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Ficher 1,31 milliard d'Indiens : l’incroyable opération qu’une entreprise française va permettre de rendre possible en créant la plus grande base de données biométriques au monde
©unrealitytv.co.uk

Big Brother ?

Le gouvernement de New Delhi s'est donné pour objectif de donner à tous ses citoyens le droit d'être reconnus par l'Etat et de bénéficier de nombreux services dont les soins médicaux.Pour mener à bien ce projet, c'est le Français Morpho, filiale de Safran, qui a décroché ce marché.

C'est une base de données immense, colossale, inédite, qui est en voie de construction. Faute de cartes d'identité, l'Inde a décidé, en 2009, de mettre en place un système numérisé pour donner une existence légale à ses 1,31 milliards d'habitants, soit 18 % de la population mondiale. Un nombre qui donne le tournis mais qui devrait encore s'accroître dans les prochaines années, selon un rapport des Nations unies de 2015 :  1,4 milliard d’individus avant 2022, 1,5 milliard en 2030, 1,7 milliard en 2050 et 1,65 milliard en 2100...

Le gouvernement de New Delhi s'est donc donné pour objectif, via un programme baptisé Aadhaar, de donner à tous ses citoyens le droit d'être reconnus par l'Etat et de bénéficier de nombreux services : aides sociales, soins médicaux, ouverture d'un compte bancaire, établissement plus rapide d'un passeport, etc. Et de freiner le problème de fraudes à l'identité dans un pays où règne la corruption.

Le savoir-faire français

Pour mener à bien ce projet, c'est le Français Morpho, filiale de Safran, avec le Japonais NEC et l’Américain L1, une autre filiale de Safran, qui a décroché ce marché. Concrètement, ce programme sécurisé consiste à offrir un numéro d’identification nationale à 12 chiffres à chaque personne, comprenant la prise des données biométriques des dix empreintes digitales, des deux iris, d'une photo du visage et des données plus usuelles, comme le nom, le sexe, la date et le lieu de naissance.

Aussi complexe qu'un programme spatial

Depuis le début du recensement, en 2013, la base de données comptait 310 millions de personnes. En 2014, le projet passait à 650 millions de personnes, pour un coût de 400 millions de dollars. Et en 2016, un milliard de personnes ont été fichées. "Chaque jour, jusqu’à un million de personnes peuvent être enrôlées dans le système", explique Jessica Westerouen van Meeteren, directrice de la division Government Identity chez Morpho au site Challenges.

Morpho est en charge des scanners biométriques destinés à l’enregistrement des données et doit gérer tous les problèmes de doublons afin qu'un seul numéro soit réellement attribué à une seule personne. Le système est capable de répondre à un million de requêtes par jour. "C’est un programme d’une complexité inédite dans le secteur, qu’on peut comparer à celle d’un programme spatial", assure Jean-Pierre Pellestor, le directeur de programme de Morpho.

Un Big Brother en puissance

La loi indienne donnant le feu vert à ce programme n’a été votée que le 16 mars 2016, six ans après le début des opérations d’enregistrement. Car la captation de ces données biométriques est très loin de faire l'unanimité. "Ce programme a été présenté comme un outil destiné exclusivement à aider à percevoir des prestations sociales mais nous nous rendons compte qu'il peut aussi être utilisé pour la surveillance de masse", a déclaré Tathagata Satpathy, un député de l'Etat d'Odisha à l'agence Reuters. Et de poser cette question : "Le gouvernement peut-il nous assurer que le programme Aadhaar et les données recueillies, biométriques et biologiques, ne seront pas utilisés à mauvais escient comme cela a été fait par la NSA aux Etats-Unis ?" En Inde, la peur de voir ce programme se transformer en un Big Brother au détriment de la vie privée des citoyens est vraiment présente. Un programme qui a déjà coûté 2,2 milliards de dollars à l'Inde, juste pour l'exercice 2014-2015.

A mi-chemin d'un Etat policier

Un porte-parole du ministère des Finances a indiqué que le gouvernement avait pris des mesures pour assurer le respect de la vie privée des citoyens et que la possibilité d'accéder à des données ne serait exercée que dans des cas très rares. Mais sans donner plus de précisions... Ces explications n'ont pas satisfait les opposants politiques et les représentants des minorités religieuses, y compris la communauté musulmane très importante en Inde, qui disent que la base de données pourrait être utilisée comme un outil pour les faire taire. « Nous sommes à mi-chemin d'un État policier », a déclaré Asaduddin Owaisi, un député de l'opposition. Sunil Abraham, directeur d'un centre de recherche sur Internet et la société, a déclaré qu'en créant un dépôt centralisé de données biométriques cela pourrait compromettre la démocratie la plus peuplée du monde. "C'est comme obtenir les clés de chaque maison de New Delhi et de les stocker dans un poste de police centralisé. Imaginez les prochaines générations de caméras qui captureront secrètement les iris des manifestants puis les identifieront", a-t-il expliqué. En effet, sans protections juridiques et institutionnelles, ce système biométrique peut permettre tous les dérapages.

Morpho a le vent en poupe

Mais en attendant ces protections indispensables pour les citoyens indiens, Morpho compte profiter de ce contrat pour vendre d’autres systèmes similaires. "Nous avons des campagnes commerciales en cours dans d’autres pays sur des programmes comparables, mais la taille du projet indien restera probablement unique", s'est enthousiasmée Jessica Westerouen van Meeteren. Morpho, visage du savoir-faire français en la matière, affiche une santé insolente avec 1,9 milliard d’euros de chiffre d’affaires en 2015.

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