Et si la nouvelle guerre froide décidée par Joe Biden contre la Chine nous revenait en boomerang ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Joe Biden et Xi Jinping en entretien vidéo en novembre 2021
Joe Biden et Xi Jinping en entretien vidéo en novembre 2021
©Mandel NGAN / AFP

Guerre froide 2.0

Les États-Unis tentent, par des contrôles à l'exportation notamment, d'endiguer le développement économique de la Chine. Mais ces mesures pourraient aussi se retourner contre eux

Emmanuel Lincot

Emmanuel Lincot

Professeur à l'Institut Catholique de Paris, sinologue, Emmanuel Lincot est Chercheur-associé à l'Iris. Son dernier ouvrage « Le Très Grand Jeu : l’Asie centrale face à Pékin » est publié aux éditions du Cerf.

 

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Charaf Louhmadi

Charaf Louhmadi est ingénieur. Il a notamment travaillé au sein d'un cabinet de conseil en stratégie et d'audit et pour de grandes banques françaises comme Société Générale, Natixis, Crédit Agricole et BPCE SA à travers des missions en analyse quantitative, ALM, risques de marchés/contrepartie. Il est l’auteur du livre « Fragments d'histoire des crises financières ».

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Atlantico : Alors que les deux pays se livrent une guerre commerciale, voire « une nouvelle guerre froide », les États-Unis semblent désormais déterminés à contrecarrer le développement de la Chine. Mais à quel prix ? Dans quelle mesure cette guerre commerciale pourrait se retourner contre eux ?

Emmanuel Lincot : Au prix d’une division avec ses alliés. Deux exemples : le chancelier Scholz a clairement fait savoir que le découplage avec la Chinen’était pas pour demain. Quant à Emmanuel Macron dont une visite d’Etat à Pékin est prévue au début de 2023, ses intérêts appuyés et réitérés sont une coopération maintenue avec la Chine dans le domaine de l’aéronautique. Ajoutons que même si le gouvernement fédéral américain développe des programmes très ambitieux à l’innovation, ces derniers pourraient être ralentis par l’exportation de terres rares pour la fabrication des microprocesseurs, et dont la Chine conserve le monopole quant à leur exploitation. Enfin, l’atelier du monde a pu donner l’illusion à la classe moyenne américaine de vivre au-dessus de ses moyens en consommant chinois. La flambée des prix pourrait avoir pour le camp démocrate des effets dévastateurs. La Chine éponge par ailleurs les dettes des Américains : le moyen de pression peut être énorme à l’encontre Washington.

Charaf Louhmadi :Les relations bilatérales entre les deux pays sont au plus bas, si Joe Biden et son homologue Xi Jinping, (nouvellement prolongé dans ses fonctions), se connaissent depuis des années, les deux présidents en exercices se rencontrent pour la première fois, au sommet du G20 qui a eu lieu les 15 et 16 novembre dernier en Indonésie, dans le cadre de leurs fonctions présidentielles. 

Cette guerre commerciale, que certains qualifient comme nouvelle « guerre froide » est nocive pour les deux pays ; la balance commerciale américaine en bien chinois est déficitaire de plus de 200 milliards de dollars au premier semestre 2022, ce qui montre que les consommateurs américains demeurent friands de biens chinois. En outre, ce déficit américain s’est creusé de 27% comparé à la même période en 2021, ce qui s’explique par une stagnation des importations américaines vers la Chine : 72 milliards de dollars ; versus une accélération des exportations chinoises :  271,8 milliards de dollars. 

En appliquant des sanctions à l’égard de la Chine, Washington cible son rival en vue de ralentir son essor économique et militaire. Cela aura évidemment un impact sur l’industrie économique et militaire chinoise qui rappelons-le dépendante des importations de machines-outils de l’étranger, essentiellement des Etats-Unis, en vue de fabriquer des semi-conducteurs, secteur clé dont les applications sont civiles et militaires pour l’Empire du Milieu. 

Un ralentissement des échanges commerciaux sino-américains aura des impacts sur la croissance mondiale et détruira par ricochet des emplois à l’échelle de la planète.

Alors que les semi-conducteurs sont une véritable arme stratégique de la guerre économique entre les États-Unis et la Chine, Washington a annoncé des restrictions drastiques de ses exportations de puces électroniques vers la Chine. Comment cette décision peut-elle se retourner contre les États-Unis ?

Charaf Louhmadi : Les deux premières puissances connaissent l’enjeu stratégique, technologique et militaire des semi-conducteurs. Ce secteur, talon d’Achille de la balance commerciale chinoise (312 milliards de dollars de circuits importés en 2018 versus à peine 84,6 milliards de circuits exportés) est indispensable dans tout équipement électronique qu’il soit civil ou militaire. 

La Chine accuse également un retard technologique conséquent par rapport aux Etats-Unis et à Taïwan, qui produisent des puces électroniques de taille plus petites donc plus performantes (de l’ordre de quelques nanomètres).  Pékin souhaite annexer rapidement Taïwan et multiplie les exercices militaires à proximité de l’île, qui produit à travers son entreprise TSMC, leader mondial dans l’industrie des semi-conducteurs, des puces électroniques à la pointe de la technologie.La présidente de Taïwan  Tsai Ing-wen a déclaré début novembre 2022 que : « L'invasion de Taïwan par la Chine pourrait se produire dans un avenir très proche. Par conséquent, nous devons nous préparer à cela. Il y a une menace réelle. Ce ne sont pas des paroles en l'air. » En cas d'attaque, Les Etats-Unis sont prêt à intervenir. Le président américain Joe Biden, extrêmement ferme sur le dossier Taïwanais, l’a dit à quatre reprises et  a envoyé des navires de guerre en exercice dans la région Indo-pacifique. Rarement un président américain aura été aussi agressif sur le sujet. Ce type de déclarations refroidissent de plus en plus les relations bilatérales sino-américaines. Le secrétaire d’Etat Antony Blinken, a dénoncé une « coercition croissante » de la Chine sur l’île voisine, alors même que Pékin s’estime calomniée et dénonce continuellement et graduellement l’ingérence américaine.En outre, on note de nombreux clients chinois d’entreprises américaines, YMTC, fabricant de mémoire qui avait signé avec Apple, de telles sanctions sur les exportations technologiques américaines fragilisent dans ce sens, les fournisseurs américains. 

Dans quelle mesure les contrôles à l'exportation de Biden représentent-ils une rupture décisive avec la mondialisation telle que nous l'avons connue jusqu'à présent ?

Emmanuel Lincot : Pour le moment, cela relève encore largement d’une pure intention. Dans les faits, le business entre les deux rives du Pacifique se porte très bien. Ce qui, soit dit en passant, n’est pas forcément un indicateur fiable pour qui s’intéresse aux relations bilatérales. La preuve : alors que les échanges économiques ne cessent de se développer, les tensions stratégiques entre les deux Etats sont de plus en plus vives. En réalité, Joe Biden comme ses successeurs accompagneront une tendance de fond : l’abandon progressif de la chaîne mondiale de production parce que tout simplement cela commence à nous coûter trop cher. La fin de la mondialisation telle que nous l’avons connue avec le porte containers comme élément signe de ce capitalisme étendu aux cinq continents ne se sera plus qu’un souvenir commenté par les historiens dès lors où les nouvelles technologies numériques nous permettront de produire, de consommer et de recycler in situ. Il y a sûrement aussi une part d’utopie dans ce projet mais les technologies vertes comme normes ne répondent pas seulement qu’à des impératifs écologiques. Elles visent pour l’Occident à s’assurer une avance suffisante pour ne pas être concurrencé ainsi par les pays du Sud. Pour autant, je ne crois pas à une autarcie totale. Des régions du monde vont être durement convoités : l’Afrique, l’Amérique du Sud pour leurs réserves de lithium, entre autres…


Le système mondial peut-il gérer des stratégies étouffantes de croissance parmi ses plus grandes économies ? 

Emmanuel Lincot : Précisons que cette expression  de « stratégies étouffantes de croissance » désigne le coût environnemental de la croissance et du développement humain en termes de pollution et de consommation en eau. Clairement, nous nous orientons vers une catastrophe écologique majeure car la terre ne peut supporter une telle sollicitation dans l’exploitation de ses ressources. La Chine, les Etats-Unis, l’Inde ontt une part de responsabilité énorme qui peut s’avérer irréversible. Mais même sur le volet de la coopération écologique les deux grands sont en proie à la suspicion. Et pour cause : il y va de la suprématie technologique donc du statut de puissance.

Charaf Louhmadi : En 2018, Christine Lagarde, à l’époque directrice générale du FMI, évoquait au sommet du G20 de Buenos Aires, les impacts de la guerre commerciale sino-américaine sur la croissance mondiale. La rivalité croissante et agressive des deux premières puissances mondiales impacte les indicateurs macro-économiques mondiaux dont évidemment la croissance, d’ores-et-déjà minées par les tensions géopolitiques à l’image de la guerre en Ukraine et par l’absence d’une dynamique d’investissement dans certaines zones de la planète. 

La Chine a connu un essor économique conséquent lors des deux dernières décennies grâce à son adhésion à l’Organisation mondiale du commerce et donc à l’ouverture internationale de son commerce et de ses exportations. Elle continue de nouer des partenariats extrêmement conséquents dans différents continents, dont le continent africain où elle est la principale créancière d’un certain nombre d’Etats. 

L’Empire du Milieu a lancé le plus grand réseau mobile 5G au monde, et a investi dans de nombreux ports asiatiques et africains en vue de développer davantage ses « routes de la soie ». 

Sous l’impulsion américaine, les dirigeants du G7, réunis en juin dernier ont annoncé dimanche leur engagement à lever près de 600 milliards de dollars pour financer des projets d’infrastructures dans des pays en développement, en partie pour y contrer l’influence chinoise. Il est assez difficile d’affirmer que ces stratégies ralentiront réellement l’essor de la Chine, d’ores-et-déjà bien implantée dans un nombre non négligeable de pays émergents. 

Si l'hégémonie américaine a stabilisé l'ordre mondial en permettant une croissance rapide pour tous, que pourrait-il se passer quand elle ne le fait plus ? Vouloir stopper le développement économique de la Chine risque-il de mettre le feu aux poudres ? 

Emmanuel Lincot : cette logique de croissance était conditionnée par la rivalité avec les Soviétiques dans un premier temps. Les Etats-Unis ont naturellement dépassé ce paradigme en choisissant, dans un deuxième temps, la Chine comme atelier du monde pour les raisons décrites plus haut. Désormais, l’éco-durabilité devient le moteur de la rivalité avec Pékin dont la croissance restera admise par Washington pour autant que la Chine ne dépasse pas les Etats-Unisdans la maîtrise de cette très haute technologie qui permettra de relocaliser les principaux secteurs de production. La Chine n’a pas d’autre alternative que de répondre à ce défi américain. C’est dangereux en effet mais soyons optimistes : la planète pourrait en sortir gagnante…

Charaf Louhmadi : La guerre technologique a de lourdes conséquences sur la Chine qui déplore une « hégémonie technologique américaine » et insiste sur la nécessité vitale de « remporter résolument des batailles technologiques clés ». Les Etats-Unis souhaitent restreindre également les exportations européennes vers la Chine dans ce secteur technologique dont les entreprises exportatrices nécessitent désormais une licence auprès du Département du Commerce américain.

L’Europe, qui joue souvent un rôle d’équilibriste, considère la Chine aujourd’hui comme un partenaire commercial incontournable dans certains secteurs clés (La Chine est en 2020 le premier partenaire commercial de l’Union européenne avec 586 milliards de dollars (exportations et importations), soit 31 milliards de plus que le commerce de l'UE avec les Etats-Unis). A contrario, l’Union européenne se montre de plus en plus méfiante à l’égard de la Chine sur le volet technologique et les ministres des affaires étrangères parlent d’un « rival coriace »

Enfin, Pékin a préparé une riposte en faisant évoluer ses lois et réglementation en matière de rétorsion économique. Celles-ci permettent à l’Empire du Milieu de punir ceux qui appliqueraient de manière “injuste” les mesures extraterritoriales étrangères. Ces dispositifs risquent également de freiner drastiquement la croissance mondial et le développement du commerce international. 

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