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Emmanuel Macron à l’assaut de la droite : gare à la débâcle des sentiments
©Nicolas TUCAT / AFP

Le grand gloubi boulga

Alors que l’alliance entre Renaud Muselier et LREM en PACA continue à provoquer des remous, les macronistes évoquent deux droites irréconciliables. L’allégeance à M. Macron ou le rejet de Mme Le Pen suffisent-ils pour autant à penser en soi les défis du monde d’aujourd’hui ?

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Michel Maffesoli

Michel Maffesoli

Michel Maffesoli est membre de l’Institut universitaire de France, Professeur Émérite à la Sorbonne. Il a  publié en janvier 2023 deux livres intitulés "Le temps des peurs" et "Logique de l'assentiment" (Editions du Cerf). Il est également l'auteur de livres encore "Écosophie" (Ed du Cerf, 2017), "Êtres postmoderne" ( Ed du Cerf 2018), "La nostalgie du sacré" ( Ed du Cerf, 2020).

 

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Atlantico : Renaud Muselier s’est rallié à LREM en région PACA pour les prochaines élections. Pourtant sur le fond politiquement, il n’avance pas d’argument précis sur la raison pour laquelle il se sent plus proche de Macron. Tout comme d’autres personnalités des Républicains ont du mal à définir leurs réelles différences avec Marine Le Pen. En effet sur beaucoup de sujets (immigration, insécurité, islamisme…), les discours semblent converger. En politique, l’émotion est-elle donc devenue le nouveau critère pour se positionner en lieu et place des arguments étayés et du fondement idéologique ?

Michel Maffesoli : Les candidats aux élections et les hommes politiques en général font campagne sur les thèmes dont on leur dit qu’ils mobiliseront les électeurs. Dès lors que les électeurs sont plus touchés par des sentiments, de l’affect, des arguments émotionnels, une ambiance, les candidats aux élections vont manier ces leviers. 

En effet, durant la modernité, cette époque qui a vu s’installer les régimes de démocratie représentative, la politique opposait des « projets » (Julien Freund, « L’essence du politique », 1965), des programmes, des partis de droite et de gauche portant ces programmes pour réaliser un projet de société. Ceci ne fonctionne plus.

On ne peut plus mobiliser des électeurs en leur présentant un projet et surtout il n’y a plus de différences majeures des programmes économiques, de politique internationale, de politique culturelle, sociale etc. Tous les partis, mouvements politiques font un mélange d’écologie, de laïcité et de républicanisme, de régulation des flux migratoires, de renforcement des politiques sécuritaires et tous prônent un Islam de France intégrant les lois de la République, c’est-à-dire assimilé. 

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Il y a bien sûr des différences, peut-être plus théâtralisées que réelles entre l’extrême droite et l’extrême gauche. On constate cependant qu’aucun parti ne propose d’expulser les personnes immigrées en situation régulière, qu’aucun parti ne propose non plus d’ouvrir les frontières. Aucun parti ne propose d’interdire les cultes et de fermer les édifices religieux, de supprimer l’enseignement privé ou au contraire de privatiser l’enseignement public. Enfin une sorte de douce écologie, parfois plus prescriptive, parfois plus incantatoire embellit, verdit tous les programmes. 

Sur quoi vont donc se décider les électeurs ? Ce ne sera plus sur l’appartenance des candidats à tel ou tel parti, dès lors que la « forme parti » (R.Michels, « Les partis politiques », Flammarion, 1971) ne constitue plus un élément de rassemblement. Alors que jusque dans les années 80 du siècle dernier, les électeurs se partageaient entre partis réformistes, révolutionnaires, conservateurs etc.  dont l’idéologie ne changeait pas et auxquels ils étaient fidèles, on constate une grande labilité de l’électorat qui se décide effectivement sur des critères plus affectifs, plus émotionnels, plus contingents. Ou s’abstient !

Ce passage de décisions rationnelles, guidées par l’intérêt de classe (économique essentiellement) à des « coups de cœur » pour tel ou tel personnage, tel ou tel mouvement n’est pas propre à la sphère politique. On le constate dans beaucoup de domaines. Il n’y a plus de constance des électeurs, d’une certaine manière il n’y a plus de pérennité d’un projet politique et d’une idéologie. Il n’y a plus non plus de déterminisme socio-économique (les fameuses CSP, catégories socio-professionnelles) des appartenances politiques : le parti socialiste n’est plus un parti d’ouvriers et ni LR, ni le RN ne sont des partis de bourgeois. 

Il faut donc pour mobiliser des électeurs les séduire plus que les intéresser, les faire rêver plus que les convaincre, les entraîner plutôt qu’argumenter rationnellement. D’ailleurs il n’est pas sûr que les électeurs écoutent les discours des hommes politiques. 

En revanche « le coup de théâtre », les ralliements, les trahisons, les soutiens, bref tous ces micro-évènements sont autant de scènes d’une politique totalement réduite à la théâtralisation.  N’est-ce pas  ce que Platon nommait la « théâtrocratie » ? Particulièrement forte, notait-il  quand il y avait dégénérescence de la démocratie.

Il faut absolument qu’il se « passe quelque chose » pour que les électeurs se souviennent qu’il y aura des élections. Dont la vraie gagnante pourra être, d’ailleurs, l’abstention. 

Edouard Husson : Ce n'est pas nouveau dans l'histoire de France. Au fond, c'est la vieille coupure entre la droite orléaniste et la droite légitimiste plus la droite bonapartiste, pour reprendre les distinctions de René Rémond qui, finalement, n'ont pas tant vieilli que cela. Emmanuel Macron, enfant du grand Bassin Parisien, porteur d'un individualisme absolu, scolarisé chez les Jésuites mais ayant coupé avec l'héritage chrétien, fait irrésistiblement penser à tous ces petits chefs révolutionnaires (son livre "Révolution" est très révélateur avec sa vacuité et son lyrisme creux à la fois) qui ont prospéré sur les divisions des partisans du Roi, entre 1789 et 1793. Renaud Muselier, petit-fils de l'amiral Muselier, est un peu comme ces aristocrates qui ont trahi la monarchie pour la Révolution. Quand même, quand on descend d'une figure de la France libre, on devrait rejeter spontanément tout ce que produit l'homme qui n'a que la très abstraite "souveraineté européenne" à la bouche, aux dépens de la souveraineté concrète, celle du peuple français; exactement comme les orléanistes ont préféré l'abstraction révolutionnaire à la personne du Roi ! On peut très bien formuler tout cela en termes d'allégeance. Et donner de la profondeur à ou constater de la superficialité dans les choix effectués. Muselier est très représentatif de ces cadres de la droite LR pour qui la "grandeur de la France" telle que l'a incarnée le Général n'évoque plus rien. 


Atlantico :  Pour fracturer la droite, Emmanuel Macron semble miser sur la partie du camp dont les sentiments (notamment l’optimisme, opposé au pessimisme d’une droite plus radicale et plus proche du RN) seraient les plus compatibles avec ceux de l’électorat LREM. Joue-t-il lui aussi sur le registre de l’émotion ?

Michel Maffesoli : Emmanuel Macron s’est toujours défini comme faisant parti du camp des gagnants, voulant entraîner la population française sur ce chemin du progrès infini, de l’efficience du capitalisme, de l’absence de limites du libéralisme. Une idéologie mondialiste qui s’inscrit bien dans l’idéologie moderne, le capitalisme financier et numérique étant la figure ultime du capitalisme. (cf. Le Great Reaset, d’Eric Verhaeghe, Le Great Reset, ed. Culture & Racines, 2021).

Cette droite s’oppose effectivement à celle qu’on pourrait qualifier de droite du ressentiment ou de la nostalgie, où se côtoient des petits blancs shootés aux aides sociales et aux anti-dépresseurs et des vieillards effrayés par la disparition de leurs repères religieux, culturels, politiques.  

D’un côté on mise tout sur le monde d’après, un monde numérisé, un monde contrôlé, un monde toujours plus productiviste, toujours plus rationaliste même s’il est teinté de vert ; de l’autre côté on voudrait revenir au monde d’avant, celui de la France de Clovis ou de Charles Martel, ou plutôt celui des Trente glorieuses. 

Alors s’il est vrai que comme je l’ai dit ci-dessus le politique va jouer sur le registre de l’émotionnel en mettant en scène sur le mode des séries télévisées les affrontements et les rapprochements, il ne réussira pas, sur le long terme, à mobiliser les énergies, à agréger les différentes composantes d’une république qui n’est plus une et indivisible, mais fractionnée en de multiples communautés, ces « tribus » que je décris depuis des décennies. 

Non plus des partis ou même des communautés religieuses stables et bien circonscrites, mais de multiples groupes éphémères, inconstants, se renouvelant. D’une certaine manière ce n’est plus le contenu programmatique qui fédère les membres d’un parti et encore moins les électeurs, mais le rassemblement lui-même, le mouvement. Le nom même la « République en marche », s’inscrit tout à fait dans ce mouvement vibrionnant, selon lequel il est possible de tourner et retourner sa veste sans cesse, de faire alliance avec l’un le matin et l’autre l’après-midi. L’essentiel étant d’additionner des épisodes théatraux, d’avoir toujours quelque-chose de nouveau à montrer. Non pas démontrer, juste montrer. 

Atlantico : À tout miser sur les sentiments et quasi rien sur la clarification politique, ne risque-t-on pas de récolter l’instabilité systématique et le magma émotionnel ?

Michel Maffesoli : Bien sûr, il y a ce risque, je dirais même que c’est ce qui se passe. La crise sanitaire dont je dis depuis ses débuts qu’elle est une crise civilisationnelle, en est une illustration parfaite. Tout s’est joué sur scène et les épisodes se sont succédés dans un désordre total, presque revendiqué. 

Avec ou sans masque, avec ou sans obligation vaccinale, avec ou sans fermeture des écoles, avec interdiction des déplacements interrégionaux sauf pour le week-end de Pâques. .. Même nos sérieuses statistiques se sont retrouvées dans ce maelstrom de chiffres, dans lequel les indicateurs changeaient sans cesse, le recueil des données aussi, tout cela délivré au nom de la science par des clowns tristes. 

Quant à l’émotionnel, il est certain que le maniement de la peur, l’hystérie même des experts, des dirigeants, la religiosité du discours scientifique en sont une parfaite démonstration. 

L’ordre public lui-même s’impose non plus par des normes juridiques fixes, mais par un totalitarisme hygiéniste qui aboutit à une mise au pas des relations sociales jamais égalée. Signant en quelque sorte la fin de la démocratie représentative et son remplacement par une politique théâtralisée dans laquelle les sondages d’opinion, l’audimat, le jeu des copains et des coquins tient lieu de débat. 

D’une certaine manière c’est la fin de l’ordre démocratique. Parce que celui-ci n’est plus pertinent. Il y a un tel fossé entre les élites maitresses de l’opinion publiée et le peuple, représentant l’opinion publique, que les fondements de l’idéal démocratique sont ébranlés. La cohésion sociale et l’affrontement commun au destin ne passent plus par le choix de représentants nationaux, régionaux ou départementaux, mais par de multiples expériences locales dans lesquelles la solidarité, l’entraide, la joie de se retrouver fondent le vivre-ensemble. Ce sont là des communions émotionnelles vécues et non pas mises en scène par un pouvoir en mal de légitimité. 

Edouard Husson : En fait, l'effondrement moral d'un Muselier est l'une des multiples manifestations de la faillite éducative des cinquante dernières années. Là encore, je pense que l'on pourrait faire de la bonne politique avec des sentiments élaborés, cultivés, enracinés. On pourrait comparer le comportement d'un Muselier à la tribune des militaires. Cette dernière s'appuie aussi sur l'émotion. Au sein de la tradition militaire, on apprend à cultiver le sens de l'honneur, vieille notion médiévale. C'est d'ailleurs un appel à l'honneur des gouvernants ! Et le texte a aujourd'hui 24 000 signatures ! Le Général de Gaulle disait "L'honneur, le bon sens, l'intérêt supérieur de la patrie!". L'émotion fondatrice ne peut pas être séparée d'une réflexion enracinée dans le réel ni d'un calcul ancré dans le bien commun. Muselier est passé par le RPR. Il devrait avoir tous ces repères. Ajoutons qu'il lui manque un instinct de survie profond, comme à toute la droite depuis au moins 2017. La manière dont la "guerre des chefs" a détruit François Fillon avec comme conséquence d'être durablement éloigné d'un pouvoir qui était à portée de main, est une autre manifestation de l'absence d'émotion profonde, vitale, chez les barons de la droite LR aujourd'hui. Pour reprendre une expression d'Emmanuel Todd, qui parle des "catholiques zombies", on pourrait parler des "gaullistes zombies".  

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