Drogues : la distinction consommation récréative vs consommation problématique a-t-elle vraiment un sens ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Le cannabis est à l’origine de troubles anxieux et de troubles dépressifs.
Le cannabis est à l’origine de troubles anxieux et de troubles dépressifs.
©LILLIAN SUWANRUMPHA / AFP

Consommation de drogue

« On ne peut pas déplorer les enfants tués dans les quartiers, l’économie et la violence qui va avec les stupéfiants, et glorifier la consommation récréative de stupéfiants » a déclaré Emmanuel Macron à Marseille.

Jean Costentin

Jean Costentin

Jean Costentin est membre des Académies Nationales de Médecine et de Pharmacie. Professeur en pharmacologie à la faculté de Rouen, il dirige une unité de recherche de neuropsychopharmacologie associée au CNRS. Président du Centre National de prévention, d'études et de recherches en toxicomanie, il a publié en 2006 Halte au cannabis !, destiné au grand public.

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Alain Bauer

Alain Bauer

Alain Bauer est professeur de criminologie au Conservatoire National des Arts et Métiers, New York et Shanghai. Il est responsable du pôle Sécurité Défense Renseignement Criminologie Cybermenaces et Crises (PSDR3C).
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Atlantico : « On ne peut pas déplorer les enfants tués dans les quartiers, l’économie et la violence qui va avec les stupéfiants, et glorifier la consommation récréative de stupéfiants » a déclaré Emmanuel Macron à Marseille. La distinction consommation récréative vs consommation problématique a-t-elle vraiment un sens d’un point de médical ?

Jean Costentin : Cela fait plus de 50 ans  que certains requièrent la légalisation du cannabis (l’appel du 18 joints, du journal Libération en 1976 en est un des repères). Depuis lors, la consommation n’a fait que croître du fait de campagnes sournoises, et de la pression puissante de lobbies qui en attendent de substantielles royalties. Ils sont appuyés par des déconstructeurs, idéologues, écologistes partisans d’une régression économique, politiques voulant transformer des indignés en résignés, etc..

Oui, mais, simultanément les mécanismes à l’origine des addictions se sont précisés et surtout la liste des méfaits du cannabis s’est allongée, y ajoutant  les preuves irréfragables de sa responsabilité dans des troubles variés et dont certains d’entre eux sont graves et même très graves.

C’est la drogue de la crétinisation : « la fumette ça rend bête, le chichon ça rend con », pétard du matin poil dans la main, pétard du soir, trou de mémoire.

Les français tout premiers consommateurs européens de cannabis, et simultanément les derniers (27ème) au classement du concours international PISA des performances éducatives ; cherchez l’erreur.

« On ne peut pas déplorer les enfants tués dans les quartiers, l’économie et la violence qui va avec les stupéfiants, et glorifier la consommation récréative de stupéfiants » a déclaré Emmanuel Macron à Marseille. La distinction consommation récréative vs consommation problématique a-t-elle vraiment un sens d’un point de criminologique ?

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Alain Bauer : Ni médical, ni criminologique. Mais elle permet dans un processus de dépénalisation ou de libéralisation de procéder par étapes en permettant un accès pour raisons médicales sans immédiatement procéder à la mise en place d’une politique plus large d’accès à certains produits stupéfiants.

À quel point la consommation "récréative" favorise-t-elle des comportements problématiques futurs (en termes d’addiction ou en termes de délinquance) ?

Jean Costentin : Le cannabis est à l’origine de troubles anxieux, de troubles dépressifs qui ont à voir avec le niveau inquiétant des tentatives de suicide et des suicides «aboutis » chez nos jeunes.

Le cannabis est impliqué à un haut niveau dans la schizophrénie (la folie au sens commun du terme), affection grave que l'on ne sait guérir, au mieux apaiser. Dès 1853 l’aliéniste  J.-J. Moreau ( de Tours)  écrivait un livre majeur « Du haschisch et de l’aliénation mentale » ; mais  le public a eu grande capacité d’amnésie pour les faits qui dérangent. Ils sont têtus, pourtant, une étude toute récente (au Danemark) , (après des dizaines d’autres de grande qualité) estime que  15% des nouveaux cas déclarés de schizophrénie sont liés à la consommation de cannabis. Celui qui diffuse actuellement, à la demande de ses consommateurs, a vu le taux de son principe psychotrope majeur, le THC, multiplié par 6  au cours des 30 dernières années.

Information majeure, curieusement occultée : les effets épigénétiques du cannabis/THC.

Celui qui expose ses spermatozoïdes au THC, celle qui expose  ses ovules au THC, transmettront à leur progéniture des vulnérabilités à des troubles divers : vulnérabilité aux toxicomanies à l’adolescence ; effets tératogènes/malformations congénitales ; vulnérabilité à l’anxiété, aux dépressions, à la schizophrénie, aux déficits cognitifs, à des déficits immunitaires….

S’agissant de la toxicité physique de ce cannabis, elle est six à huit fois supérieure à celle du tabac ; au plan de la cancérogénèse ORL et broncho pulmonaire ; le cannabis est  toxique pour le cœur et les vaisseaux : 3ème cause de déclenchement d’infarctus du myocarde, rôle dans les artérites des membres inférieurs plus précoces que celles dues au tabac, cause d’accidents vasculaires cérébraux chez les sujets jeunes.

Le cannabis fait mauvais ménage avec la grossesse ; il l’abrège avec des nourrissons de taille et de poids inférieurs à ce que ferait une simple prématurité, troubles du développement psycho-moteur de l’enfant d’une maman cannabinophile, augmentation du risque de mort subite ; augmentation de l'hyperactivité avec déficit de l’attention ; plus grande vulnérabilité aux toxicomanies.

Cette énumération n’est hélas pas exhaustive. Tel qui a consommé du cannabis, par un mécanisme épigénétique ressentira longtemps après une modification de la perception d’autres drogues, dont les effets « appétitifs » « de récompense » seront accrus de telle façon qu’ en ayant ressenti des effets beaucoup plus intenses ils seront plus incités à y revenir, à en user et bientôt à en abuser. C’est là une  des explications de l’escalade des drogues, dont on voit les conséquences au travers des polytoxicomanies qui se généralisent.

Dès lors l’usage dit avec euphémisme « récréatif », nous apprend que la récréation peut mal, voire même très mal se terminer.

C’est ce qui fait qu’en dépit de son caractère illégal, le cannabis a déjà piégé 1.500.000 de nos concitoyens, qui en sont devenus des usagers réguliers (avec la consommation d’un joint ou d’un pétard au moins une fois tous les trois jours, ce qui , eu égard à la très longue persistance du THC dans l’organisme, correspond à une stimulation permanente de ses cibles biologiques (les récepteurs CB1) ; cette consommation est déjà problématique, car par le jeu d’une tolérance le consommateur va plus ou moins rapidement accroître la fréquence de ses consommations (un par jour, puis deux puis trois) puis l’effet continuant de diminuer il va y ajouter d’autres drogues.

Une légalisation du cannabis ferait s’envoler les consommations vers celles de l’alcool, avec nos 4.500.000 sujets alcoolo-dépendants (je n’ai pas dit alcooliques), et vers celles du tabac qui piège 13.000.000 de nos concitoyens et tue 75.000 d’entre eux chaque année en France (la route ne faisant plus que 3.400 morts par an).

Le mécanisme  sous jacent aux addictions/toxicomanies, s’inscrit dans le toujours plus, toujours plus souvent, toujours plus fort ; 

Opposer l’usage récréatif  à l’usage problématique est un distinguo subtile, qui confine à une malversation. L’expérience de l’alcool et du tabac nous l’enseigne grandeur nature, avec le grand nombre de sujet captifs/addictes/accros le grand nombre de morts 75.000 pour le tabac ; 41.000 pour l’alcool, avec surtout de multiples estropiés qui obèrent les comptes sociaux de la Nation et ont une qualité de vie altérée à divers degrés.

Alain Bauer : Les avis et les études sont partagés. Les politiques de prohibition sans accompagnement se traduisent plus souvent pas une tentation à contourner l’interdit et produisent le plus souvent une baisse de la qualité des produits, une difficulté d’approvisionnement et une hausse des prix. Mais en matière de stupéfiants, l’inverse se produit. Dans ces conditions, il faut se poser la question de l’’efficacité d’une politique officiellement purement répressive. Si personne ne discute les usages de produits stupéfiants en matière médicale, notamment pour réduire la douleur, tout processus de dépénalisation comme de régulation de la consommation doit considérer l’addiction comme un problème médical plus que pénal. En la matière, le consommateur doit être considéré comme un individu victime d’une addiction, pas comme un criminel. Mais il faut aussi se concentrer sur la gestion du trafic et des organisations criminelles et prendre en compte les importantes transformations en cours (culture à domicile, fort accroissement du taux de THC dans les composants cannabiques, livraison sur commande et par usage des réseaux sociaux, ….).

Au regard de cette réalité, que penser de la pétition déposée par une quinzaine d’associations sur la plateforme de l’Assemblée nationale, une proposition de loi « visant à supprimer les sanctions pénales » pour la consommation de cannabis ?

Alain Bauer : Les associations sont dans leur rôle. Depuis la loi de 1970, et malgré les missions parlementaires et les dialogues entre experts et politiques, il semble impossible de discuter raisonnablement de la gestion de l’addiction et de la nécessaire réorientation d’un texte purement punitif et répondant aux injonctions internationales de l’époque.

Partisan de la lutte contre toutes les addictions, je pense plus utile de soigner que de réprimer. QUand une politique de prohibition ne marche pas, il faut la changer. Pour enfin lutter efficacement contre les trafics et libérer les consommateurs de leur addiction.

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