Évaporation dans les retenues d’eaux : petits retours sur les approximations et contre vérités déployées par les écologistes sur Sainte-Soline<!-- --> | Atlantico.fr
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Des opposants mobilisés contre les projets de méga-bassines lors d'un rassemblement en France.
Des opposants mobilisés contre les projets de méga-bassines lors d'un rassemblement en France.
©XAVIER LEOTY / AFP

Bassines

L'évaporation des eaux en surface est souvent mise en avant par les militants écologistes qui s'opposent au projet. Un pourcentage de perte compris entre « entre 20 et 60% » de la quantité totale d'eau est régulièrement évoqué, mais la réalité serait beaucoup plus faible : 20%, dans le PIRE des scénarios.

Terre à Terre

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Le compte Twitter de Terre à Terre est géré par un enseignant agrégé de Sciences de la Vie et de la Terre.

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Un des inconvénients de stocker l’eau en surface est que celle-ci s’évapore, ce qui engendre une perte d’efficacité du dispositif. Mais quel est ce pourcentage de perte ?

1) Les chiffres de C. Amblard

Il faut savoir qu’il semble très difficile d’estimer ces pertes de façon fiable, car le taux d’évaporation dépend de multiples facteurs comme le vent, l’ensoleillement, la température, la profondeur de l’eau, …

Ainsi, bien peu d’experts se sont prononcés à ce sujet… Sauf C. Amblard, qui avance un chiffre considérable : « entre 20 et 60% ». Ce chiffre a été repris par un peu tout le monde, et fait clairement partie des arguments des opposants au projet.

Mais d’où vient-il ? J’ai essayé d’enquêter…

D’après le journal « 20 minutes », C. Amblard tiendrait ses chiffres d’une étude sur des lacs Nord-Américains.

Ce qui est déjà étrange, car on se doute bien que les grands lacs américains ne perdent pas 20 à 60% de leur volume par an. Et puis, un lac n’est pas une retenue d’eau artificielle.

Et puis, on n’a pas du tout le même climat là-bas que dans les Deux-Sèvres. Bref, on commence à sentir l’entourloupe.

Du coup, j’ai cherché un peu, et je pense avoir trouvé l’étude en question.

Je ne rentre pas dans les détails, mais en gros il est question dans l’étude d’évaluer les proportions des flux d’eau entrants et sortants pour différents grands lacs américains (lac Supérieur, lac Tahoe, lac Mead).

Et là, on retrouve les pourcentages évoqués par C. Amblard (enfin presque) : il est noté qu’on a une évaporation de 5 à 60% selon le lac considéré (5% pour le lac Mead, 60% pour le lac supérieur, 40% pour le lac Tahoe).

Mais attention, car si on est attentif, ces pourcentages correspondant à la proportion de l’évaporation dans le bilan des *pertes hydriques* du lac.

En gros, le lac est approvisionné par les précipitations et des cours d’eau entrants, et perd de l’eau par évaporation et par les cours d’eau sortants.

Les chiffres indiquent juste que dans le lac Supérieur, 60% de la perte d’eau est assumée par l’évaporation (donc 40% par les cours d’eau sortants), et que pour le lac Mead, 5% de la perte d’eau est assumée par l’évaporation (donc 95% par les cours d’eau sortants).

Vous allez me dire : quel rapport avec nos retenues de substitution ? Aucun.

Comment ces pourcentages de pertes d’eau dans des lacs américains sont devenus des pourcentages de pertes sur le volume total des retenues des Deux-Sèvres ? Aucune idée.

Après, soyons charitable, peut-être n’était-ce pas du tout cette étude là sur laquelle s’appuyait C. Amblard, ou peut-être y a-t-il un élément dans cette étude qui m’a échappé et qui serait plus pertinent. Après tout, je n’ai pas tout lu.

Du coup, on va tenter de chercher d’autres données un peu plus en rapport avec ce qui nous intéresse, et on verra alors si celles-ci sont cohérentes avec ses chiffres…

2) Retours d’expérience en Vendée sud

Premièrement, on peut aller voir du côté des « bassines » déjà en place. Et ça tombe bien car il y en a juste à côté, en Vendée sud.

Il y a Emmanuel Sagot, qui est un des agriculteurs connectés aux retenues de Vendée, et qui a bien voulu nous donner une estimation des pertes. Pour lui, ce serait entre 3 et 6 % en fonction des années.

Mais bon, il ne s’agit que d’un témoignage après tout.

Alors on peut jeter un œil à l’étude d’impact des retenues des Deux-Sèvres, dans laquelle il y a aussi une estimation des pertes par évaporation dans les « bassines » de Vendée sud.

Il est indiqué que les pertes sont de l’ordre de 3 à 4%. On est cohérent avec les estimations d’Emmanuel Sagot, mais pas du tout avec les chiffres de C. Amblard.

Après, on peut se dire qu’il y a juste 3 lignes qui indiquent ça dans ce rapport d’impact… Alors peut-être qu’il serait plus sage d’aller chercher des données ailleurs.

3) Etude Aldomany sur les étangs

Et ça tombe bien car j’ai justement mis la main sur cette étude (Merci à @_Sth_Went_Wrong pour la trouvaille).

Celle-ci étudie l’évaporation dans des étangs du centre de la France, et compare cette évaporation avec l’évapotranspiration qu’il y aurait eu s’il y avait eu de la végétation à la place.

Premier enseignement de l’étude : dans l’étang Cistude de Brenne, de superficie similaire à celle de la retenue de Sainte-Soline et de profondeur inférieure (0.8 m en moyenne), l’évaporation totale annuelle s’élève à un peu moins d’un mètre.



Rapporté à la hauteur d’eau de la retenue de Sainte-Soline, que j’estime à environ 7 mètres (volume de 720 000 m3 divisé par 100 000 m²), cela fait environ 14% du volume total de la retenue.

Mais, cette évaporation est compensée par les précipitations qui tombent directement dans le bassin. Ainsi, on se rend compte que sur l’étang étudié, la pluie tombant sur l’étang compense totalement l’évaporation sur l’année (et même un peu plus)…

Mais pour être rigoureux, ce n’est pas tant le bilan hydrique annuel qui est à prendre en compte, mais plutôt le bilan sur les mois séparant le remplissage complet (supposé) de la réserve avec l’utilisation de celle-ci.

En gros, les mois d’avril, mai, juin, juillet et août. Et ces 5 mois là sont justement les plus pauvres de l’année en précipitation et les plus favorables à l’évaporation.

Pour estimer les pertes sur ces 5 mois-là, il nous faut la répartition mensuelle de l’évaporation. Pour cela, je suis allé voir la version longue de l’étude précédemment citée, ici (qui fait quand même 332 pages…)

Et là, on y trouve le bilan d’évaporation sur certains mois, et ce pour différents étangs.

Voici le bilan de l’évaporation dans l’étang Cistude entre février et août (pour deux techniques de mesure) (p.195).

J’ai rentré les valeurs approximatives (les mesures de bac flottant, notées comme étant plus fiables) dans un fichier Excel.

J’ai ensuite indiqué dans le fichier les valeurs en mm des précipitations à Niort.

J’ai ensuite calculé, pour chaque mois, la différence entre évaporation et précipitations, afin d’estimer les pertes d’eau.

Je tombe ainsi sur une perte totale de 366 mm, soit environ 5.2% du total (évalué à 7 m).

Un chiffre cohérent avec les estimations évoquées plus haut (pas celles de C. Amblard).

Alors, on pourrait dire que cet étang là subit peut-être des conditions particulières, alors je me suis amusé à refaire les calculs avec les données d’autres étangs considérés dans l’étude.

Pour l’étang des Oussines (p. 247), en extrapolant les données d’avril (incomplètes) avec un produit en croix, j’obtiens 352 mm (5% de la réserve).

Bref, comme on peut le voir, toutes ces données sont cohérentes entre elles.

3) Etude sur des retenues algériennes

Mais quid en cas de réchauffement climatique ? Pour tester ça, je suis allé voir une étude sur l’évaporation de réserves d’eau (sur barrage) en Algérie, où les conditions climatiques sont bien plus chaudes et sèches que dans les Deux-Sèvres

Trois études d’évaporation sont réalisées : dans une région considérée comme humide (que je considère comme tout de même plus sèche que la Charentes Maritime), dans une région semi-aride, et dans une région aride.

A savoir que les évaluations de l’évaporation sont faites à partir de calculs, ce qui génère de grosses différences entre les méthodes de calcul. J’établirai donc des fourchettes d’estimation.

Pour la zone « humide », j’ai fait le même travail que précédemment, sauf que j’ai considéré des précipitation 2 fois inférieures à celles de Niort.

Je trouve des pertes d’eau comprises entre 274 et 1179 mm. Soit entre 3.9 et 17% du volume stocké dans la réserve.

Pour la zone « semi-aride », j’ai considéré des précipitation 4 fois inférieures à celles de Niort.

Je trouve des pertes d’eau comprises entre 663 et 1410 mm. Soit entre 9 et 20% du volume stocké dans la réserve.

Pour la zone « aride », j’ai considéré une absence totale de précipitations.

Je trouve des pertes d’eau comprises entre 903 et 2616 mm. Soit entre 13 et 37% du volume stocké dans la réserve.

Il est amusant de constater que même en zone désertique, en considérant une absence totale de précipitations, les chiffres obtenus entre mars et août restent presque deux fois inférieurs à ceux de C. Amblard…

Si on considère que le réchauffement climatique entraine la présence d’un climat semi-aride dans les Deux-Sèvres (peu probable, d’après moi mais sait-on jamais !), avec des précipitations estivales divisées par 4 par rapport aux actuelles, alors on perdrait entre 10 et 20% de nos réserves d’eau. Ce qui est à la fois beaucoup, mais tout de même largement inférieur aux estimations des opposants.

4) Comparaison entre évaporation sur étangs et évapotranspiration

Chose intéressante à noter : l’eau perdue par évaporation dans les retenues le serait en réalité probablement également si ces retenues n’étaient pas là. Dans l’étude linkée plus haut (), il est en effet indiqué que les taux d’évaporation mesurés sont globalement similaires, voire inférieurs aux taux d’évapotranspiration d’une végétation de surface équivalente.

Une chênaie d’une surface équivalente évapotranspirerait environ autant d’eau qu’un étang (ou une retenue).

Une prairie humide, quant à elle, serait responsable d’une perte d’eau plus de deux fois supérieure à celle occasionnée par l’évaporation de l’eau dans l’étang ou la retenue.

Ainsi, l’eau perdue dans l’évaporation de la retenue n’est pas vraiment une perte pour le réseau hydrographique, car cette eau aurait de toute façon été perdue par la végétation qui aurait occupé sa surface.

En revanche, les pertes par évaporation dans les « bassines » peuvent compromettre partiellement leur rentabilité.

Conclusion :

J’ai récapitulé sur cette petite figure l’ensemble des résultats que j’ai obtenus dans ma petite recherche d’informations…

On constate que les données semblent à peu près cohérentes entre elles, et on s’attend à une perte par évaporation à Sainte-Soline de l’ordre de 5% du volume total.

En cas de réchauffement climatique, on s’attend à une augmentation des pertes jusqu’à probablement une dizaine de pourcentages.

Potentiellement, les pertes pourraient aller jusqu’à 20%, mais ce serait vraiment le grand max, en considérant toutes les hypothèse négatives, un climat semi-aride et une diminution d’un facteur 4 des précipitations estivales.

Les chiffres de C. Amblard, en revanche, sont 4 à 12 fois trop grands par rapport à l’ensemble des autres données, et semblent s’appuyer sur une interprétation abusive d’une étude américaine concernant un contexte qui n’a rien à voir.

Or, ses chiffres ont été repris sans aucun recul critique par l’ensemble des médias, comme 20 MinutesCNEWSFrance Info, Bastamedia, La Dépêche du Midi, Le MondeOuest-France.

Et évidemment, ça a été ensuite repris par tous les opposants au projet…

D'après certaines estimations, il y a plus de 100 000 retenues d'eau en France. Aujourd’hui, les plus grandes d'entre-elles font souvent l’objet d’un face-à-face tendu : d’un côté, des agriculteurs...

Il est tout de même assez décevant de voir que presque aucun service de fact-checking (à part CheckNews mais sous paywall…) n’ait pris le taureau par les cornes pour tenter de savoir d’où venaient ces chiffres et s’ils étaient cohérents.

Les opposants aux bassines en Sèvre niortaise ont fait réaliser une expertise qui remet en cause l’étude scientifique brandie par les porteurs des projets. Mais que valent leurs arguments ?

Mais enfin bref, j’espère qu’avec ce fil, vous y voyez un peu plus clair

Je vous invite aussi à aller voir le thread de @Jiemb1 (on a travaillé sur le sujet en parallèle sans le savoir), qui complète le mien sur des points très intéressants non abordés dans mon fil :

-Une explication approfondie sur le processus d’évaporation et les paramètres qui le contrôlent.

-Comment on arrive à évaluer l’évaporation.

-Comment se servir des données MétéoFrance d’évapotranspiration pour évaluer l’évaporation annuelle dans les retenues.

Il parle également brièvement de l’étude Aldomany, et des chiffres de C. Amblard (qu’il explique de manière un peu plus détaillée que ce que j’ai fait).

Petit point de désaccord en revanche avec @Jiemb1 : il pense que c’est plus pertinent d’évaluer le bilan annuel « précipitations – Evaporation », tandis que pour ma part, je reste plutôt focalisé sur la période située entre le remplissage et l’utilisation (entre mars et août).

Chacun se fera son opinion là-dessus sur ce qui est le plus pertinent, mais on arrive cependant aux mêmes conclusions, à savoir que :

-Les pertes seraient, au maximum, de l’ordre de 5% (un peu plus les années très sèches), ce qui est cohérent avec les estimations du retour d’expérience en Vendée.

-Les chiffres de C. Amblard sont bien au-dessus de la réalité.

A la prochaine !

Pour retrouver le Thread original de Terre à Terre : cliquez ICI

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