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Il y a maintenant un large consensus pour confirmer l’avantage, en termes de mémorisation et surtout de compréhension du discours des enseignants, de l’écriture manuscrite par rapport à celle utilisant un ordinateur.
Il y a maintenant un large consensus pour confirmer l’avantage, en termes de mémorisation et surtout de compréhension du discours des enseignants, de l’écriture manuscrite par rapport à celle utilisant un ordinateur.
©Philippe HUGUEN / AFP

Avantageux

Selon de nombreuses études, l’écriture sur papier aurait de nombreux avantages par rapport à l’écriture sur ordinateur.

André Nieoullon

André Nieoullon

André Nieoullon est professeur de neurosciences à l'université d'Aix-Marseille.

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Atlantico : Selon de nombreuses études, notamment « Advantages of Longhand Over Laptop Note Taking », publiée en 2014, l’écriture sur papier aurait de nombreux avantages par rapport à l’écriture sur ordinateur. Comment expliquer ce phénomène ?

André Nieoullon : Comme vous le mentionnez, il y a maintenant un large consensus dans la communauté des chercheurs et des enseignants pour confirmer l’avantage, en termes de mémorisation et surtout de compréhension du discours des enseignants, de l’écriture manuscrite par rapport à celle utilisant un ordinateur. Certes l’écriture numérique est incontestablement plus rapide que l’écriture manuelle mais, selon de nombreuses éudes, elle présente l’inconvénient majeur de reproduire pour l’essentiel les propos mots pour mots qui sont tenus par l’enseignant (le verbatim), alors que, dans le cas de l’écriture manuscrite, le verbatim retranscrit est beaucoup plus limité, à priori en rapport avec la vitesse avec laquelle s’effectue la prise de notes, à l’avantage de l’écriture numérique. En fait, les études montrent que la différence porte surtout sur le contenu des notes, beaucoup plus synthétique dans le cas de l’écriture manuscrite, ce qui se traduit par le fait que lorsque l’on cherche à évaluer la mémorisation et la compréhension des concepts présentés par l’enseignant quelques jours après la prise de notes, il est constaté une différence considérable dans les performances, en faveur des étudiants ou des élèves ayant procédé à une prise de notes sur papier.

De nombreuses équipes se sont penchées sur cette question des avantages et inconvénients de l’utilisation de l’une ou l’autre façon de prendre des notes, tant sur le plan de l’analyse comparative des performances que sur celui des mécanismes cérébraux, notamment à l’aide de méthodes d’imagerie cérébrale fonctionnelle. De façon schématique et sans entrer dans les détails, il s’avère que l’écriture manuscrite mobilise des ressources cérébrales beaucoup plus larges que celle utilisant un clavier, comme le montre l’étendue des zones cérébrales activées lors de la prise de notes, bien différente dans l’un et l’autre cas. Selon les experts du domaine, écrire à la main mobilise une forme de « mémoire sensorimotrice » en rapport avec le long processus d’apprentissage de l’écriture. Ce processus d’apprentissage de l’écriture apparaît ainsi comme fondamental pour rendre compte de la différence, le cerveau contribuant à intégrer l’information sensorielle, visuelle et auditive en particulier, par rapport aux acquis de l’apprentissage de l’écriture. Ainsi est-il essentiel de rappeler ici que l’écriture est une manifestation de l’activité cérébrale impliquant, au-delà de l’apprentissage, des processus moteurs, limbiques et cognitifs, faisant que cette écriture est un reflet de la personnalité de celui qui écrit. Au-delà de ces différences, il convient également de souligner qu’une autre des différences fondamentales entre les deux modes d’écriture réside dans le fait que l’écriture manuscrite implique l’utilisation d’une seule main et d’un seul support, le papier, alors que l’écriture numérique mobilise les deux mains et au moins deux supports, le clavier et l’écran, ce qui suppose au moins dans le second cas un partage plus large des processus attentionnels. Rappelons ici que l’écriture manuscrite est un processus latéralisé, qui implique sélectivement chez les droitiers l’hémisphère gauche -là où se trouvent également les zones de compréhension et de production du langage- là où a été localisée ce que l’on nomme « le centre de l’écriture », une toute petite région corticale dont l’inactivation se traduit chez l’homme par l’incapacité d’écrire de façon manuscrite.

Comment expliquer que le cerveau traite ces deux informations de manière fondamentalement différente ? Faut-il y voir un processus évolutif[AN1]  ?

Comme je viens de le mentionner, les méthodes d’imagerie cérébrale fonctionnelle illustrent le fait que lors d’un exercice d’écriture manuscrite, les régions du cerveau activées sont beaucoup plus larges que lors du même exercice en écriture numérique. De fait, s’agissant notamment des enfants en cours d’apprentissage de l’écriture, il apparaît qu’écrire stimule leur intelligence, en ce sens qu’il s’agit d’une action complexe mobilisant des ressources propres à renforcer par exemple le langage et la mémoire, mais aussi les processus cognitifs comme l’organisation de la pensée et les processus attentionnels, ou encore à intégrer leur état émotionnel au moment de l’exercice. Plus encore, la prise de notes chez les étudiants implique dans l’exercice manuscrit une forme de mémoire immédiate que l’on désigne par « mémoire de travail », qui joue un rôle déterminant de façon générale dans l’accomplissement des fonctions dites « exécutives », représentées ici par la prise de notes manuscrite. Dans ce cas, et dans ce cas seulement, les circuits neuronaux à la base de cette mémoire de travail, impliquant de larges régions cortico-frontales, sont à même de maintenir à l’esprit les objectifs de l’action entreprise (la prise de notes afin de compréhension des faits, des idées et des concepts, ainsi que leur mémorisation), en rapport avec l’expérience personnelle. Ces processus mentaux interviennent y compris dans des situations de forte distractibilité, libérant notre capacité à décider de la dépendance des informations sensorielles, ce qui renforçe par-là notre capacité de synthèse des informations reçues.

Pour résumer, prendre des notes de façon manuscrite contribue à mieux interpréter l’information, à la comprendre et à la reformuler avec son propre lexique, renforçant ainsi les capacités d’apprentissage ; et, chez les enfants en  cours d’apprentissage, cette forme d’écriture améliore la reconnaissance des lettres et de  leur assemblage pour former des mots qui ont un contenu sémantique, au-delà du fait qu’elle améliore aussi la motricité fine, en ce sens que l’écriture mobilise des doigts et va renvoyer au cerveau des informations sensorielles contribuant à construire ce que l’on a désigné plus haut par le terme de « mémoire sensorimotrice », une forme de représentation mentale des lettres et des mots.

Quels sont les avantages, pour un étudiant par exemple, à prendre des notes manuscrites ? Aura-t-il nécessairement plus de facilité pour retenir ses leçons ? 

J’ai déjà répondu partiellement à cette question et les avantages sont nombreux d’utiliser l’écriture manuscrite par rapport à l’écriture numérique. Sans revenir sur ce qui a été mentionné, j’insiste sur la meilleure compréhension des concepts en rapport avec le caractère synthétique de la prise de notes. Le verbatim, aussi complet puisse-t-il être lors de la prise de notes (il ne représenterait qu’environ 11% des mots en écriture numérique et seulement 4% en écriture manuscrite), ne saurait restituer les idées et les concepts. Bien entendu, les tenants de l’écriture numérique font valoir que c’est dans une seconde phase, lors de l’analyse de ces notes, qu’ils extraient les informations pertinentes, et donc qu’il est nécessaire de « capter » un maximum de mots pour pouvoir le faire correctement. Un peu comme ces étudiants qui, avant l’heure du numérique, enregistraient à l’aide de magnétophones le discours des enseignants afin de pouvoir mieux comprendre à postériori… Des stratégies assurément inefficaces empreintes de passivité (ou d’incompétence ?), qui ne remplacent en rien l’intérêt primordial de comprendre un cours en présentiel ! Utiliser un ordinateur pour prendre des notes incite par ailleurs à être multitâches en ce sens que l’attention doit être partagée entre les différents supports, on l’a vu, et incite par ailleurs à la distractibilité, une partie des étudiants -c’est évident- passant une partie de leur temps d’écoute à utiliser leur machine pour écrire ou lire des messages ou encore utiliser les réseaux sociaux.

Que présage la multiplication des ordinateurs aujourd'hui pour les générations futures ?

Il serait malvenu de contester ici les immenses avantages qu’apporte au plan pédagogique l’utilisation des moyens numériques, en particulier mais pas seulement, en ce qui concerne par exemple l’illustration des enseignements. Ceci est un fait et aller contre ce courant serait improductif et quelque peu décalé par rapport à ces progrès technologiques. Néanmoins, ce que nous montrent les nombreuses études dont nous avons évoqué quelques une des conclusions, est qu’il est utile d’utiliser ces moyens de façon adéquate, en particulier dans les phases d’apprentissages de la lecture et de l’écriture, chez les jeunes enfants. Quant aux étudiants, l’une des grandes différences dans leur capacité à intégrer l’enseignement supérieur, tout enseignant à ce niveau vous le confirmera, réside dans leur propension à être apte ou pas à procéder à une prise de notes digne de ce nom et, j’ajouterais, qu’elle soit manuscrite ou numérique. Ainsi, au-delà de la façon de « prendre des notes », manuscrite ou numérique, c’est aussi la capacité même de l’étudiant à synthétiser dans son esprit ce qu’il entend dans un amphithéâtre, qui fait la différence. Assurément, prendre des notes, quels que soient les moyens mis en œuvre, manuscrits ou numériques, nécessite un apprentissage et une formation spécifiques, et tous les étudiants ne sont pas égaux à cet égard !

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