Google : le suicide à petit feu ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Si Google était perçu comme moins fiable par les utilisateurs, les conséquences pourraient être très lourdes pour le moteur de recherche, avec des répercussions pour l’ensemble du groupe (Alphabet).
Si Google était perçu comme moins fiable par les utilisateurs, les conséquences pourraient être très lourdes pour le moteur de recherche, avec des répercussions pour l’ensemble du groupe (Alphabet).
©LOIC VENANCE / AFP

Moins fiable ?

Un journaliste a raconté sur Twitter comment il s’était fait arnaquer en cherchant à commander dans un restaurant thaï, parce que les premières suggestions étaient des arnaques.

Julien Pillot

Julien Pillot

Julien Pillot est Enseignant-Chercheur en économie (Inseec Grande Ecole) / Chercheur associé CNRS.

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Atlantico : Un journaliste a raconté sur Twitter comment il s’était fait arnaquer en cherchant à commander dans un restaurant thaï, parce que les premières suggestions étaient des arnaques. Les résultats de Google sont-ils en train de devenir moins pertinents, ou parasités ?

Julien Pillot : Il est impossible de répondre catégoriquement à une telle question, et encore moins sur la base d’une unique observation rapportée par un journaliste. De manière générale, la fiabilité d’un résultat sur un moteur de recherche est suggestive en cela qu’elle repose avant tout sur un ressenti. Outre de disposer d’une interface utilisateur (UX) particulièrement intuitive, le moteur de recherche de Google s’est imposé en son temps sur la base d’une grande performance algorithmique et du sentiment chez les utilisateurs que les résultats de recherche y étaient - et y demeurent - plus pertinents que chez la concurrence. Attention à ce que ce sentiment ne s’estompe pas. 

Néanmoins, il ne faut pas se tromper de cible. Google est aussi une victime dans cette histoire, puisque la fraude révélée (et toutes celles n’ayant pas été étalées en place publique) entache sa réputation de moteur de recherche fiable. L’action frauduleuse ne lui est pas imputable, puisqu’elle émane de faussaires qui, depuis l’avènement du Web 2.0, participatif par essence, cherchent à s’enrichir via divers moyens : de la désinformation, à l’émission de faux avis de consommateurs, en passant par la réalisation de faux sites qui « ghostent » (simulent) des sites réels pour récupérer des données de paiement, tout y passe. Certes, Google – au même titre que tous les acteurs du web participatif – pourrait probablement intensifier la lutte contre le référencement d’informations de mauvaise qualité, mais on parle de près de deux milliards de sites web à surveiller, et probablement quelques centaines de millions à acheter des liens sponsorisés sur Google. Face à une telle masse de contenus à surveiller, il y a donc bien ce que les grands acteurs de la tech peuvent (et doivent) faire, mais aussi ce que les consommateurs peuvent faire pour éviter de tomber dans des pièges souvent très grossiers. Il reste probablement des efforts de pédagogie à accomplir à ce niveau.    

Google Ads sacrifie-t-il la qualité du moteur de recherche pour des raisons commerciales ? L’éthique de Google a-t-elle changé ? Est-ce révélateur d’une certaine dynamique des géants de la Silicon Valley ? 

Rien ne permet de l’affirmer avec autant d’aplomb. En l’état, seuls les dirigeants de Google sont en capacité de connaître le niveau de pertinence des résultats fournis par leur moteur de recherche. Nous ne sommes pas en mesure d’observer l’évolution du phénomène décrit par le journaliste dans le temps, ni les raisons qui présideraient à une telle évolution. Par exemple : en supposant qu’il y ait effectivement une recrudescence de sites frauduleux référencés dans les liens sponsorisés de Google, serait-ce imputable à un changement de politique générale chez Google qui réduirait volontairement son niveau de vigilance par pur appât du gain, ou bien une généralisation d’une pratique frauduleuse jusque-là confidentielle contre laquelle Google, et tous les autres moteurs de recherche, doivent adapter leurs algorithmes ?  

Même si les géants de la tech traversent une période délicate (recul du Nasdaq, baisse des investissements publicitaires, forte inflation…), ils ont des trésoreries très confortables qui peuvent leur permettre de traverser sans trop d’encombre cette période (quasi) récessive. Et compte tenu des enjeux sous-jacents, je ne vois pas Google prendre le risque de sacrifier de façon irréversible sa réputation sur l’autel d’une recherche de profit sur le très court terme. 

Si Google n’est plus aussi fiable qu’avant, à quel point cela peut-il lui être préjudiciable ?

Si Google était perçu comme moins fiable par les utilisateurs, les conséquences pourraient être très lourdes pour le moteur de recherche, avec des répercussions pour l’ensemble du groupe (Alphabet). Il faut bien comprendre : au 4e trimestre 2022, Google Search représente encore environ 56% des revenus du groupe. C’est la cash machine de l’ensemble, la vache à lait qui permet d’alimenter l’ensemble de l’écosystème du groupe, et notamment ses développements dans l’IA ou dans le cloud. Si le moteur de recherche était perçu comme moins fiable, alors utilisateurs et annonceurs pourraient envisager de se détourner du moteur de recherche, et donc d’affaiblir l’ensemble d’Alphabet. 

Cette hypothèse est prise très au sérieux, car l’hégémonie du moteur de recherche dominant n’a jamais semblé si contestée. D’un côté, les plus jeunes ont tendance à se détourner des moteurs de recherche classiques pour réaliser leurs recherches locales. Ils sont toujours plus nombreux à mobiliser des réseaux plus communautaires et visuels, tels que TikTok ou Instagram, où ils ont le sentiment d’obtenir des informations plus conformes à leurs usages et à leurs préférences générationnelles. De l’autre, certains acteurs s’évertuent à imaginer le futur de la recherche sur Internet. Un futur qui pourrait s’articuler autour de nouvelles technologies empruntées à l’IA générative plutôt qu’aux algorithmes et le référencement sémantique naturel. Microsoft semble croire en ce potentiel disruptif, en ayant investi 10 milliards de dollars dans OpenAI, notamment pour inclure une technologie dérivée de ChatGPT à son moteur de recherche Bing qui, sans démériter, évolue dans l’ombre de Google depuis des années. 

Si nous devions terminer cette interview sur une note plus optimiste pour Alphabet, nous pourrions néanmoins rappeler que Google Search est ultradominant à l’échelle planétaire, et que l’inertie est très forte sur ce marché. Rappelons, par exemple, qu’il aura fallu près de 6 ans pour que Google Chrome ne surpasse Internet Explorer (désormais Edge) en tant que navigateur Internet dominant. Les habitudes de consommation sont tenaces et pourraient protéger Google Search d’une érosion trop brutale de ses utilisateurs. Le temps pour cette entreprise, qui ne manque pas de ressources, de se donner une chance de trouver une parade. 

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