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Des millions d’années de salaires minimum pour rattraper les milliardaires français : faut-il interdire les milliardaires ou... la bêtise ?
©Flickr e_calamar

Equivalence

Il faudrait à la France moins d'aigris, moins d'envieux, et davantage de riches et de richesses.

Olivier Méresse

Olivier Méresse

Olivier Méresse est consultant en entreprise, et secrétaire de l’Aleps (Association pour la liberté économique et le progrès social). 

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Depuis 2003, nous disposons en France d'un Observatoire des inégalités, organisme privé indépendant désormais membre du réseau européen Inequality Watch (2011). D'inspiration bourdivine[1], cet Observatoire des inégalités, au conseil scientifique duquel siègent, entre autres, Monique Pinçon-Charlot, sociologue, et Thomas Piketty, économiste, se donne « pour mission de dresser un état des lieux le plus complet possible des inégalités en France, en Europe et dans le monde[2] ». Les inégalités sont partout, il n'est pas nécessaire de réfléchir longtemps pour le comprendre, et il y a donc là de quoi occuper des générations de chercheurs.

Le 30 janvier dernier, cet Observatoire des inégalités a publié une nouvelle étude dont le principe, simpliste, consiste à diviser la valeur estimée du patrimoine professionnel des premières fortunes de France – en reprenant les chiffres publiés cet été dans le magazine Challenges[3] – par le montant d'un Smic annuel brut (donné à 17 770 euros pour 2017). L'étude propose quelques calculs agrégeant les dix premières et même les 500 premières fortunes. L'addition de ces sommes gigantesques est censée nous scandaliser mais elle n'aboutit qu'à les rendre encore plus inconcevables. Et en regroupant les millionnaires avec les milliardaires, elle ne fait qu'abaisser le montant moyen des fortunes et donc réduire l'écart avec le revenu annuel de l'employé payé au salaire minimum.

L'objectif de l'étude étant de choquer le quidam, elle concentre donc principalement ses feux sur Bernard Arnault, en tête du classement avec ses 47 milliards d'euros de patrimoine professionnel. Pour en déduire quoi ? Qu'il faudrait 2,6 millions d'années à un Smicard se privant de tout (épargnant même ses cotisations salariales !) pour s'offrir Le Bon Marché, Bulgari, Céline, Château d'Yquem, Chaumet, Christian Dior, Les Échos, Givenchy, Glenmorangie, Guerlain, Hennessy, Kenzo, Krug, Louis Vuitton, Moët & Chandon, Le Parisien, Ruinart, La Samaritaine, Sephora, Veuve Clicquot Ponsardin et quelques autres maisons prestigieuses. Édifiant ! Ou encore que Bernard Arnault, s'il revendait ses participations, pourrait généreusement permettre à un fonctionnaire mal payé de s'ennuyer ou de nous tracasser pendant 2,6 millions d'années !

Les auteurs de l'étude semblent confondre patrimoine professionnel et ticket de loterie gagnant. Le patrimoine professionnel de Bernard Arnault est précisément ce qu'il ne consomme pas, c'est du capital investi, un outil industriel et commercial productif. C'est donc une énorme responsabilité qui pèse sur les épaules de cet homme que de faire fructifier ce patrimoine, miser sans se tromper sur les marchés en croissance et choisir des directeurs artistiques ou des créateurs de mode qui ne seront pas désavoués par la clientèle dès la prochaine collection. Qui a oublié l'histoire – l'ascension et la chute – de l'empire Boussac ?

Ce patrimoine professionnel donne du travail à 125 000 personnes dont il faut payer les salaires. Même à supposer qu'ils soient tous Smicards, ça fait déjà plus de 200 millions d'euros à verser mensuellement (charges patronales incluses). Le coût salarial annuel moyen chez LVMH étant de 48 893 euros, c'est en fait plus de 500 millions d'euros qu'il faut sortir à la fin de chaque mois. Plus de 6 milliards d'euros par an ! Si l'on se fie aux chiffres de l'Observatoire des inégalités, il faut donc moins de 8 ans à Bernard Arnault pour verser l'équivalent de 2,6 millions de Smics annuels. En regardant par le bon bout de la lorgnette, certains « chercheurs » feraient de grandes découvertes.

Ne faut-il pas plutôt s'inquiéter d'avoir confié à Emmanuel Macron ou Édouard Philippe (la Constitution est floue sur ce point) la gestion d'un personnel cinquante fois plus nombreux que celui des entreprises contrôlées par Bernard Arnault et payé par nos contributions obligatoires directes et indirectes ? Au seul titre de l'impôt sur les sociétés, les entreprises du groupe Moët Hennessy Louis Vuitton versent d'ailleurs à l'État plus d'un milliard d'euros chaque année. Auquel nous pourrions adjoindre les impôts et cotisations sur salaires, la TVA sur les marchandises vendues, etc.

Bernard Arnault ne peut pas faire 2,6 millions de déjeuners chaque jour ni être à 2,6 millions d'endroits à la fois. Du coup, sa vie ressemble beaucoup à la nôtre. Il part au travail le matin. Il rentre chez lui le soir. Parfois, il sort dîner en ville. Ou reçoit. Ensuite, il se lave les dents et se couche.

Aucune époque n'a jamais été aussi égalitaire que la nôtre, particulièrement si nous nous focalisons sur ce qui est vraiment déterminant : l'espérance de vie à la naissance, l'accès au savoir, la possibilité de voyager ou d'influer sur son destin. Même en y consacrant plusieurs milliards d'euros, le plus richissime des nababs ne pourrait obtenir un téléphone mobile plus performant que les modèles récents qu'Apple ou Samsung proposent à tous pour quelques centaines d'euros. Ce sont là les substantiels dividendes que perçoivent les clients de ces entreprises sans même y avoir immobilisé leurs capitaux.

Plus il y aura de capitaux investis dans les entreprises, dans la robotisation, dans la formation, dans l'immobilier… plus nous serons riches, plus il y aura de produits et de services extraordinaires à bas coûts, d'emplois de qualité, plus nos choix seront divers. Peu importe que ces capitaux soient investis par nous ou par d'autres, nous en tirerons profit comme employeur ou comme employé, comme propriétaire ou comme locataire, comme actionnaire ou comme client. Le socialisme est au contraire ce mirage d'un monde faisant du passé table rase, où l'être humain naît nu, sans héritage, et meurt nu, dépouillé de tout patrimoine. Entre les deux, si l'État y consent, chacun peut espérer vivre vêtu de quelques haillons.

Il faudrait à la France moins d'aigris, moins d'envieux, et davantage de riches et de richesses. Pensons que nous n'avons jamais placé un seul de nos milliardaires sur le podium du classement Forbes. Quelle honte pour un grand pays comme le nôtre ! Notre champion actuel n'est que onzième à l'échelle mondiale et sa fortune n'atteint pas la moitié de celle de Bill Gates. Dans cette discipline aussi retrouvons les valeurs de l'olympisme et visons l'excellence !



[1] Pierre Bourdieu (1930-2002) dont « l'œuvre sociologique est dominée par une analyse des mécanismes de reproduction des hiérarchies sociales » (Wikipédia) est l'auteur, parmi nombre d'ouvrages, de : Les Héritiers (1964) ; La Reproduction (1970) (co-écrits avec J.-C. Passeron) ; La Distinction (1979) ; Les Structures sociales de l'Économie (2000).

[3] Fortunes de France ; Le classement des « 500 » ; Challenges n° 528 du 27 juin 2017. Challenges est un titre du groupe Perdriel (L'Obs, Science et Avenir).

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