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Une affiche du polémiste Eric Zemmour, à Willer-sur-Thur, dans l'est de la France, le 9 novembre 2021.
Une affiche du polémiste Eric Zemmour, à Willer-sur-Thur, dans l'est de la France, le 9 novembre 2021.
©SEBASTIEN BOZON / AFP

Gaulliste, vraiment ?

Comme tant d’autres, et après tant d’autres, Eric Zemmour se déclare « gaulliste ». Suffirait-il d’être critiqué par ses adversaires politiques et pour des déclarations contestables par ses confrères journalistes pour crédibiliser les convictions qu’il revendique ? En réalité, si l’on reprend les écrits et les propos de l’écrivain-journaliste à succès, on ne voit en rien ce qui attesterait de ses convictions « gaullistes ».

Pour le démontrer, je n’évoquerai que quelques uns des thèmes principaux constitutifs de son engagement politique. 

En premier lieu, sa dénonciation du « grand remplacement » selon lequel les 9 à 10  millions de musulmans vivant en France seraient une cinquième colonne à la conquête de notre pays. S’appuyant sur sa propre lecture du Coran, Eric Zemmour refuse de différencier les musulmans, Français ou étrangers, assimilés à notre pays et intégrés dans la culture française, de ceux qui privilégient leur lecture de la charia, plutôt que le respect des règles de notre Etat de droit. 

Certes, il est  incontestable que les immigrés de religion musulmane, originaires du Maghreb, d’Afrique sahélienne et du Moyen Orient sont devenus majoritaires et se réclament d’une culture plus difficilement assimilable, et même intégrable, que celles des immigrations précédentes. Il est vrai, aussi, que nos gouvernements successifs n’ont que trop tarder à se saisir des conséquences de cette situation qui a entraîné certaines populations de nos cités vers une dérive communautariste et même, pour des intégristes radicalisés, vers le terrorisme.

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Néanmoins, la très grande majorité des musulmans vivant en France participe à sa vie économique, sociale et culturelle et ne peut être amalgamée aux islamistes fanatiques.

Si de Gaulle souhaitait, effectivement, préserver pour la France et l’Europe la civilisation judéo-chrétienne et humaniste, Eric Zemmour ne peut pas, en revanche, s’y référer pour s’attaquer, avec une telle virulence discriminatoire, à tous les musulmans de notre pays. 

C’est de Gaulle, tout au contraire, l’Algérie étant devenue indépendante, qui a renoué avec la politique méditerranéenne de la France. C’est à dire avec les relations traditionnelles d’amitié et d’intérêts réciproques avec l’ensemble du monde arabo-musulman. Tant par ses écrits, par ses discours, par ses propres valeurs de référence que par ses décisions politiques de Gaulle n’a jamais manifesté quelque rejet que ce soit des musulmans, en tant que tels, et de leur religion.  Il avait même accueilli dans le premier gouvernement de la Ve république Nafissa Sid Cara, la pionnière de l’Islam républicain. Et, il ne suffit pas de puiser dans les récits de propos rapportés pour se justifier de sa propre obsession, dont nul ne voit la faisabilité d’une solution pratique.

L’opposition à l’Europe et à l’entente franco-allemande représente un autre thème politique privilégié par Eric Zemmour. Sur ce thème, également, le polémiste se voudrait « gaulliste ». Mais, c’est méconnaître l’ensemble de la vision, longuement réfléchie et partiellement mise en oeuvre par de Gaulle de sa politique européenne et de sa relation avec l’Allemagne. 

Il faut même remonter à sa détention comme prisonnier en Allemagne, pendant la première guerre mondiale, pour comprendre que l’officier patriote qu’était de Gaulle s’était déjà convaincu que l’avenir de la paix entre les deux rives du Rhin devrait reposer sur l’entente franco-allemande.

L’écrivain officier qu’il fut pendant les années 20 et 30 avait bien anticipé les conséquences des traités de paix et de la crise de 29 qui ne pouvaient aboutir qu’à un nouveau conflit. Mais, cela n’empêcha pas « l’Homme du 18 juin » de déclarer dès Londres que l’avenir de la France passerait, après la guerre, par l’union de l’Europe et la réconciliation franco-allemande. Et, y compris pendant « sa traversée du désert », il ne revint jamais sur cette perspective. 

En revanche, de Gaulle s’est clairement et systématiquement opposé au projet d’Europe supranationale, gouvernée par une commission, dont il contestait la légitimité démocratique.

Union d’Etats Nations, l’Europe « européenne » du général de Gaulle devait devenir une puissance, indépendante des Etats-Unis, capable d’assurer sa propre Défense. Son adversaire le plus déterminé fut, dans ce domaine, Jean Monnet qui voulait une Europe maintenue sous la tutelle de Washington. Malgré les chantiers en cours, et non des moindres, qu’étaient pour de Gaulle à son retour au pouvoir, la fin du conflit algérien, la nouvelle constitution et le redressement économique de la France, il avait tenu à recevoir à Colombey les Deux Eglises, le 14 septembre 1958, le Chancelier Adenauer, un des « Pères de l’Europe ». Leur compréhension mutuelle et leur entente sur la même vision de l’Europe témoignèrent, au regard de l’histoire, que le procès d’anti européen fait à de Gaulle n’avait aucun fondement. La visite triomphale qu’il fit ensuite outre Rhin en fut une éclatante démonstration.

Partisan d’un Etat tout puissant, Eric Zemmour ne peut pas plus se réclamer de la politique régionale décentralisée et déconcentrée que de Gaulle avait préconisée avec l’expérience de ses dix années au pouvoir. C’est cette politique, que l’on appelle aujourd’hui la république des territoires, que veulent mettre en oeuvre ses plus authentiques disciples.

Rien dans l’action du premier président de la Ve République n’était dogmatique. Toute sa politique fut le fruit d’une vision lucide et réaliste de la situation et des changements souhaitables et possibles. Et, il s’y appliquait toujours avec détermination et fermeté. C’est pourquoi, dix ans après son retour et le rétablissement d’une France forte et respectée, de Gaulle avait voulu donner aux territoires, à leurs élus, en coopération avec les préfets, représentants de l’Etat, de nouvelles responsabilités et de nouvelles missions.

Enfin, comment ne pas dénoncer l’insistance avec laquelle Eric Zemmour voudrait déresponsabiliser Pétain du sort réservé par le régime de Vichy aux Français juifs ? C’est uniquement avec de Gaulle, à Londres, dans la France Libre, dans la Résistance intérieure et auprès de compatriotes courageux qui les protégèrent, que ces derniers purent trouver un salut.

L’ancien polémiste de Cnews s’est aussi régulièrement référé à l’Action Française de Charles Maurras, en occultant sa condamnation, à la Libération, à la réclusion criminelle à perpétuité et à la dégradation nationale. En effet, ce chantre du nationalisme intégral et de l’antisémitisme avait pendant l’occupation collaboré avec les nazis, en dénonçant nommément les résistants dans son journal.

Plutôt que de traiter de « traîtres au gaullisme », par un électoralisme indécent,  ceux qui se situent aujourd’hui dans la continuité de la pensée et de l’action de Charles de Gaulle, Eric Zemmour, qui ne manque pourtant pas de talent, devrait avoir l’honnêteté intellectuelle et politique de se présenter, tel qu’il est, un nationaliste nostalgique d’une histoire mythifiée de la France.

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