Emmanuel Macron, l’innovation et les illusions étatistes<!-- --> | Atlantico.fr
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Depuis son lancement fin 2021, la moitié des 54 milliards d'euros de crédits prévus pour ce plan a déjà été engagée, selon l'Élysée
Depuis son lancement fin 2021, la moitié des 54 milliards d'euros de crédits prévus pour ce plan a déjà été engagée, selon l'Élysée
©LUDOVIC MARIN / AFP

France 2030

Deux ans après son lancement, Emmanuel Macron compte bien "faire le bilan" de son plan innovation à 54 milliards d'euros

Don Diego De La Vega

Don Diego De La Vega

Don Diego De La vega est universitaire, spécialiste de l'Union européenne et des questions économiques. Il écrit sous pseudonyme car il ne peut engager l’institution pour laquelle il travaille.

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Atlantico : Le chef de l’Etat s’est rendu lundi 11 décembre sur le site d’Airbus à Toulouse pour faire un premier bilan de « France 2030 » son plan d’investissement de 54 milliards d’euros. Deux ans après le lancement du plan d’investissement France 2030 consacré à l’innovation, quel est le bilan en la matière pour le chef de l’État ?

Don Diego De La Vega : Le bilan est très maigre. C'est d'ailleurs pour ça qu'il est obligé de remettre une petite couche sur le plan de la pédagogie, sur le plan des moyens, sur les encouragements donnés au déploiement plus rapide des moyens. Il est obligé de doubler son donquichottisme industriel, parce que ça ne percole pas, ça ne s'enclenche pas. Le bilan est mince parce que tout ça a été filoché entre différents acteurs, saupoudré entre différents secteurs et le tout sur cinq ans. Il n’y a pas d'impact net très visible.

 De plus, cela se fait dans une période très compliquée, une période de déclin industriel. On est en récession industrielle partout en Occident depuis à peu près avril 2022. Ça fait maintenant à peu près 20 mois de suite qu'on a un déclin de tous les indicateurs industriels en France et en Europe. On le voit à travers les PMI, les ISM, le Confluence board. On le voit à travers tous les indicateurs de conjoncture possible. L'industrie va mal. Il n'y a pas que l'industrie allemande qui va mal. Dans une période peu propice, en réalité, lorsque vous bâtissez du capital productif quelque part, très souvent vous désinstallez du capital productif ailleurs dans des plus grandes proportions, ce qui, en effet, ne produira pas d’effets positifs sur les comptes de PIB français ni en matière d'emplois, parce que les rares usines qui émergent sont des usines qui sont quand même plutôt robotisées, c'est-à-dire assez peu pourvoyeuses d'emplois traditionnels. C'est embêtant parce qu'il y a de l'argent public qui a été versé dans pas mal d'industries. D’où la nécessité pour le gouvernement de miser doublement sur le marketing et sur la communication institutionnelle.

Quelle a été leur méthode ? Est-ce que la méthode est la bonne ?

La méthode est toujours la même. On choisit des secteurs, et on saupoudre parce qu'on manque de conviction. On passe souvent par des acteurs dont le bilan est extrêmement douteux, comme la Caisse des Dépôts et Consignations ou encore la Banque Publique d’Investissement. Et on escompte qu'on pourra obtenir des résultats intéressants dans les années 2030, mais qui ne seront pas évalués de toute façon. Emmanuel Macron ne sera plus président, et d’autres politiques menées viendront changer la donne par la suite.

Quant aux investissements étrangers célébrés par le chef de l’État, que dire ? Est-ce que les effets d'annonce ne sont pas très éloignés des effets d'aubaine ? Est-ce que ces investissements étrangers n'auraient pas eu lieu quel que soit le plan de l'Élysée ? Est-ce que ces investissements étrangers doivent être subventionnés ? Est-ce que ce subventionnement est judicieux maintenant que les cours d'intérêt sont plus à zéro mais à 4 % ? Est-ce qu'on ne ferait pas mieux de déployer l'argent ailleurs ? Est-ce que la France est un pays qui peut encore se permettre un plan hydrogène à 7 milliards et un plan supercalculateur à 5 milliards ? On en vient toujours au même problème, ce n'est pas la mission de l'État.

A ce titre, que nous apprend la théorie économique comme les expériences concrètes sur le terrain ?

La théorie économique et les expériences concrètes exigent de Macron qu’il s’occupe de son travail, qui est de veiller à la Constitution, d'être un arbitre, de s'occuper de la réforme de l'État, de la police, des frontières, de la défense. Bref, de s'occuper du régalien et éventuellement d'offrir le plus possible un filet de sécurité à son peuple, parce que, comme le disait un penseur qui ne peut pas être accusé de marxisme, qui s'appelait Disraeli, « la véritable fonction de l'État est de fournir une garantie sociale au peuple ». C'est un chantier gigantesque. Quand on a cinq millions de fonctionnaires et de para fonctionnaires, quand on a 100 départements, 10 régions, etc, c'est un énorme chantier. Il faut revoir la carte territoriale, il faut simplifier les impôts, il faut retoiletter pas mal de réglementations, il faut s'occuper du foncier qui doit être libéré, il faut s'occuper de beaucoup de choses.

Il faut retrouver une dynamique managériale dans la fonction publique, il faut s'occuper de l'école. Les derniers résultats Pisa n’étaient pas glorieux. Il faut faire beaucoup de choses, mais il ne faut pas s'occuper de l'innovation qui doit être laissée à des capitaines d'industrie et à des startupers.

Comment va se développer l'innovation ?  

Elle se développera contre l'État. Elle se développera dans les interstices qui n'ont pas été pollués par les interventions de la BPI, de la Caisse des Dépôts et Consignations. Elle se développera là où on ne l'imagine pas. Elle ne se développera pas contre les Chinois ou contre les Américains ou elle ne se développera pas parce qu'on a décidé de multiplier les réglementations à Bruxelles. Elle se décidera peut-être dans les confins de l'intelligence artificielle parce qu'à un moment, on laissera faire une entreprise française qui deviendra mondiale si on ne la démolit pas et si on n'impose pas dans son conseil d'administration quatre ou cinq énarques de façon réglementaire. Il y a une petite chance pour qu'un jour émergent de bonnes choses parce qu'il nous reste des entrepreneurs. Mais ça ne se fera pas avec l'État. Ça se fera sans lui ou contre lui. C'est la leçon des 50 dernières années de théorie économique et surtout de la pratique. Dans la pratique, l'État pourrait être stratège. Et pour être stratège, il faudrait qu'il ait, par exemple, un horizon long.

C'est rarement le cas de la classe politique qui veut des résultats avant 2027, en réalité. Il faut bien poser des horizons, mais en plus, il faut qu'on ait le soubassement. C'est très compliqué d'avoir le soubassement en France puisqu'on forme 40 000 ingénieurs par an. C'est à peine suffisant pour maintenir le stock de capital productif. Ce n'est pas vraiment suffisant pour se lancer dans la compétition avec les Chinois et les Américains sur des thèmes majeurs. L'ensemble de la R&D en France du secteur privé correspond grosso modo au budget R&D chaque année d'Amazon. Donc il faut à un moment reprendre un peu les choses et surtout se dire que vu nos moyens qui sont limités, vu les taux d'intérêts qui ne sont plus à 0 % et vu que l'État ne sait même pas s'occuper de ses missions régaliennes, il ne va pas s'occuper des défis industrielles, il ne va pas se prendre pour Elon Musk. Il faut qu'on se concentre sur deux ou trois thèmes. Il faut déterminer des priorités, par exemple le nucléaire, l'énergie pilotable, l'énergie décarbonée pilotable. Ça, c'est déjà une priorité énorme. Nous n’avons pas les ressources, ni budgétaires, ni de main-d'œuvre qualifiée, pour faire mille autres choses à côté. Or, moi, je vois à peu près toutes les 24 heures un nouveau projet gouvernemental.

La théorie économique nous dit qu'il y a une logique de concentration et a fortiori, quand on est dans la situation de la France aujourd'hui, il faut vraiment concentrer ses efforts sur très peu de priorités. Or la méthode Macron, je ne la comprends pas d'un point de vue temporel. Je ne la comprends pas du point de vue de la dispersion des moyens. Je ne la comprends pas dans le financement de ces moyens. Et je pense surtout que ce n'est pas à lui de piloter quoi que ce soit, vu qu'en plus il est totalement incapable de piloter quoi que ce soit. Il faut simplement s'organiser pour que le terrain industriel et d'innovation soit le plus clair possible, avec moins de réglementations, de juges, de banquiers centraux et de forces étatiques.

C'est ça qui bride l'innovation aujourd'hui en France, c'est que vous voulez faire quelque chose et vous êtes immédiatement en proie à des dizaines de règlements.

Puis ces dizaines de milliards promis par le chef de l’État, c’est un tonneau des Danaïdes. On a un plan Juncker, puis on a un plan Breton. On a des plans européens, on a des plans locaux, on a des plans de l'État qui se juxtaposent. L'argent public est balancé, il n'y a pas de doute, mais quand sera-t-il évalué ? Jamais. La Cour des comptes n'est pas vraiment équipée ou mandatée pour ça. Il n'y a pas de véritable évaluation au niveau des fonds européens comme au niveau des fonds nationaux. Mon premier problème, c'est l'évaluation. Déjà, si on regardait ce qui a été fait dans le passé et qui, en général, a relevé de la pure gabegie, on retiendra quelques enseignements. Ensuite, évidemment, il y a des conflits d'intérêts à tous les étages. C'est un gros problème parce qu'on a affaire à des intérêts privés. Chaque lobby, chaque secteur veut son morceau du plan. Le résultat, c'est que le plan est déchiré en 15 morceaux et qu’évidemment, il n'y a aucune priorité possible.

Les politiciens français et les administrateurs à Bercy adorent jouer aux partenaires de private equity. Ils adorent jouer aux mécanos industriels. Ils adorent ces choses-là. Ça leur permet de faire des réunions avec le secteur privé qui sera évidemment leur futur employeur. Évidemment, ça les intéresse doublement. Ça leur permet de distribuer à droite, à gauche. Ça leur permet de se prendre pour des capitaines d'industrie. Or ils ne sont pas des capitaines d'industrie. Ce n'est pas leur talent, ce n'est pas leur compétence. L'état stratège, c'était dans les années 50-60, quand on était dans une phase d'équipement et qu'il n'y avait pas de secteur privé. Maintenant, il ne faut surtout pas faire ça. Il faut que l'État fasse ce pourquoi il est mandaté, dans l’enseignement, la santé, la sécurité, etc. C'est déjà beaucoup. Il y a déjà de quoi faire.

Peut-on parler d’illusions étatistes ?

Les illusions étatistes, c'est toujours une approche très top down. C'est toujours l'idée qu'on va réussir à faire du picking de secteurs, on va réussir à faire des bons choix de secteurs d'avenir. C'est toujours cette idée que le secteur public qui est extraordinairement mal géré va expliquer aux capitalistes qui sont des gens très distraits et très naïfs comment s'y prendre pour faire de l'innovation. C'est-à-dire qu'un secteur fermé qui n'est pas en concurrence avec le reste du monde, va expliquer à des gens qui eux sont quand même en concurrence avec des Américains et des Chinois comment il faut penser l'innovation à long terme.

Qu'il faille à un moment impulser quelque chose dans des domaines comme par exemple les gigafactories de batteries électriques, oui, l'État peut avoir un rôle d'amorceur, il peut avoir un rôle de facilitateur, il peut éventuellement avoir un rôle de coordinateur parfois mais à condition après de se retirer, à condition après de faire dans le capital light. 

Là, si vraiment l'État voulait faire quelque chose, si Macron voulait faire quelque chose d'utile pour l'industrie française, il militerait pour que la BCE baisse les taux d'intérêts et s'organise pour ne pas avoir un euro trop cher au passage. Avec des taux d'intérêts qui baissent et avec un euro moins cher, l'industrie française existe encore dans 15 ans. Mais vouloir faire du déploiement industriel, du déploiement de start-up, de licornes, ça n'a pas de sens. Faire ça en plus à un moment où l'euro est cher et où on monte les taux d'intérêts et où personne ne dit rien à la BCE, il y a quand même quelque chose de surprenant. C'est du volontarisme mal placé. C'est l'idée qu'on va reprendre notre destin en main, on va réinjecter de l’argent public dans l'industrie et on va redevenir une grande nation industrielle. Mais le problème, c'est que ça, c'est clairement pas l'État, puisque c'est l'État qui a désindustrialisé massivement. L’État doit foutre la paix aux industriels.

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