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Drôles d’oiseaux !
©Capture d'écran Iceland

Atlantico Litterati

Respectant la lenteur estivale, ces quelques livres favorisent ce qu’il y a de meilleur pour le repos de l’esprit : la rêverie. Ramages garantis.

Annick Geille

Annick Geille

Annick GEILLE est écrivain, critique littéraire et journaliste. Auteure de onze romans, dont "Un amour de Sagan" -publié jusqu’en Chine- autofiction qui relate  sa vie entre Françoise Sagan et  Bernard Frank, elle publia un essai sur  les métamorphoses des hommes après  le féminisme : « Le Nouvel Homme » (Lattès). Sélectionnée Goncourt et distinguée par le prix du Premier Roman pour « Portrait d’un amour coupable » (Grasset), elle obtint ensuite le "Prix Alfred Née" de l'Académie française pour « Une femme amoureuse » (Grasset/Le Livre de Poche).

Elle fonda et dirigea  vingt années durant divers hebdomadaires et mensuels pour le groupe « Hachette- Filipacchi- Media » - tels le mensuel Playboy-France, l’hebdomadaire Pariscope  et «  F Magazine, »- mensuel féministe racheté au groupe Servan-Schreiber, qu’Annick Geille reformula et dirigea cinq ans, aux côtés  de Robert Doisneau, qui réalisait toutes les photos. Après avoir travaillé trois ans au Figaro- Littéraire aux côtés d’Angelo Rinaldi, de l’Académie Française, elle dirigea "La Sélection des meilleurs livres de la période" pour le « Magazine des Livres », qui devint  Le Salon Littéraire en ligne-, tout en rédigeant chaque mois une critique littéraire pour le mensuel -papier "Service Littéraire".

Annick Geille  remet  depuis quelques années à Atlantico -premier quotidien en ligne de France-une chronique vouée à  la littérature et à ceux qui la font : «  Litterati ».

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« De toutes les créatures de Dieu, c’est vous qui avez la meilleure grâce », disait François d’Assise (1182-1226) aux oiseaux. Il leur parlait, ainsi qu’aux végétaux, qu’il se plaisait à nommer « frères » et « sœurs ». Aujourd’hui, François semble le précurseur des cosmogonies les plus actuelles. Ainsi, la pensée de Philippe Descola (https://www.college-de-france.fr/site/philippe-descola/biographie.htm),qui dirige, au Collège de France, la chaire d’anthropologie de la nature. Dans cette bible de l’environnement qu’est son maître- ouvrage : «Par delà Nature et Culture » (Gallimard), il explique comment et pourquoi nous devons cesser de concevoir une cosmogonie duelle (humains d’un côté et non- humains de l’autre), pour penser dans l’intérêt des écosystèmes, CAD des équilibres vitaux, tous les objets du monde et leurs interactions. « ll s'agit d'une anthropologie non dualiste, en ce sens qu’elle ne sépare pas en deux domaines ontologiques distincts humains et non-humains ».On ne saurait mieux dire qu’il faut cesser de mettre l’homme au sommet de la pyramide. Ce constat, Philippe Descola, médaille d’or du CNRS -la plus haute distinction scientifique française- en eut la géniale intuition après plusieurs séjours en Equateur. Alors qu’il était l’élève de Claude Lévi-Strauss (1908-2009), ethnologue, figure du structuralisme, Descola étudia « certaines conceptions fondatrices du peuple Achuar », percevant ce jeu de Mikado qu’est la coexistence des objets du monde, ainsi que les conséquences-bonnes ou néfastes-de leurs interactions. Dans le cogito cartésien, l’animal – et,a fortiori, le végétal–sont des choses.« Les Achuar, et de nombreux peuples d'Amazonie et d'autres continents, ne l'entendent pas ainsi », affirme Descola : « pour eux, les animaux et certains êtres inanimés possèdent un « esprit », des intentions, des sentiments, un langage, une morale, une culture».

Selon Philippe Descola« l'animisme n'est pas une simple croyance magique, à usage limité, mais un « schème de pensée » conditionnant une façon de vivre les relations entre l'homme et son environnement. Une écologie des relations ».

J’y pensais hier, alors qu’il faisait 42, 5 degrés sur la végétation jouxtant mon bureau. Le zinc brûla ma peau. Dehors, on serait mort. Je me souvins de la conclusion- prophétique- d’une interview que Descola m’avait accordée, peu après sa leçon inaugurale au Collège de France, le 29 mars 2001, conférence éblouissante, à laquelle j’avais eu la chance d’assister. (https://www.college-de-france.fr/site/philippe-descola/inaugural-lecture-2001-03-29.htm)

« Les hommes n’auront peut être pas envie de se suicider tous ensemble », m’avait-il dit, alors que je le contemplais dans une sorte d’effroi, tant ses propos, quoique mesurés et calmes car construits sur ses constatations scientifiques, m’avaient semblé pessimistes concernant l’avenir de la planète.

Refermant, des années plus tard :« Ce que les oiseaux ont à nous dire », (Fayard) de l’ornithologue Grégoire Loïs, je songeais à Philippe Descola.« Ce qui rend la musique du Merle si belle, ce sont les pauses entre chacune de ses phrases decrescendo. Comme si cet oiseau (..)prenait le temps de guetter l’effet de sa mélodie dans l’atmosphère, son écho », précise –magnifiquement- Grégoire Loïs, du Museum d’Histoire naturelle. En France, les populations d’oiseaux se sont réduites d’un tiers ces quinze dernières années, « emportant avec leurs chants, leur vol et leur diversité », souligne l’auteur, navré. Et notre humanité, ai-je pensé à la lecture. « Les hirondelles ne sont pas mortes empoisonnées. (…) Elles s’éteignent. Et leur chant disparaît petit à petit, laissant place au vide », note encore Grégoire Loïs. Au centre de ce vide, l’inénarrable Greta Thunberg théorise le sauvetage du monde, quand la France a l’honneur et la chance d’être la patrie de Philippe Descola (https://www.mollat.com/livres/1570912/philippe-descola-par-dela-nature-et-culture). A l’Assemblée nationale, nous applaudissons la Shirley Temple du réchauffement, la Minou Drouet de l’écologie, Miss Thunberg. Dans cette culture postmoderne de la célébrité - sans accomplissement- le Camp du Bien commande d’aimer l’enfant. Par son innocence, l’enfant-roi combat nos sociétés faisandées. Qui s’en étonnerait, quand en France, nous ne parlons plus de « pères »ni de « mères », mais des « papas » et des« mamans » ? Ce glissement sémantique en dit long. « Votre papa fait quoi dans la vie ? » « Et votre maman ? ».D’où le phénomène Greta Thunberg, fifille des papas et des mamans. Greta étant une sorte de Déméter en devenir, il s’agit de ne pas insulter l’avenir, car demain sera féminin, ou rien. Les enfants ne sont pas forcément aimables nous dit, à rebours de ces cucuteries, le chef- d’œuvre de William Golding (1911-1993), prix Nobel de Littérature :« Sa Majesté des Mouches » /Gallimard). Certains enfants peuvent même être monstrueux de cruauté, de laideur et de bêtise, déjà, car tout le monde n’est pas beau, tout le monde n’est pas gentil.

Au sujet des oiseaux en voie de disparition, une question me taraude. Quid de la bonne vieille chasse des« papas » ?

Serait-elle menacée, puisqu’il n’y a plus rien à chasser ? Le chasseur survivra-t-il à la biodiversité ? Question subsidiaire. Comment peut- on viser un oiseau ? J’aimerais comprendre le chasseur, son désir, son plaisir. Comprendre, c’est ce qu’il y a de plus important sur terre. Le chasseur, lorsqu’il a repéré ce plumage et que son arme est prête, je voudrais qu’il m’explique comment il parvient à viser l’oiseau. Sa main ne tremble pas ? Aucune nausée? C’est quoi, la victoire du chasseur sur l’oiseau ? Savoir le repérer, tout chaud, pépiant peut- être, jacassant, se lissant les plumes, tapotant la branche de son bec, après avoir gobé un insecte, avant ce trou béant dans le corps céleste ? C’est cela le plaisir du chasseur ? Qu’il nous explique. Qu’il écrive. Un roman, un essai déterminant, une pièce de théâtre, un texte aussi sensible que « Ce que les oiseaux ont à nous dire », de Grégoire Loïs. Et ces merles attrapés à la glu ? Comment procède- t- il, le chasseur à la glu ?Qui a décidé, à l’ère de la PMA, la fin du débat concernant la chasse? Qu’en pensent les Indiens Achuar ? Et la Tourterelle des Bois ?Ou la Barge à queue noire ? Le Courlis cendré ? Tirons- lestant qu’ilen reste ?

Les écrivains traquent plutôt le mot juste, le vocable approprié. Paul Morand(1888-1976),romancier -voyageur, diplomate et académicien, auteur, entre autres, de « L’homme pressé » et d’ « Hécate et ses chiens »), nous plonge dans le bonheur du texte avec « Bains de mer, Bains de rêve et autres voyages » (Laffont/Bouquins)–seul ouvrage volumineux de cette sélection. Une anthologie de l’errance, regroupant tous ces pays, ces œuvres, ces souvenirs, chers à ce bourgeois farouchement distingué.

« Existe ! Sors enfin de toi-même ! dit l’Aurore ».Injonction qui donne le ton de ce recueil. « Je ne réclame que le doit à l’amitié du vide, à la recherche du désert, à la nudité du site, sur des plages oubliées (…)».L’attaché d’ambassade aux yeux bridés avait plusieurs visages. Autant de Morand(s) que de moments. LE « hussard »des hussards. A lire tout près de soi, quand les autres n’y sont pas.

« Paris, c’est le pays de tout le monde », affirmait Morand. « Notre-Dame de Paris n’est donc pas un monument du Moyen-Age.-Hugo l’a compris avant tout le monde- mais la succession visible des temps.(…) semble répondre l’auteur de « Notre-Dame de L’humanité » (Grasset),Adrien Goetz, de l’Académie des Beaux-Arts, enseignant à la Sorbonne. Sans doute le meilleur texte parmi tous ceux qui furent publiés depuis l’incendie du 15 avril dernier. La beauté a quelque chose de déchirant, mais lorsqu’elle part en fumée, nous mourons un peu avec elle. « Tous ont vu la flèche de Notre-Dame s’abattre dans les flammes, et tous s’émeuvent de sa reconstruction », note Benoît de Sinety, figure du catholicisme éclairé, qui aidé de ses paroissiens a rénové magnifiquement à Paris, l’église Saint-Germain-des-Près, la mairie étant chiche de ses deniers. Adrien Goetz précise : les artistes, et en particulier les écrivains- Hugo en tête, puis Proust-, comprennent parfois mieux les églises que le clergé traditionnel. Proust, agnostique, « prêcha au nom de l’art, en faveur du culte catholique ». L’auteur de la « Recherche », cathédrale des lettres, monument de notre littérature, devient un proche grâce aux « Cahiers rouges » de Grasset, et à l’expertise de Léon-Pierre Quint. Ce petit livre contient un trésor : toute la correspondance (souvent inédite) de Proust avant, pendant et après la parution des deux premiers volumes de « La Recherche » : « Du côté de chez Swann » et « A l’ombre des jeunes filles en fleurs ». Depuis sa chambre du Boulevard Haussmann, Proust écrit au tout- Paris littéraire. « Stratège novice, il a gardé une naïveté émouvante », révèle Léon-Pierre Quint. Un must, à glisser dans sa besace pour un séjour à Cabourg (où sera révélée la troisième liste du Goncourt, en hommage au centenaire du Goncourt de Proust), ou ailleurs en France, pour le plaisir de lire, par exemple, cette remarque de Proust, empreinte de philosophie, et qui, malade, s’y connaît en épreuves, souffrances et rédemption : « Mon cher Gide, j’ai toujours éprouvé que certaines joies ont pour condition que nous ayons d’abord été privés d’une joie de moindre qualité ».

« Ce que les oiseaux ont à nous dire » par Grégoire Loïs (Fayard) 213 page/18 euros

« Bains de mer, bains de rêve et autres voyages » par Paul Morand/1088 pages/Robert Laffont/Bouquins/ 32 euros

« Notre –Dame de L’humanité » par Adrien Goetz/74 pages/ Grasset/ 5 euros (les droits sont versés à la Fondation du Patrimoine)

« Cher Ami » /Marcel Proust/153 pages/9,50 euros/ Grasset/Les Cahiers Rouges)

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