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Etat de guerre sanitaire : ces exemples venus du passé de peuples ayant gardé leurs nerfs
©HECTOR RETAMAL / AFP

Leçons

Alors que la France et que de nombreux pays à travers la planète (dont nos voisins allemands, italiens et espagnols) sont confrontés à l'épidémie de Covid-19, les leçons du passé pourraient être vitales. A d’autres époques, les peuples ont en effet réussi à faire face à des épreuves hors du commun.

Jean Garrigues

Jean Garrigues

Jean Garrigues est historien, spécialiste d'histoire politique.

Il est professeur d'histoire contemporaine à l' Université d'Orléans et à Sciences Po Paris.

Il est l'auteur de plusieurs ouvrages comme Histoire du Parlement de 1789 à nos jours (Armand Colin, 2007), La France de la Ve République 1958-2008  (Armand Colin, 2008) et Les hommes providentiels : histoire d’une fascination française (Seuil, 2012). Son dernier livre, Le monde selon Clemenceau est paru en 2014 aux éditions Tallandier. 

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Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Atlantico.fr : La France s'apprête à vivre une période de confinement renforcée, au travers de l'histoire récente ou moins récente, comme les populations se sont-elles adaptées à de telles situations de crise ? 

Edouard Husson : Nous avons une énorme différence entre la crise causée par l’épidémie d’aujourd’hui et celles du passé - ou les guerres: les croyances se sont effondrées dans la société française. Si vous prenez la Seconde Guerre mondiale, encore, chacun des groupes qui s’opposaient dans la France occupée, et l’immense majorité silencieuse étaient convaincus que l’Eglise, la République, le Prolétariat, étaient l’avenir du monde. Lors des grandes épidémies du Moyen-Age, le clergé ne se terrait pas dans ses églises, comme aujourd’hui, les prêtres allaient au devant des gens. Emmanuel Todd a formulé, pour décrire la sociologie des manifestations de janvier 2015, l’expression de « catholiques zombies ». Lorsque je vois le comportement des évêques français ou italiens aujourd’hui, j’ai envie de parler d’ « évêques zombies ». Ils n’ont même pas chercher à s’imposer aux pouvoirs publics en expliquant qu’en temps de crise, l’individu a besoin de réconfort, d’accompagnement et qu’alors qu’on peut mourir soudainement d’une épidémie, comme au temps de la grippe espagnole ou de la grande peste, on ne négocie pas sur l’accès aux églises. Quelle différence avec les évêques polonais qui ont intelligemment multiplié le nombre de messes pour que les assemblées de fidèles soient plus réduites, mettre de l’espace entre les gens etc ! 

Jean Garrigues : C'est une situation qui est totalement inédite mais que l'on pourrait peut être comparer à des périodes de siège. Je pense par exemple à ce qui s'est passé pendant la guerre de 1870, quand Paris a été assiégée de septembre jusqu'à mai soit jusqu'à la Commune. Pendant plusieurs mois il y avait donc un confinement forcé qui touchait la population parisienne qui s'est d'ailleurs traduit par des phénomènes de famine. La situation était bien plus grave et dépassait le simple couvre feux. On se souvient par exemple de la fameuse anecdote de l'éléphant du Jardin des plantes qu'on avait été obligé de manger ou encore des rats que les Parisiens s'étaient mis à manger pour survivre. C'était donc une période extrêmement difficile qui, en même temps, avait induit des phénomènes de solidarité extrêmement forts au sein de la population parisienne. Victor Hugo s'était, notamment, beaucoup engagé pour donner de l'argent aux Parisiens et également pour la défense de Paris face aux Prussiens.

Outre cet exemple, on peut également citer celui du Blitz à Londres. Un événement qui s'apparente également à un siège -le danger vient de l'extérieur- mais sans l'encerclement de l'ennemi ici remplacé par des bombardements réguliers suscitant des phénomènes d'anxiété et d'angoisse. Ici, comme lors du siège de Paris en 1870, on retrouve l’essor de la solidarité et de l'entraide pour aller se réfugier dans les caves ou dans le métro londonien et au quotidien entre les habitants.

Cependant, la grosse différence entre ces situations et ce qui se passe aujourd'hui, c’est que les périodes de confinement actuelles passent aussi par la méfiance de l'autre. Ceci, d'une manière presque mécanique, atténue le réflexe de solidarité. Réflexe de solidarité qui, paradoxalement, passe justement par l'éloignement de l'autre, par la mise à l'écart de l'autre puisque le danger, ici, vient de l'autre. Il y a donc presque une sorte de paradoxe dans le fait que la solidarité, c'est-à-dire le geste qui sauve l'autre soit l'éloignement, et c'est d'ailleurs quelque chose d'assez unique dans ce type de phénomènes.

L'exemple majeur est bien sur celui de la grippe espagnole qui a fait 50 millions de morts au sortir de la Première Guerre mondiale. Mais, dans cette situation précise le confinement n'était même pas une solution envisageable du fait de la désorganisation totale. En effet, la grippe espagnole a débuté pendant la guerre, les ressources étaient moindres et les moyens sanitaires et politiques disponibles ne permettaient pas d'imposer de périodes de quarantaine ou de confinement. Ainsi, si la situation nous paraît dramatique aujourd'hui, elle l'était bien davantage en 1918 à cause de l'inefficacité des moyens sanitaires et de l'inefficacité des moyens politiques de confinement.

En quoi la manière de s'acclimater à de telles situations évolue-t-elle selon qu'il s'agisse d'un conflit ouvert ou d'une épidémie ? Le comportement des populations ainsi confinées est-il similaire peu importe les causes du confinement ?

Edouard Husson : Non. Regardez qu’il y a autant de manières de s’adapter que de sociétés. La société britannique réagit avec un grand sang froid, au point même qu’on la trouve, vue de l’extérieur, imprudente. Les Pays-Bas, de culture libérale aussi, font le même choix. La société américaine a commencé à se mobiliser comme pour une guerre - dans son cas, c’est vrai ! Les sociétés démocratiques de la sphère confucéenne ont misé sur la science, la technologie et la discipline sociale sans prescription de l’Etat. Les Etats du groupe de Visegrad restent largement ce qu’ils sont depuis un demi-siècle, des nations pleinement chrétiennes, fidèles à l’héritage culturel de l’Europe. Quant au gouvernement français il confine mais laisse les gens aller faire leur jogging - comme si c’était la préoccupation de tous les Français. Je pense que nous allons retrouver en France, vu l’incapacité de nos pouvoirs publics à affronter la crise de manière coordonnée et en ayant une stratégie, à la réaffirmation de solidarités naturelles - une sorte de généralisation de la France des Gilets Jaunes de 2018. A partir du moment où, par imprévoyance, les pouvoirs publics français sont amenés à laisser mourir les personnes âgées atteintes gravement par le virus, les familles vont tout faire pour protéger leurs aînés; les vertus de l’école à la maison vont être redécouvertes. Evidemment cela concernera surtout les classes moyennes. Nous avons un énorme problème, très loin de la rhétorique du Président: les classes populaires, concernées par la fracture numérique, ne pourront pas vraiment répondre au défi de l’heure. Quant aux banlieues, elles semblent développer une sorte de société anarchique parallèle qui ne répond à aucune injonction des pouvoirs publics.

Jean Garrigues : Je n’ai pas suffisamment étudié ces périodes pour rendre compte des différences majeures dans le comportements entre les individus. Mais, je pense qu'elles induisent parfois, chez les individus, des réflexes d'égoïsme ou de profonds désaccords mais aussi des réflexes de solidarités. Pour la survie de chacun pour soi mais aussi des réflexes de solidarité. Ce que l'on peut dire c'est que les sensibilités collectives des individus issus de pays qui ont une forte culture de la liberté individuelle seront différentes de celles des individus vivant en Chine ou en Asie où l'individu se fond dans le collectif. En outre, il est plus facile d'imposer une discipline de comportement et de socialisation dans des sociétés qui ont cette culture de guide collectif.

Ainsi, on voit bien que les réflexes varient en fonctions des pays et des cultures ; ceux des Danois ne seront pas les mêmes que ceux des Français ou des Chinois. Mais on voit aussi que les réflexes varient en fonction des catégories d'âge. Il est plus difficile d'imposer des règles de socialisation aux plus jeunes qui n'ont pas une perception aussi aigüe du danger voire même de la mort que ne l'ont leurs aînés. Ils ont également un goût plus prononcé généralement pour la fête ce qui explique également qu'ils défient les règles en place. Il y a tout un tas de distorsion culturelle générationnelle peut être aussi géographiques aussi qui font que toutes les réactions ne sont pas identiques.

On dit souvent que les Anglais ont été exemplaires durant le Blitz. Ils ont résisté à plusieurs mois de bombardements, de destructions sans faire couler de sang et ce, sans céder à la panique et de manière héroïque pour beaucoup. Maintenant, je le répète, si l'on prend l'exemple du siège de Paris en 1870, il me semble que là aussi le peuple de Paris a été exemplaire. C'est, pour partie, ce qui explique la révolte de la Commune de Paris. Une sorte de solidarité commune s'était créée entre une partie du peuple parisien -la bourgeoisie était hostile à la Commune-et c'est ce réflexe collectif qui, lorsque le gouvernement qui était à Versailles -ce qu'on appelait Versailles- est venu enlever les canons de Montmartre, les a poussé à se révolter contre ce qui était perçu comme un nouvel ennemi de l'extérieur. Un ennemi qui n'était plus les Prussiens mais qui était le gouvernement d'Adolphe Thiers. Il est donc certain que ces périodes sont favorables à la poussée d'une forme de solidarité collective.

Il faut dire également, que jusqu'à une certaine époque les populations étaient accoutumées à ces périodes de confinements et de pénuries. Du Moyen-Age jusqu’à 17ème / 18ème siècle, les sièges étaient courants, et les habitudes qui en découlaient étaient très ancrées dans les cultures. Prenons pour exemple les châteaux forts, leur existence même témoigne de cette culture du siège. Ils étaient conçus pour résister à des sièges presque sur un principe de confinement : il était d'usage que toute la population vienne se réfugier dans la cour du château.

Parfois on observe également la naissance d'une culture de la dénonciation, mais ce phénomène reste marginal et c'est largement la culture de l'entraide qui domine. 

A-t-on des exemples de populations qui ont su le mieux résister à ces situations dramatiques ? Quelles étaient alors leurs habitudes ? 

Edouard Husson : Il faut faire une différence entre nos sociétés, qui avaient largement oublié, jusqu’à récemment, ce qu’est une épidémie. Cela explique une partie de la panique sociale et gouvernementale actuelle. On croyait que tout cela faisait partie du passé. Il y a deux siècles encore, la mortalité se mettait à dépasser la natalité, élevée, en période d’épidémie. Les gens vivaient avec l’expérience de la mort. Si l’on remonte encore plus loin dans le passé, tout le combat des chrétiens, en vingt siècles, a été de découvrir, par approximations successives, une attitude rationnelle et scientifique face aux épidémies. A partir du moment où l’on fait une distinction entre Dieu et la nature, et que l’on part du constat que la nature est pleine d’embûches et d’erreurs et que la grandeur de l’homme est de s’affirmer contre elle au besoin, on se met à la travailler rationnellement, à essayer d’agir sur elle. Mais pendant longtemps, on ne disposait pas encore des moyens techniques d’agir efficacement pour contenir les pandémies. Nous ne nous rendons pas compte de la chance que nous avons eue, depuis la fin de la Première Guerre mondiale et la terrible grippe espagnole, de vivre dans un monde sans pandémie. Il est absolument indispensable que nos sociétés apprennent à lutter efficacement contre le Coronavirus. Des menaces récentes (SIDA, Ebola) ont montré comme le spectre des grandes contagions du passé n’est jamais loin. 

Jean Garrigues : Que ce soit pendant le Blitz, à Paris pendant l’Occupation ou encore durant la Commune, les lieux de divertissement restaient bien souvent ouverts. Durant le Paris occupé par exemple, les théâtres, cinémas et lieux de fête étaient ouverts et souvent pleins.

Pendant la Commune, il y avait également beaucoup de représentations théâtrales, d’opéras qui étaient même données gratuitement par les acteurs, comédiens et chanteurs. Toutes ces distractions permettaient à la population d’oublier ses peurs et ses angoisses, c’est aujourd’hui le même principe avec Netflix, les jeux vidéos… même si tout est actuellement fermé. 

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