Génie politique ? Giorgia Meloni ou la main de fer dans un gant de velours<!-- --> | Atlantico.fr
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La cheffe du gouvernement italien Giorgia Meloni.
La cheffe du gouvernement italien Giorgia Meloni.
©Tiziana FABI / AFP

Deux visages

Giorgia Meloni a deux visages comme le dieu romain Janus. D’un côté, à l’international, elle a construit l’image d’une dirigeante raisonnable et dissipé les peurs des capitales européennes comme des milieux financiers et d’affaires. Mais en Italie, c’est une autre affaire.

Marc Lazar

Marc Lazar

Marc Lazar est professeur d’histoire et de sociologie politique à Sciences Po où il dirige le Centre d’Histoire. Il est aussi Président de la School of government de la Luiss (Rome). Avec IlvoDiamanti, il a publié récemment, Peuplecratie. La métamorphose de nos démocraties chez Gallimard. 

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Atlantico : Une mesure présentée par le parti de Giorgia Meloni et adoptée par le Parlement pourrait encourager les groupes anti-avortement à plaider dans les centres de conseil familial. En quoi la nouvelle loi italienne sur l'avortement est une leçon sur la façon dont Giorgia Meloni gouverne ?

Marc Lazar : Il est vrai que cette décision adoptée par le Parlement illustre l’une des méthodes employées par ce gouvernement. La présidente du Conseil qui est aussi la dirigeante du parti Frères d’Italie a toujours dit qu’elle n’abolirait pas la loi 194 mais qu’elle était davantage en faveur du « droit à la vie ». Elle respecte donc sa promesse en s’emparant de certaines dispositions de cette loi pour favoriser ce droit-là. En fait, la loi qui date de 1978 est assez restrictive. Le pourcentage d’avortements pour les femmes de 15 à 49 ans en Italie est l’un des plus bas d’Europe. Toutefois, un sondage réalisé au niveau international en juin 2023 par Pew reseach center démontre que 79% des Italiens sont en faveur de l’avortement. Giorgia Meloni ne veut pas aller contre cette opinion majoritaire mais fait passer ce type de disposition pour restreindre encore plus le recours à l’avortement. Elle satisfait ainsi la partie la plus conservatrice de son électorat en espérant ne pas susciter de grandes mobilisations de défense du droit à l’IVG. Toutefois, dans son camp, les associations « pro-life » demandent une loi pour contraindre toute femme qui envisage une interruption de sa grossesse à écouter le cœur du fœtus. Il faudra voir si elle leur donnera satisfaction. 

La stratégie politique de Giorgia Meloni et cette mesure permettent-elles à Giorgia Meloni de rassurer sa base de droite sans sacrifier son image de plus en plus dominante ?

Giorgia Meloni n’exerce pas le pouvoir toute seule mais en coalition qu’elle domine largement. Elle doit tenir compte de ses deux alliés, eux-mêmes en compétition pour s’assurer la place de second parti de cette alliance de droite-centre. Forza Italia, le parti créé par Silvio Berlusconi et désormais dirigé par le ministre des affaires étrangères et vice-président du Conseil Antoni Tajani, et la Ligue de Matteo Salvini, ministre des transports et lui aussi vice-président Conseil. Le premier, membre du Parti populaire européen, se présente de plus en plus comme un parti de droite modérée et pro-européenne. Le second, membre de Identité et démocratie au Parlement européen avec le Rassemblement national, se positionne à l’extrême droite. Giorgia Meloni cherche à se situer entre les deux. Par exemple, elle n’est plus hostile à l’Europe et adopte un profil relativement bas avec Bruxelles (elle ne peut pas faire autrement du fait de l’état des finances publiques de l’Italie) mais s’efforce de ne pas perdre son électorat et les membres de son parti qui se situent à l’extrême droite. Parmi ces derniers, il y a toujours des nostalgiques du fascisme et du néofascisme. Elle-même condamne le fascisme, avec parfois des formules alambiquées, mais se refuse à dire comme son mentor, Gianfranco Fini, ex-dirigeant du Mouvement Social italien, parti néofasciste puis d’Alliance nationale, parti postfasciste, que « le fascisme est le mal absolu » et reconnaître que « l’antifascisme » a contribué à la démocratie italienne.

La stratégie de la main de fer dans un gant de velours est-elle l’atout majeur de Giorgia Meloni ? La Première ministre italienne parvient-elle ainsi à suivre ses convictions de longue date, à plaire à sa base traditionnelle et conservatrice, sans être trop clivante et afin de ne pas nuire à son image à l’internationale ?

Giorgia Meloni a deux visages comme le dieu romain Janus. D’un côté, à l’international, elle a construit l’image d’une dirigeante raisonnable et dissipé les peurs des capitales européennes comme des milieux financiers et d’affaires. Mais en Italie, c’est une autre affaire. Sa marge de manœuvre économique étant quasi inexistante et les perspectives de croissance sombres, elle sait qu’elle risque de décevoir ses électeurs. Aussi veut-elle satisfaire sa base traditionnelle et conservatrice. Elle fait donc tout pour polariser le débat public. Elle ne cesse de fustiger durement la gauche, laquelle le lui répond bien. Elle vise principalement le Parti démocrate, principal parti d’une opposition qui, bien que représentant la moitié du pays, est incapable de s’unir. Elle a engagé une bataille pour briser ce qu’elle appelle « l’hégémonie culturelle de la gauche ». Cela passe par la mise en coupe réglée de presque toutes les trois chaînes de la télévision et de la radio publique, sachant que la famille Berlusconi possède les trois chaînes privées les plus suivies. Bref, la droite est en voie de contrôler l’essentiel du paysage télévisuel italien. Elle nomme et fait nommer des personnes proches d’elles dans les institutions culturelles publiques, musées, théâtre, opéras. Enfin, tendent à se multiplier les poursuites en justice de journalistes qui mettent en cause le gouvernement, ce qui représente une forme d’intimidation. Des craintes commencent à s’exprimer en Italie sur le devenir des libertés.

Au regard de la campagne des européennes et des conséquences potentielles des résultats, Giorgia Meloni va-t-elle réussir à déplacer les sensibilités italiennes et européennes vers la droite sans nécessairement changer les lois ?

Giorgia Meloni, si elle obtient un bon résultat aux européennes, ce qui est très probable, vise plusieurs objectifs. Au niveau européen, sans siéger au Parlement de Strasbourg, elle espère que le groupe des Conservateurs européens auquel appartient son parti pourra peser sur les orientations de l’Union européenne pour aller vers cette Europe des nations à laquelle elle aspire comme son grand ami Viktor Orban. Mais rien n’est moins sûr car cela supposerait un basculement complet du rapport des forces. En outre, les nationaux populistes sont divisés et le PPE est prêt à faire quelques accords avec les Conservateurs mais pas une alliance stratégique. En revanche, Giorgia Meloni pourra apparaître comme l’une des grandes figures de la droite radicale et de l’extrême droite en Europe et se faire mieux entendre au Conseil européen. En Italie, un succès en juin lui permettrait de conforter sa popularité, de consolider sa position de leader de la coalition et d’affaiblir l’opposition. Et surtout d’accélérer la réforme des institutions qu’elle défend, consistant en l’élection au suffrage universel du Président du Conseil aux pouvoirs renforcés, réforme qui suscite de vives polémiques et nombre d’inquiétudes.

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