions locales qui comprennent rapidement le poids et l'importance politique qu'a Google. Nécessairement, la politique des revolving doors, ces relations incestueuses entre les entreprises et les gouvernants ou la haute fonction publique, se met en place. Google va recruter des proches de responsables politiques ou d’anciens membres de l’administration, en France comme ailleurs. De nombreuses sociétés font de même. Microsoft, avant même que Google n'existe, faisait cela depuis bien longtemps.

Ce phénomène ne concerne pas que le domaine de la Tech, loin de là. Dans l'énergie ou dans la pharmacie par exemple, c’est une façon très courante de faire ce que l’on nomme pudiquement du lobbying.

Alors que ces ingérences sont dévoilées au grand jour, est-ce qu’il n’y a pas un risque que ces pratiques se poursuivent et s’intensifient ? Google a notamment tenté d'injecter des préjugés politiques dans son chatbot Gemini AI. Est-ce qu’il faut s’inquiéter de potentielles nouvelles ingérences de la part de Google, notamment au regard du contexte sensible en 2024 avec les élections américaines ?

Plutôt que de s'inquiéter, il faut surtout prendre du recul et tenter de comprendre en quoi ces algorithmes sont biaisés. Google comme Twitter, comme Facebook, comme tous ces grands géants de la Tech, sont en réalité des acteurs politiques de premier plan. Google, Facebook ou Twitter sont d’autant plus importants qu’ils sont le lien entre les populations et l’information, ce qui les place au cœur de la cité que les politiques aspirent à gouverner.

Ces sociétés sont devenues des acteurs politiques majeurs. A partir du moment où vous en utilisez un pour accéder à de l'information, il faut être conscient que vous avez à faire à un intermédiaire qui a un biais politique. Exactement comme un titre de presse, du reste. La différence, c’est que quand vous lisez Le Figaro, vous êtes parfaitement conscient du biais auquel vous attendre. Il serait sage d’adopter la même lucidité avec Google, Facebook ou Twitter.

Elon Musk, propriétaire de X (anciennement Twitter), s’est ému de cette situation. Faut-il penser que son propre réseau social est totalement exempt de toute tentative d’ingérence ?

Elon Musk a donné à voir à différents journalistes la messagerie interne de Twitter quand il est arrivé aux commandes, ce sont les fameuses “Twitterfiles”. Cela a montré qu'il y avait là aussi, comme chez Google, un biais politique en faveur des Démocrates à travers un système de filtrage des gens et des idées appelé “shadow banning”. Elon Musk a promis d'y mettre fin et il a licencié les milliers de modérateurs qui étaient en charge de la censure jusqu’ici. A la suite de son arrivée à la tête de l’entreprise, il y a eu un rééquilibrage dans les opinions et les idées présentes sur Twitter. Cela a eu pour conséquence de favoriser la visibilité de la droite, en France comme aux USA. Est-ce que cela correspond à un arrêt de la censure et à un reflet plus fidèle de la réalité ? Ou est-ce que ce que l’on observe comme mix d'idées et d’opinions sur Twitter actuellement est le reflet d’un biais introduit par Elon Musk pour favoriser la droite, comme l'avait fait son prédécesseur avec la gauche ? Ça dépend de ce que vous pensez d’Elon Musk, et le personnage est complexe et fort éloigné des caricatures qu’on en fait dans la presse. C’est loin d’être évident. Objectivement, il est trop tôt pour le savoir.

Est-ce que les citoyens et les internautes ne sont pas la clé pour faire la part des choses et contourner ces potentiels biais ? Y a-t-il suffisamment de garde-fous pour les citoyens face à ces ingérences politiques ou vis-à-vis des biais partisans, via notamment les community notes sur Twitter / X ?

Les community notes ne sont pas vraiment faites pour ça. Elles permettent d’enrichir un tweet qui mérite d'être complété, soit parce qu’il contient une erreur, soit parce qu'il présente un biais, soit parce qu'il lui manque un contexte. Cela sert à enrichir une information initiale contenue dans un tweet. Cela constitue plutôt un déplacement d'une fonction naguère dévolue aux journalistes et aux médias, qui ici est déléguée à la foule, un peu à la manière de Wikipedia, mais sous d'autres modalités.

A cela s’ajoute l'intelligence artificielle de Twitter, Grok, qui elle a accès à toutes les informations qui passent sur Twitter. Cela doit permettre à terme une synthèse censée remplacer une large partie du journalisme tel qu’il est pratiqué aujourd’hui. Cela reste encore théorique, mais c’est l’idée qui est derrière cette haine réciproque entre les journalistes et Elon Musk. 

La France est-elle le théâtre de telles pratiques ? Est-ce que notre système politique, avec un plus grand nombre de partis lors des élections par rapport aux Etats-Unis, est un peu moins binaire que l'opposition démocrates - républicains en Amérique ?

Dans l'absolu, le système politique français repose sur un grand nombre de partis. L’offre politique est plus éparpillée. Mais dans la réalité, la France fonctionne également sur un système binaire depuis longtemps. Le dernier mot ira aux électeurs pour le second tour des élections présidentielles, où l'enjeu est binaire.

En revanche, en France, le contexte impose plus de difficultés pour travailler l'opinion publique, notamment dans une optique de manipulation, car il y a beaucoup plus d’acteurs. Mais la finalité, d'un point de vue électoral, est tout aussi binaire qu’aux USA.

Est-ce un vœu pieux que d’imaginer peut-être à l'avenir, face à la pression des citoyens, une forme de moteur de recherche ou de géants de la Tech qui soient vraiment vertueux, qui cherchent une neutralité et n’imposent plus de biais politiques ?

C’est malheureusement un vœu pieux. Bing a annoncé la semaine dernière qu’il introduit un biais en faveur de médias préqualifiés dans ces résultats, l’IA woke de Google a montré de façon ridicule à quel point l’entreprise introduisait un biais politique dans ses produits. C’est dans l’accès à l’information que se joue le plus les enjeux d’influence aujourd’hui, et s’imaginer qu’un chevalier blanc va apparaitre de battre ces mastodontes économiques est un doux rêve.

On a déjà un biais parce que les médias pré qualifiés, évidemment, le sont en fonction de critères qui sont nécessairement biaisés. Mais Google introduit d’autres biais dont il faut être conscient. Google vous donne avant tout des résultats qui vous font plaisir, pas des résultats qui seront au-dessus de vos goûts personnels et qui tendrait à une vérité universelle, ceux qui vous feront apprécier le moteur de recherche et revenir vers lui. Google est une entreprise, pas un service public. Le biais va être ici de vous enfermer dans une bulle de filtres. Ce biais-là est tout aussi important, si ce n'est plus, que le biais politique introduit par Google.

Ceci dit, le fait que ces biais ne soient aujourd’hui plus un tabou, grâce à Gemini, l'intelligence artificielle de Google, s'est tournée en ridicule au point qu'ils ont été obligés de la débrancher. Le fait que la société qui était la plus en pointe dans le monde sur l'intelligence artificielle ait connu un accident industriel d’une telle ampleur, lui a coûté des milliards de dollars et pourrait bien lui faire perdre la course à l’IA. Un argument pour produire des technologies plus neutres.

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