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Dominique Fernandez : A la recherche de l’Homme perdu
©ERIC PIERMONT / AFP

Atlantico Litterati

Dominique Fernandez, italianiste érudit et romancier couvert de lauriers- publie «  L’Homme de trop » ( Grasset), premier volume d’une somme que l’académicien consacrera à la question gay. Précisions.

Annick Geille

Annick Geille

Annick GEILLE est écrivain, critique littéraire et journaliste. Auteure de onze romans, dont "Un amour de Sagan" -publié jusqu’en Chine- autofiction qui relate  sa vie entre Françoise Sagan et  Bernard Frank, elle publia un essai sur  les métamorphoses des hommes après  le féminisme : « Le Nouvel Homme » (Lattès). Sélectionnée Goncourt et distinguée par le prix du Premier Roman pour « Portrait d’un amour coupable » (Grasset), elle obtint ensuite le "Prix Alfred Née" de l'Académie française pour « Une femme amoureuse » (Grasset/Le Livre de Poche).

Elle fonda et dirigea  vingt années durant divers hebdomadaires et mensuels pour le groupe « Hachette- Filipacchi- Media » - tels le mensuel Playboy-France, l’hebdomadaire Pariscope  et «  F Magazine, »- mensuel féministe racheté au groupe Servan-Schreiber, qu’Annick Geille reformula et dirigea cinq ans, aux côtés  de Robert Doisneau, qui réalisait toutes les photos. Après avoir travaillé trois ans au Figaro- Littéraire aux côtés d’Angelo Rinaldi, de l’Académie Française, elle dirigea "La Sélection des meilleurs livres de la période" pour le « Magazine des Livres », qui devint  Le Salon Littéraire en ligne-, tout en rédigeant chaque mois une critique littéraire pour le mensuel -papier "Service Littéraire".

Annick Geille  remet  depuis quelques années à Atlantico -premier quotidien en ligne de France-une chronique vouée à  la littérature et à ceux qui la font : «  Litterati ».

Voir la bio »

Deux événements ont profondément marqué l’académicien Dominique Fernandez: d’abord, le destin foudroyé de son père,  l’écrivain  et critique Ramon Fernandez (1894-1944). Cet intellectuel influent- proche de Bernanos, Mauriac et Gide-  publia entre autres livres  un magnifique « Proust » ( Cahiers Rouges/Grasset/(Cf. En 1983, Jean-Claude Fasquelle qui vient de nous quitter, hélas, car nous l’aimions et l’admirions tous, présidait  aux destinées  de Grasset –Fasquelle . « Seigneur de l’édition », selon son successeur Olivier Nora, Jean-Claude créa les « Cahiers Rouges », collection de « semi-poche »  pour que vivent toujours certains « classiques » de la maison  Grasset: Jean Cocteau, Jean Giono, Vladimir Nabokov, Paul Morand, entre autres.

Au sujet du Cahier -Rouge  dévolu au Proust de Ramon Fernandez ,  l’éditeur précise  : « Ramon Fernandez  se livre à une étude aussi érudite qu’affectueuse de l’auteur d’A la Recherche du Temps Perdu. Il avait en effet été l’ami de Proust, qu’il connut très jeune, en 1918. Publié en pleine guerre ( 1943), ce « Proust » de Ramon Fernandez marque le retour à la critique  littéraire d’un homme qui s’y était brillamment illustré. (…) N’oublions pas qu’ au moment où ce livre a été publié, Proust ne connaissait pas une gloire qu’il n’a acquise que plus tard : l’essai de Ramon Fernandez y a fortement contribué- sans parler de l’acte de résistance qui consistait sous l’Occupation allemande, à vanter un grand écrivain d’origine juive, et homosexuel. »

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Contre toute attente,  Ramon Fernandez, ce personnage légendaire, épris de littérature,  passionné par  ceux qui la font, bascula soudain - et à la stupeur générale- dans la collaboration. Sans doute dégoûté de lui-même par cette dérive que rien ne laissait prévoir, Ramon Fernandez  se voua simultanément à cette entreprise de démolition qu’est l’alcoolisme,  façon de se  supprimer avant que d’être inquiété. Son filsDominique Fernandez,(Prix  Médicis 1974 pour « Proportion ou les mystères de Naples », Grasset 1974, Prix  Goncourt 1982 pour « Dans la main de l’Ange), souffrit profondément de l’opprobre salissant  la mémoire  de son père.Dans  « Ramon » (Grasset 2019/Le livre de Poche) Dominique Fernandez se demande comment « l’ un des plus brillants intellectuels de son temps, a pu être collabo ».Le mystère persiste et le fils aimant fut condamné à observer avec perplexité d’abord, puis une sorte d’ effroi , l’œuvre d’ autodestruction entreprise par  cet homme cultivé, raffiné,  puis perdu, détruit, ce père adoré.« Je n’ai jamais eu l'occasion de lui exprimer combien je l'aimais, ni même le soulagement de pleurer quand il est mort (…)Ma mère, je l'ai admirée, je l'ai crainte, je ne l'ai pas aimée. Lui c'était l'absent et c'était le failli, l'homme perdu sans honneur. C’était le paria (…)Les personnages des romans que je me suis mis à écrire plus tard – héros fourvoyés, partagés entre la célébrité professionnelle et la flétrissure sociale – sont à l'image de la première idée que je me suis formée de mon père ». Les artistes n’ont que très rarement le cuir épais. Ils n’oublient rien, et un rien les blesse. Les livres du « paria » disparurent des tables de libraires et des bibliothèques familiales, ce qui finit de traumatiser Dominique Fernandez, enfant ultra-sensible, lui aussi, tel son père, passionné de littérature.« Je suis né de ce traître, il m'a légué son nom, son œuvre, sa honte. Au centre de ma vie, depuis l'enfance, cet impératif : aimer ce qui est interdit, puisqu'on m'a interdit d'aimer l'objet de mon amour " , déclara Dominique Fernandez .« Le silence est comme une nudité de l'âme, qui s'est libérée de la parure des mots «  , conclut pudiquement l’auteur  concernant ce chapitre essentiel de sa vie d’écrivain.« J’avais quinze ans quand mon père est mort : je réprouvais sa conduite, pourtant c’était mon père »,  me confia d’ailleurs à voix basse Dominique Fernandez lors d’un entretien qui se déroula chez lui,  à Paris, dans le sixième arrondissement, jadis et naguère. Installé en face de moi dans un canapé  de cuir sombre,  mon hôte contemplait les toits, par la fenêtre. Je  respectais ses silences, songeant au fait qu ‘aimant  par- dessus tout la littérature, je me sentais un peu chez moi chez le fils de Ramon. Tous les artistes ne sont-ils pas, par définition, un peu perdus ?Alors qu’il me jetait  coup d’œil empreint de bienveillance- et - même d’une certaine solidarité-, j’ai pensé  que l’auteur de « La gloire du paria » (Grasset/Poche) était sans doute l’une des personnes les plus subtiles que j’eusse le plaisir de  connaître. Dialoguer: l’un des plus beaux mots de la terre. J’aimais  pourtant ses silences qui ne  laissaient rien passer. Son érudition discrète,  cette  élégance d’homme doux et douloureux, très intelligent.« On ne se console pas des chagrins, on s’en distrait », affirmait Stendhal. Dominique Fernandez me  confia qu’ à force de travail, il était parvenu à distraire ce malheur inaugural. La douleur persistait, certes, mais il lui était possible de l’oublier parfois, en lisant,  en écrivant et en voyageant avec  toute la passion requise. Devenu professeur  des universités après son agrégation,  il  s’était plu en sa jeunesse à confier à ses étudiants les clefs  du coffre contenant tout ce qui compte ici-bas ,après l’amour.Les splendeurs de la peinture, de la musique, de la statuaire, l’Italie en somme, ces jardins, palais et musées, l’art  baroque et la« Divine Comédie », Dante étant « le père de la langue italienne » ( une nouvelle traduction vient de paraître chez Actes-Sud, rénovée et embellie par Danièle Robert , écrivain et membre de la Société Dantesque de France.« Pour saisir ce qui fonde la modernité des rimes de la Divine Comédie ou, plus précisément, l’ordre nécessaire dans lequel elles s’inscrivent, il faut tout d’abord se pencher sur la structure générale de l’œuvre et par conséquent sur le sens – la direction – que Dante a voulu lui donner, conformément à son intime conviction, puisée aux sources de la pensée d’Aristote : “La forme, dans l’acception aristotélicienne du terme, est ce qui donne sens au contenu».)Dans son roman « Pise 1951 »(Grasset/Poche) Dominique Fernandez  n’avait pas créé pour rien –lui qui chérit l’Italie et la culture italienne -un personnage nommé Octave, fils de prof, qui chaque matin « se plonge dans la Divine Comédie » (L’Obs/2011).

Alors qu’il  exerçait ce beau métier de professeur des universités dans une province française,  galvanisant ses étudiants avec ce brio que j’imaginais, Dominique Fernandez fut brusquement écarté pour cause d’homosexualité ; ce « crime » avait été révélé dans  l’Etoile Rose ( Grasset 1978).Exclu, le futur académicien, aujourd’hui couvert d’honneurs ! Alors que l’ex l’orphelin du paria Ramon Fernandez me confiait l’épisode, ses traits se figèrent. Il baissa la tête. Le fils était devenu à l’égal du père « l’homme perdu ».Exit l’enseignant- écrivain-parisien  et  cette Etoile Rose « que les nazis épinglaient sur le vêtement des homosexuels, déportés avec les juifs, les francs-maçons, les communistes et les tsiganes »( cf. quatrième de couverture). La souffrance provoquée par cette exclusion fut durable et profonde, me confia  ce jour-là Dominique Fernandez. Un ange passait. J’aurais voulu trouver les mots. Mieux valait respecter ce silence et penser cette souffrance  à l’unisson. Second traumatisme –inguérissable- que cette histoire d’éviction. La boucle était bouclée. Le fils devenait paria à son tour.  « Les seuls à me féliciter pour L’étoile rose, ce furent mes étudiants et… les enseignantes »,  ajouta Dominique Fernandez. Dans sa littérature comme dans la vie,  je l’ai toujours  vu faire l’éloge des femmes. Il les aime et les admire depuis toujours. Et ce bien avant que cela soit la mode, ou une déclaration obligatoire. On mesure l’affection  que  Dominique Fernandez  dut éprouver pour les enseignantes jadis solidaires du prof évincé, et  celle qu’il éprouve aujourd’hui pour Léa, personnage rayonnant de cette fresque  fictionnelle qu’est « l’Homme de trop », son nouveau livre ( Grasset). 

Une femme de notre temps, moderne, chaleureuse et  vraie. Tellement femme  que nous avons l’impression de la connaître ; amoureuse d’un gay, donc destinée à l’échec sentimental, Léa est cependant gagnante par ce regard d’amour qu’elle promène sur tous. Léa est terriblement humaine : «  Je regrette quand je la vois de ne pouvoir aimer les femmes. Une femme intelligente est plus intelligente qu’un homme intelligent (…)Le fait que les femmes se sont mises à lire et à aimer lire a été décisif.  (…)L’intelligence ne se développe et ne se fortifie que par l’imagination. Qui ne lit ni romans ni poèmes reste pauvre de pensée. », affirme l’auteur.  La rage et le chagrin  pour les discriminations d’antan marquent certaines pages  de « L’homme de trop »,  hantées par la mort de Sacha,  l’amour fondateur de ce roman d’amour de l’art et d’amour tout court. Le souvenir de Sacha est le moteur de cette entreprise romanesque prévue en trois volumes. Ainsi que le souvenir des provinces d’antan.Ce fut sans doute lorsqu’il était enseignant en région que Dominique Fernandez découvrit cette manière qu’avaient les provinces de nous épier, mine de rien. «  Le bruit se répandit vite à Saumur, la ville d’Eugénie Grandet, où les fenêtres du rez-de-chaussée sont équipées de miroirs pour surveiller les allées et venues dans la rue », signale l’académicien. Les protagonistes de « L’homme de trop »– le photographe  Lucas  en sa soixantaine et  son ami Gaël, professeur de lettres à Paris- interrogent les cinquante dernières années  à l’aune de la question homosexuelle et posent toutes les questions qui, selon  Lucas, subsistent. Mais«  Gaël  combattait le pessimisme de son ami : les gays avaient conquis le droit à l’indifférence. » Ce qui est immense.

-Peut-on préjuger de ce qu’aurait été la réaction du Christ si les Pharisiens avaient poussé devant lui un couple gay, avais-je demandé  à Dominique Fernandez, lors de cet entretien chez lui, des années- lumière avant la parution de l’Homme de trop.Dominique Fernandez s’était levé et m’avait  proposé une nouvelle tasse de thé.

-Etant donné son ouverture d’esprit et sa tolérance envers les péchés de chair, le Christ aurait sans doute posé la question à ces deux hommes  : «  Est-ce que vous vous aimez ? » Si la réponse des gays  avait été oui, je suis sûr que le Christ  aurait conclu : «  Eh bien aimez-vous». Le fils de l’homme perdu avait  sans doute en tête l’œuvre à venir. Il  me contempla avec ce sourire qu’ont parfois, gays ou pas, perdus ou retrouvés,  tous ceux qui aiment les femmes. 

A. G.

« Dominique Fernandez, de l’Académie française, est l’auteur d’une œuvre considérable par sa qualité et sa prolixité, qui lui a valu notamment le prix Médicis en 1974 pour Porporino ou les mystères de Naples, le prix Goncourt en 1982 pour Dans la main de l’ange, le prix Prince de Monaco pour l’ensemble de son œuvre en 1986, le prix Méditerranée et le prix Brancati en 1988 pour Le radeau de la Gorgone, le prix François Mauriac et le grand prix Jean Giono en 2009 pour Ramon. »

« L’homme de trop » /Dominique Fernandez de l’Académie française/ Grasset/ 25 euros

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