Argent-roi ? Individualisme ? Déclin du patriotisme ? Arrêtons de surinterprêter la défaite des Bleus !<!-- --> | Atlantico.fr
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Les joueurs les plus doués ne semblent pas posséder les vertus nécessaires à la réalisation d’une grande carrière.
Les joueurs les plus doués ne semblent pas posséder les vertus nécessaires à la réalisation d’une grande carrière.
©Reuters

Bleus de chauffe

La France a été éliminée piteusement de l'Euro de football. Mais gare aux jugements hâtifs : évoquer une simple "crise morale" chez les joueurs revient à négliger les aspects purement "footballistiques" de cette défaite.

Eric Deschavanne

Eric Deschavanne

Eric Deschavanne est professeur de philosophie.

A 48 ans, il est actuellement membre du Conseil d’analyse de la société et chargé de cours à l’université Paris IV et a récemment publié Le deuxième
humanisme – Introduction à la pensée de Luc Ferry
(Germina, 2010). Il est également l’auteur, avec Pierre-Henri Tavoillot, de Philosophie des âges de la vie (Grasset, 2007).

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Dimanche soir, on a assisté à un magnifique match de football qui a vu des italiens talentueux vaincre des anglais fatigués mais vaillants. Tous les ingrédients qui font « la beauté du sport », comme on dit d’une expression quelque peu galvaudée, étaient présents : de la combativité sans esprit querelleur, des magnifiques gestes techniques, de l’intelligence tactique, du courage pour transcender la fatigue et vaincre l’adversité, des manifestations de sympathie à l’égard de l’adversaire, avant et après la décision finale… C’était une belle fête sportive comme on les aime en Europe, où le nationalisme, prétexte à rassemblement, reste le plus souvent pacifique. Les équipes ont, deux heures durant, symbolisé l’idée d’une communauté solidaire et unie dans la poursuite d’un objectif : vainqueurs et vaincus ont ainsi légitimement suscité chez leurs supporters un sentiment de fierté et de gratitude.

On aurait aimé que l’équipe de France nous fasse vibrer de la sorte mais, malheureusement, elle est sortie piteusement de la compétition. Après deux matchs corrects laissant entrevoir quelques promesses, elle a enchaîné par deux défaites et donné le sentiment d’une déliquescence morale : suffisance, impuissance et résignation sont les mots qui résument l’impression générale. Les échos sur les propos de vestiaire accréditent l’idée que certains joueurs n’ont décidément pas le sens du collectif, tandis que les éructations de Samir Nasri à l’égard des journalistes, par un effet de généralisation abusif, installent l’image d’une bande de jeunes gens immatures, arrogants et irresponsables.

L’emballement médiatique est tel au sujet de l’équipe de France de football, que le risque réside cependant aujourd’hui, comme il y a deux ans, dans la surinterprétation de la déconvenue. Il est vrai que les raisons purement « technico-tactique » ne paraissent pas suffire à expliquer celle-ci, même si la Suède a bien joué et que l’Espagne fait preuve d’une rare expertise dans l’art de confisquer le ballon pour essouffler l’adversaire. L’absence des vertus nécessaires à la victoire (discipline collective, humilité, courage) était patente chez certains de nos joueurs. Est-il pour autant légitime d’aller chercher des causes « profondes » à cette faillite morale ? Les interprétations ne manquent certes pas : on peut y voir les signes du déclin du patriotisme, de la montée en puissance de l’argent-roi - qui conforte les égoïsmes et dissout l’esprit de sacrifice -, voire de la crise de l’éducation, laquelle révélerait elle-même une crise de l’autorité.

Il y a peut-être un peu de vrai dans tout cela, mais on ne voit pas pourquoi, si les facteurs structurels étaient si déterminants, les joueurs anglais et italiens, qui ont pourtant livrés un grand match avec toutes les qualités de cœur requises, seraient épargnés par ces maux effroyables. Il y a certes, dans le cas français, la sourde inquiétude - déjà exprimée après les déboires en Afrique du Sud - relative aux « fractures françaises » : une partie des joueurs n’est-elle pas issue de ces quartiers où la France, ses institutions et ses symboles sont souvent honnis et conspués ? Depuis 1998, on ne cesse ainsi de présenter alternativement les victoires et les échecs de l’équipe de France de football comme étant ceux de la France « black – blanc – beurs ». C’est sans doute inévitable, mais néanmoins excessif.

A l’encontre de ces interprétations, il faut surtout rappeler une évidence : l’adhésion à l’aventure collective que représente l’équipe de France ainsi que la réussite de celle-ci correspondent à l’intérêt bien compris du footballeur professionnel. Si les clubs constituent l’épicentre du foot-business, les grandes compétitions internationales, qui rassemblent un large public bien au-delà du cercle des passionnés, peuvent transfigurer l’image et le destin d’un joueur dans un contexte où la valeur économique dépend étroitement de la médiatisation. Il n’est qu’à considérer la notoriété et le destin des champions du monde de 98 pour s’en convaincre. Il ne devrait donc nullement être nécessaire de faire appel au patriotisme sacrificiel pour motiver les joueurs.

Les raisons du marasme actuel sont en réalité contingentes, et il n’y a aucune fatalité, ni collective, ni individuelle. Songeons que depuis deux ans le public réclamait la tête de Ribéry, dont le comportement au cours de cet Euro fut pourtant tout à fait honorable. Songeons également que Raymond Domenech fut vilipendé pour n’avoir pas sélectionné Samir Nasri et Karim Benzema, dont il redoutait l’influence délétère, lors de la dernière coupe du monde. Un sélectionneur doit composer avec la valeur technique et la valeur morale des joueurs : qu’il privilégie l’un des critères au détriment de l’autre, et cela lui sera de toute façon au final reproché si la réussite n’est pas au rendez-vous.

La difficulté de l’heure tient au fait que l’on a affaire à une génération au sein de laquelle les joueurs les plus doués ne semblent pas posséder les vertus nécessaires à la réalisation d’une grande carrière. L’inégalité des générations, en matière de sport, n’est toutefois pas un phénomène nouveau : rien n’autorise donc à désespérer de l’avenir. Quelques décisions judicieuses, quelques ajustements et l’émergence de deux ou trois nouveaux talents suffiront peut-être à retrouver un équilibre collectif et le chemin de la victoire, faisant ainsi oublier la « crise morale » dont l’équipe de France paraît aujourd’hui être le symptôme.

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