Encadrement des loyers : l’Espagne l’a essayé, après un an le bilan est… catastrophique<!-- --> | Atlantico.fr
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En Espagne, la limitation à 2% des révisions des loyers a eu de nombreux effets contre-productifs
En Espagne, la limitation à 2% des révisions des loyers a eu de nombreux effets contre-productifs
©Dominique FAGUET / AFP

Mesure contre-productive

Augmentation des prix, baisse de l'offre disponible et difficultés accrues des locataires à accéder à un logement : en Espagne, la limitation à 2% des révisions des loyers a eu des effets contre-productifs.

Charles Reviens

Charles Reviens

Charles Reviens est ancien haut fonctionnaire, spécialiste de la comparaison internationale des politiques publiques.

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Atlantico : L’Espagne avait décidé de mettre en place un encadrement des loyers. Quelle forme a-t-il pris ? Un an après, quel est le bilan de cette mesure ?

Charles Reviens : L’écosystème logement de l’Espagne a ses spécificités avec une prépondérance de propriétaires occupants et plus de 93 % de propriétaires qui sont des particuliers en lien avec l’absence d’investisseurs institutionnels dans le logement ou d’un secteur de logement locatif social important comme dans un nombre limité de pays d’Europe (Autriche/Danemark/France/Pays-Bas/Royaume Uni/Suède).

L’idée d’un encadrement des loyers est dans les esprits depuis quelques années en Espagne puisqu’un dispositif de cette nature avait été mise place en Catalogne en 2020, dispositif annulé par la Cour constitutionnelle espagnole en mars 2022. C’est alors le gouvernement espagnol qui a repris la main avec l’entrée en vigueur il y a un an (le 29 mars 2022) d’un plafonnement à 2 % de la révision des prix des logements locatifs, ceci dans le cadre d’un plan global pouvoir d’achat visant à atténuer l’impact sur les Espagnols de la guerre en Ukraine débutée un mois plus tôt. L’objet affiché était d’éviter une augmentation considérable des loyers eu égard à un taux d’inflation particulièrement élevé 8,3% en Espagne, proche des 8,4 % de la zone euro et mais beaucoup plus élevé que les 5,9 % de la France selon les données Eurostat.

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La mesure espagnole semble avoir deux caractéristiques : le choix d’un taux de plafonnement (2 %) très écarté de l’inflation et donc probablement de la hausse des couts subis par les propriétaires d’un part, la concentration sur les contrats (baux) déjà en vigueur.

Les locataires en place ont donc dû logiquement profiter massivement de la mesure (c’était probablement l’objectif politique et électoral de la mesure, mais il semble qu’aucune règle n’était mise en place concernant les logements non loués ou les nouveaux baux. Les propriétaires se sont donc adaptés soit en augmentant les loyers demandés pour les logements non loués soit en résiliant des baux en cours pour recaler les loyers. Différentes sources parlent d’une augmentation des nouveaux loyers de l’ordre de 9 %, niveau très proche de l’inflation mais éloigné de la hausse de 2 % pour les baux en cours : 8,7 % en un an jusqu'à 11,7 euros par mètre carré selon le portail immobilier Idealista, 10,2 % selon l'autre grand portail immobilier Fotocasa: 10,2% d'une année sur l'autre. La hausse est plus du double dans certaines des villes très attractives : +22,9 % pour Malaga, Barcelone +20,2 %.

On note par ailleurs une chute du nombre de logements disponibles à la location dans les districts à prix réglementés dans un marché déjà pénurique pour certaines localisations : Idealista indique que le stock de biens locatifs disponibles a baissé d’un an en 2022 est inférieur de 17 %, avec une chute de 42 % pour Malaga, de 32 % pour Madrid et de 28 % pour Barcelone. De nombreux propriétaires semblent ainsi avoir choisi de retirer leur logement du marché à la fin du contrat et de les mettre en vente.

Donc comme souvent avec la mise en place d’un dispositif de contrôle des loyers il y a des gagnants (les locataires en place) et des perdants (les candidats à la location et les propriétaires dont on bloque le rendement et qui semblent connaitre en Espagne un sentiment d’insécurité juridique et considèrent que le gouvernement a changé les règles à mi-parcours.

Bref j’espère que la mesure a donné au gouvernement un bénéfice politique ou électoral parce qu’elle semble plutôt mal boutiquée dans son impact et son montage technique. On n’en est pas tout à fait à obtenir un résultat strictement opposé à celui attendu mais on s’en approche.

Comment expliquer un bilan si catastrophique ? Est-ce l’effet systématique de l’encadrement des loyers ?

Ce papier constitue ma troisième contribution pour Atlantico qui me pose chaque année une question du contrôle des loyers :

6 octobre 2020 : contribution sur l’alternative du dispositif japonais favorable à la construction au contrôle des loyers.

30 juin 2021 : revue des impacts du contrôle des loyers 

5 juin 2022 : analyse d’une mise en œuvre d’un contrôle des loyers aux USA.

De façon générale Atlantico est très critique du contrôle des loyers. C’est en outre un marronnier journalistique (expression qui date de la Révolution française (tous les ans, un marronnier à fleurs rouges fleurissait aux premiers jours du printemps sur la tombe des Gardes suisses tués lors de la journée du 10 août 1792, dans les jardins des Tuileries à Paris, et tous les ans un article paraissait dans la presse pour s'en faire l'écho).

Sur le fond, et le récent exemple espagnol le confirme, on ne peut que constater l’attrait universel pour cette approche et de nombreux autres pays y ont récemment eu recours : différents comtés aux États-Unis, Berlin, Argentine même s’il y a de nombreuses questions de calibrage et de ciblage des dispositifs souvent peu sophistiques.

Pour comprendre cet attrait, il faut faire un peu d’économie politique, d’histoire, et d’analyse comparée des politiques publiques du logement. En effet il y a une tentation permanente pour les responsables politiques, ceux de gauche plus que les autres, pour pousser et parfois mettre en œuvre les dispositifs d’encadrement des loyers les plus divers : quand on croit peu au marché, quand on veut limiter les nouvelles constructions pour des raisons environnementales ou autres, et qu’on fait face à des augmentations de prix et de loyers effectives pour de multiples raisons, la solution de l’encadrement des loyers constitue une option politique tentante

Le dispositif est souvent décidé pour pallier une situation de flambée des loyers (l’inflation suite à la hausse de l’énergie en Espagne). Ainsi le dispositif a une efficacité à court terme puisqu’il procure avantage de prix pour les locataires ciblés par le dispositif (locataires en place ou entrants), et c’est la raison principale pour laquelle il est mis en place. En revanche il induit des conséquences de moyen et long terme qui peuvent être particulièrement négatives.

Il ne faut enfin pas oublier l’impact à moyen terme sur l’offre de logements disponibles à la location, du fait du comportement bien documenté des propriétaires dans la durée : non-respect de la loi, réduction des investissements de maintenance, retrait de logements du marché locatif : la contrainte de prix sur les loyers crée, et c’est d’ailleurs son objectif une contrainte économique sur les bailleurs avec conséquences directes sur l’offre ou la qualité de l’offre. D’où la phrase boutade de l'économiste Assar Lindbeck selon lequel « outre un bombardement, la meilleure façon de détruire une ville est par une politique de contrôle des loyers ». L’encadrement des loyers crée de beaux effets insiders-outsiders avec des gagnants (locataires bénéficiaires du dispositif) et des perdants à court terme, sachant que les perdants (propriétaires et investisseurs) vont réduire leurs investissements d’entretien voire sortir du marché avec une réduction de l’offre dont sont victimes les candidats locataires non rentrés sur le marché.

Donc à long terme le risque est celui d’une baisse de l’investissement et des effets d’éviction et de réduction de l’offre conduisant soit à la hausse de certains prix soit à la baisse de la qualité de l’offre. Il y a très souvent un cycle d’économie politique entre mise en place puis abandon des dispositifs d’encadrement des loyers.

On peut toutefois constater que certains pays ont des dispositifs d’encadrement des loyers plutôt stables, à l’instar de l’Allemagne (« miroirs » territoriaux des loyers) et de la Suède (régulation judiciaire des niveaux de loyers).

Le gouvernement espagnol vient d’annoncer que les loyers ne pourront pas augmenter de plus de 3 % en 2024. Pourquoi persistent-ils malgré ce mauvais bilan ?

Il y a d’abord les raisons de fond expliquée à la question précédente. Il y a par ailleurs l’enjeu du « délai de décence » de l’action politique (il faut un certain temps pour faire le contraire de ce qu’on avait proposé et mis en œuvre avant).

On note toutefois une baisse significative de l’inflation en Espagne qui devrait baisser le pression publique sur l’enjeu du pouvoir d’achat auquel le dispositif gouvernemental sur les loyers a tenté d’apporter une réponse.

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La coalition au pouvoir travaille par ailleurs sur une importante loi sur le logement (Ley de Vivienda) toujours en discussion entre ses différentes composantes (PSOE et Unidas Podemos).

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