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Le président chinois Xi Jinping accélère la sinisation des religions d’origine étrangère.
Le président chinois Xi Jinping accélère la sinisation des religions d’origine étrangère.
©LEAH MILLIS / POOL / AFP

Faire table rase

Le Parti communiste chinois est en voie de réécrire la Bible et d'autres textes religieux.

Emmanuel Lincot

Emmanuel Lincot

Professeur à l'Institut Catholique de Paris, sinologue, Emmanuel Lincot est Chercheur-associé à l'Iris. Son dernier ouvrage « Le Très Grand Jeu : l’Asie centrale face à Pékin » est publié aux éditions du Cerf.

 

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Atlantico : Le Parti communiste chinois est en voie de réécrire la Bible et d'autres textes religieux. Quelles sont les raisons qui auraient motivé cette initiative et quelles en seraient les implications pour les chrétiens en Chine ?

Emmanuel Lincot : Xi Jinping accélère la sinisation des religions d’origine étrangère. C’est vrai du bouddhisme comme de l’Islam ou du christianisme et cela se traduit par une destruction systématique par exemple des édifices religieux qui ne sont pas conformes aux attentes du Parti ou à une restructuration des ouvrages les plus fondamentaux; la Bible notamment que vous citez et qui est ponctuée d’aphorismes à la gloire de Xi Jinping. Cette volonté d’un contrôle total du Parti sur la vie des communautés religieuses s’est exercée dès l’instauration du régime communiste avec un vieil atavisme : le préjugé selon lequel ces communautés sont instrumentalisées par les pouvoirs étrangers. Ce fut en grande partie le cas jadis pour ce qui concerne les catholiques dont la sécurité était garantie par la « fille aînée de l’Eglise », c’est à dire la France, parfois soupçonnée, non sans raison d’ailleurs, d’ingérences dans les affaires chinoises. Le risque pour le Parti serait de voir ces communautés lui échapper; ces communautés ayant été par ailleurs durement persécutées à l’époque maoïste. Réciproquement, si l’on prend l’exemple des catholiques, le Vatican reste très prudent dans ses réactions par rapport à des décisions unilatérales prises par le Parti en matière de nomination des évêques et ce, afin de ne pas s’aliéner les difficiles tentatives d’établir à terme des relations diplomatiques entre Rome et Pékin non plus que de perdre la possibilité d’accompagner ces communautés dont le nombre d’adeptes ne cesse d’augmenter d’années en années. 

Le Parti communiste chinois tente d'adapter le christianisme aux valeurs socialistes chinoises. Quelles pourraient être les conséquences de cette adaptation sur la pratique religieuse et les croyances des chrétiens chinois ?

Fondamentalement, les idées socialistes ne détonnent en rien par rapport aux évangiles. Le marxisme est d’essence chrétienne, sa vision téléologique de l’histoire l’est aussi. Qu’il y ait par ailleurs une dénaturation des textes bibliques que l’on trouve dans l’idolâtrie rendue à Xi Jinping laisse en définitive assez indifférents les chrétiens chinois; lesquels recherchent avant tout dans le sens de l’ecclésia chrétienne - comme pour les bouddhistes à travers le sangha - un lieu de rassemblement et d’échanges ritualisés. C’est important, surtout dans une société aussi atomisée et brutalisée que la société chinoise, de se savoir écouté, de pouvoir se retrouver dans le silence d’une prière ou dans l’esprit d’une communion quelque part, à la fois en dehors et en dedans du monde. Et c’est ce que redoute par dessus tout le Parti communiste que de ne pas pouvoir contrôler ces espaces de liberté. Il fait ainsi le pari de les institutionaliser en nommant ses propres ecclésiastiques et en interdisant tout autre lieu qui échapperait à son contrôle. C’est évidemment impossible et en cela les communistes ont déjà perdu la partie. 

Certaines voix affirment que cette réécriture s'inscrit dans une volonté de contrôle de la pensée et de l'idéologie en Chine. Quelles seraient les implications potentielles sur la diversité culturelle et religieuse dans le pays ?

L'idée est de façonner des religions proprement nationales et idéologiquement compatibles avec la doctrine du Parti. Cette sinisation est évidemment synonyme d’uniformité mais c’est absolument vain en ce que le christianisme dans son essence profonde prône une séparation des pouvoirs (entendons le Christ: « Mon royaume n’est pas de ce monde »; « Rendons à César ce qui est à César »…) et se projette sur des temporalités qui sont, elles, étrangères aux contingences gérées par le Parti. Et le rôle de l’écriture ou en l’occurrence de la réécriture des textes bibliques à l’aune d’une pensée unique, qui est celle du Parti, n’a je pense qu’un impact très limité car le christianisme en Chine se vit comme une tradition vivante. Cette tradition accorde le primat du geste et de la parole sur l’écriture. Paradoxe s’il en est pour une civilisation textuelle mais nous n’en revenons pas moins à une défiance très ancienne en Chine pour l’écriture. La preuve par le christianisme.

- Le cas de la Bible n'est pas un cas isolé, car d'autres religions ont également fait l'objet de restrictions et de contrôles. Comment évaluer la situation générale de la liberté religieuse en Chine et quelles pourraient être les perspectives d'avenir ?

La situation est catastrophique. Nombre de croyants, quelle que soit leur religion, sont harcelés et subissent des répressions sévères qui vont jusqu’à des peines d’incarcération très lourdes. En fait se joue ici une rivalité qui oppose le communisme en tant que religion civile à des religions qui lui sont concurrentes. La Chine connaît sans jamais la nommer une guerre à bas bruit très particulière. Je veux parler ici d’une guerre de religions.

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