Derrière les dérives du Fonds Marianne, le Far West des aides et subventions publiques aux associations<!-- --> | Atlantico.fr
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Marlène Schiappa, secrétaire d'Etat chargée de l'Économie sociale et solidaire et de la Vie associative, a lancé le Fonds Marianne après la mort de Samuel Paty
Marlène Schiappa, secrétaire d'Etat chargée de l'Économie sociale et solidaire et de la Vie associative, a lancé le Fonds Marianne après la mort de Samuel Paty
©THOMAS SAMSON / AFP

Pointe émergée de l’iceberg

Lancé en 2021 après la mort de Samuel Paty, le fonds Marianne, créé par Marlène Schiappa, est doté de 2,5 millions d’euros destinés à lutter contre la radicalisation. Selon France 2 et Mediapart, la somme de 685 000 euros, près de 30% de l’enveloppe budgétaire, a été versée à 2 associations et interroge au regard des missions effectuées et de l’usage des fonds.

Nathalie Goulet

Nathalie Goulet

Nathalie Goulet est sénatrice de l'Orne depuis 2007. Elle a publié « L’Abécédaire du financement du terrorisme » aux éditions du Cherche Midi en 2022.
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Adélaïde Motte

Adélaïde Motte

Adélaïde Motte est journaliste à l'IREF. 

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Benoît Perrin

Benoît Perrin

Benoît Perrin est le Directeur Général de Contribuables Associés et le Conseil d’Administration de Contribuables Associés.

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Atlantico :1,5 million d’associations contribuent à l'intérêt général en France. L'Etat et les collectivités soutiennent leurs actions par le biais de subventions. L’effort budgétaire consenti par l’État en leur faveur est important, environ 7,2 milliards d'euros de subventions, auxquelles s’ajoutent 21 avantages fiscaux pour un peu plus de 3,7 milliards en 2018. L'Etat a versé 8 milliards d'euros aux associations en 2019.

- Selon l’annexe au projet de loi de finances 2023 pour un effort financier de l’Etat en faveur des associations, les versements aux associations représentent 10,5 milliards d’euros pour l’année 2021, soit une moyenne de 102 700 € par versement d’un programme au siège d’une association ou à un de ses établissements. Le montant médian est, quant à lui, égal à 5 900 euros (pour la moitié des versements, le montant est inférieur ou égal à 5 900 euros).

- Quatre missions du budget général se détachent en ce qui concerne le montant total versé aux associations par l’État. La mission « Égalité des territoires et logement », avec 2 177 M€, est celle qui constitue le plus fort soutien au secteur associatif, suivie des missions « Travail et emploi » (1 296 M€), « Enseignement scolaire » (1 265 M€) et « Justice » (915 M€). Ces quatre missions représentent respectivement 20,6 %, 12,3 %, 12,0 % et 8,7 % de l’effort financier de l’État en faveur des associations. Les missions « Sport, jeunesse et vie associative », « Politique des territoires », « Enseignement scolaire » et « Justice » concentrent quant à elles le plus grand nombre de versements. Ces quatre missions représentent la moitié (49,4 %) des 102 600 versements aux associations au niveau des programmes. Le montant moyen par versement à une association ou à un de ses établissements au niveau des programmes varie considérablement selon les missions, allant de 7 300 € pour la mission « Gestion du patrimoine immobilier de l’État » à 69 M€ pour la mission « Régimes sociaux et de retraite ».

- Concernant les subventions, cinq missions du budget général se détachent en ce qui concerne le montant versé aux associations par l’État sont « Égalité des territoires et logement », avec 2 152 M€, « Enseignement scolaire » (1 148 M€), « Travail et Emploi » (800 M€), « Solidarité, insertion et égalité des chances » (768 M€) et « Immigration, asile et intégration » (736 M€). Ces cinq missions représentent 70 % du total de subventions versées en faveur des associations et 22 % du nombre de versements de subventions.

Atlantico : Le fonds Marianne tenu par Mohammed Sifaoui et lancé par Marlène Schiappa est sous le coup de nombreuses révélations. France Info a révélé le manque de contrôle et de nombreuses interrogations sur l’utilisation des fonds et Mediapart a révélé que le fond a financé des contenus politiques en période électorale. Que savons-nous à l’heure actuelle de cette histoire ?

Nathalie Goulet : Pour le moment, nous n’en savons pas grand-chose, sinon ce que les journalistes ont dit. Je crois savoir qu’il y a une procédure judiciaire en cours. Bien sûr, tout ceci n’est que la partie visible de l’iceberg. Le manque de suivi des financements des associations, plus que le fonds Marianne en tant que tel, est un sujet connu. Nous avons souvent des débats, notamment lors de la session budgétaire sur ce sujet mais, malheureusement, nous n’avons pas encore réussi à obtenir des justificatifs concernant la façon dont les financements sont accordés. Dès lors, il existe effectivement une grande opacité en matière de financement des associations en France.

Je salue l’initiative du président Raynal, président de la commission des Finances du Sénat, qui, comme il en a le pouvoir, a demandé au Ministre Darmanin de produire les pièces justificatives des dépenses du Fonds Marianne. 

C’est une parfaite illustration du contrôle parlementaire. Quand on veut on peut. 

Nous attendons donc la communication de ces pièces qu’en principe le Ministre ne peut pas refuser. Je ne le vois pas invoquer le « secret défense ».

Adélaïde Motte : Après l'assassinat de Samuel Paty en octobre 2020, le fonds Marianne, du nom du symbole français, a été créé pour promouvoir les valeurs de la République en attribuant 2,5 milliards d'euros à différentes associations qui devaient avoir une activité pérenne. L'enveloppe est conséquente, la cause est floue, et l'on va en profiter. Christian Gravel chapeaute le fonds et se trouve être proche de Mohammed Sifaoui, ex-dirigeant de la première association bénéficiaire du fonds. Les subventions accordées serviront entre autres à le rémunérer. On peut alors se demander si le fonds Marianne n'a pas été une nouvelle occasion de pratiquer le copinage cher à nos gouvernements successifs et dont les gouvernements Macron nous ont donné des exemples. Rien n'est encore sûr toutefois.

Au-delà du copinage, le fonds Marianne a pu servir à des fins politiques en dénigrant des opposants pendant la campagne présidentielle. De la promotion des valeurs de la République et de la lutte contre les discours séparatistes au discours politique, il n'y a qu'un pas. La deuxième association bénéficiaire du fonds a été créé quelques mois avant l'appel à projets du fonds Marianne. Elle publie des contenus entre janvier et août 2022 pour dénigrer l'extrême gauche et l'extrême droite, donc appeler à voter pour le candidat Macron, et cesse toute activité après les scrutins. Le fonds Marianne n'a pas été créé pour cela, Christian Gravel le reconnaît lui-même. De deux choses l'une : soit l'association a été créée uniquement pour attirer les fonds publics et influencer la campagne mais le gouvernement ne le savait pas et l'a financée de bonne foi, soit il le savait et il a détourné l'argent du contribuable. Là encore, il sera bien difficile de trancher.

Benoit Perrin : Les soupçons s’accumulent et ils ont de quoi hérisser les contribuables. Toujours généreux avec l’argent des contribuables, l’état n’y a pas été de main morte. Le fonds a été doté d’environ 2,5 millions d’euros. On apprend aujourd’hui que l’utilisation ces subventions posent problème, car elles auraient été détournées de leur usage initial. Copinage : selon une enquête menée par Marianne et France 2, le principal bénéficiaire des fonds est l’Union des sociétés d’éducation physique et de préparation militaire (USEPPM). Cette association aurait reçu un chèque de 355 000 euros.  Elle aurait notamment utilisé cet argent pour mettre en ligne des publications à très faible lisibilité sur les réseaux sociaux. Pire : les subventions auraient aussi permis de salarier 2 de ex-dirigeants de l’association, dont Mohammed Sifaoui, un journaliste franco-algérien de 55 ans aujourd’hui directeur de la communication du club de football d’Angers Sco. Ce dernier aurait perçu 3 500 euros nets/mois... Le plus scandaleux est à venir : le site Mediapart affirme qu’une autre association aurait été arrosée à hauteur de 333 000 euros pour développer des « contenus politiques à l’encontre d’opposants d’Emmanuel Macron pendant les campagnes présidentielle et législatives ».  Cette association s’appelle « Reconstruire le commun ». Si ces faits sont avérés, ils sont gravissimes. Il s’agit à la fois d’un détournement d’argent public au profit du parti présidentiel ; et d’une trahison morale puisque ces fonds étaient mobilisés pour défendre la mémoire de Samuel Paty, assassiné par un terroriste islamiste en octobre 2020. Les faits sont assez graves pour que le Sénat se soit saisi de l’affaire et demande la création d’une commission d’enquête. L’inspection générale de l’administration a été saisie fin mars. Enfin, le parquet de Paris a indiqué qu'un signalement de Christian Gravel, président du Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (CIPDR) organisme qui gère le fonds Marianne, est actuellement analysé, avant une éventuelle ouverture d'enquête. Contribuables Associés suivra attentivement cette affaire. Le fait de détourner des centaines de millions d’euros avec des visées opportunistes appelle de lourdes sanctions.

Est-ce surprenant ?

Nathalie Goulet : Non, je ne suis pas du tout surprise. J’ai été amenée à écrire un ouvrage sur la question du financement du terrorisme (Abécédaire du financement du terrorisme éditions cherche-midi) un chapitre est consacré aux associations qui financent le terrorisme ou le séparatisme  ainsi  l’Union européenne finance des associations en lien  avec les frères musulmans et donc le terrorisme.

Le Conseil de l’Europe finance pour sa part des campagnes contraires aux valeurs de la République (campagne en faveur du Hidjab par exemple)… Nous faisons, de fait, face à de grosses difficultés en ce qui concerne le contrôle du financement des associations

Pour autant, il ne faut pas croire que les parlementaires ignorent ce sujet. C’est tout l’inverse : nous avons conscience de ces enjeux.

J’ai posé de multiples questions d’actualité sur ce sujet et de multiples amendements chaque fois que l’occasion

.

A quel point manque-t-il actuellement des contrôles sur les aides et subventions publiques accordées aux associations ?

Nathalie Goulet : Nous avons accès à plusieurs éléments, dans les documents budgétaires dont un  « jaune » budgétaire relatif aux associations. Il illustre bien le dédale des financements aux associations. Il existe aussi un document produit dans le cadre du budget de la mission asile immigration, concernant les associations finançant l’aide aux émigrés : au total, 750 millions d’euros sont investis et il est très difficile de savoir précisément leur usage précis.

N’oublions pas non plus un autre financement, celui obtenu grâce à des dons ouvrant droit à une  déduction fiscale accordée pour dons aux associations. Cette dernière est rarement contrôlée. La Cour des Comptes a d’ailleurs publié, le 8 décembre 2020, un référé sur l’article 14-A du code général des impôts précisément parce qu’il n’existe jamais de contrôle sur le bien-fondé de la déduction appliquée. La Cour avait alors demandé au gouvernement de mieux vérifier la pertinence de ces déductions.

La situation est devenue ingérable et deux facteurs l’expliquent. Le manque de moyens humains, d’abord, ainsi qu’un déficit de volonté politique. Il existe, en France, des milliers et des milliers d’associations allant de la pêche à la ligne à des organismes de lutte contre l’Islam radical. Un nombre important d’entre elles ne sont pas contrôlées. Le mécanisme a d’ailleurs montré des failles : il y a quelques années, des dizaines d’associations pour la Francophonie continuaient encore de toucher des subventions… alors qu’elles n’existaient plus. Ces soucis résultent, entre autres éléments, de la taille du domaine à contrôler. Mais il faut aussi prendre en compte le caractère fondamental et garanti par la constitution de la liberté de s’associer. D’aucuns considèrent en effet que le contrôle d’une association revient à réduire leur liberté. C’est un postulat erroné : à partir du moment où il y a financement public, il y a aussi droit de regard.

La Cour des Comptes ne pouvant pas prononcer de sanction, la situation n’avance pas. C’est pourquoi je dépose chaque année un amendement sur l’article 14 du code général des impôts, relatif aux déductions fiscales.

Adélaïde Motte : Tout d’abord, il est plus difficile de contrôler cinq associations recevant des fonds publics que d’en contrôler cinq cents. Le contribuable veut savoir si l’argent de ses impôts est bien employé, et c’est normal. De son côté, l’Etat n’a pas les moyens humains de contrôler ceux qu’il finance, parce que ses fonds sont beaucoup trop dispersés.

Le deuxième problème concerne les soupçons de copinage. Il peut être logique d’accorder des fonds publics à une association dirigée par quelqu’un de votre entourage, parce que vous connaissez bien son travail et que vous lui faîtes confiance. Cela peut aussi relever du copinage, et c’est bien difficile à déterminer, on le voit avec cette affaire. Enfin, les associations sont gérées par des bénévoles qui ne sont parfois pas bien formés au service qu’ils rendent, d’où des imprécisions dans des domaines qui ne devraient pas en souffrir, comme la comptabilité.

Cliquez ici pour rejoindre le site du gouvernement qui permet de s’informer sur le montant des subventions versées aux associations

Benoit Perrin : Comme Contribuables Associés l’a souligné à plusieurs reprises des centaines de millions sont distribués chaque année à des associations, parfois sur la base d’affinités idéologiques, sans que l’état se dote des moyens nécessaires pour vérifier l’emploi des fonds. C’est de l’argent public et chaque ligne devrait être soupesée à l’euro près, a fortiori dans une période où beaucoup de Français tirent le Diable par la queue. Comme l’a souligné Hervé Marseille, sénateur UDI des Hauts-de-Seine cité par Public Sénat, cette affaire va bien au-delà du Fonds Marlène. Elle pose le sujet plus large de la transparence du financement des associations par l’État. « Il faut une bonne dose d’abnégation et de courage pour aller chercher et repérer les subventions aux associations par les ministères, et les critères », a-t-il notamment constaté en pointant du doigt un « souci de transparence ».

Bien sûr, les subventions versées par l’État sont récapitulées dans le document budgétaire « jaune », un document touffu annexé au projet de loi de finances.  Mais qui a le courage d’aller consulter ce document ? Quand on se penche sur ce jaune on se rend compte que l’état dépense un peu plus de 7 milliards/an d’argent pour financer une nébuleuse associative en direct ou à travers des missions qui organise ensuite le saupoudrage financier. Le « jaune » présente aussi les orientations stratégiques de la politique nationale en faveur des associations, les politiques ministérielles de subventionnement, la description de la liste des crédits attribués, etc. A cette aune, les éléments reprochés au fonds « Marianne » sont graves puisque les fonds auraient été distribués à des associations hors les clous budgétaires. Nous avons appris que quarante-sept dossiers répondant aux critères d'éligibilité ont été déposés lors de l'appel à projet du fonds Marianne. L’enjeu est maintenant de savoir qui les a sélectionnés et quels ont été les critères retenus pour départager les candidats. Au final, 17 associations ont profité d’un financement.  Comme d’autres observateurs, Contribuables Associés a noté observateurs que le principal bénéficiaire de l’opération, l'Union des sociétés d'éducation physique et de préparation militaire, citée plus haut, est dirigée par un aéropage dont le préfet Christian Gravel connaissait les responsables depuis longtemps. De même, le montant des subventions attribuées et le contrôle des fonds par le CIPDR chargé de la gestion a manqué, et c’est une litote, de clairvoyance si une partie des fonds a effectivement été détournée pour rémunérer des responsables associatifs ou monter des actions de communication bâclées.

Comment mieux contrôler les associations ?

Nathalie Goulet : Il y a là un problème de financement public. A mon sens, il faut donc conditionner l’obtention de subventions au contrôle et à la validation de critères établis. Bien sûr, on ne pourra pas contrôler toutes les associations tous les ans ! Nous avons essayé de le faire à l’aide de la loi confortant le respect des principes de la République, laquelle devait empêcher les associations ne répondant pas aux critères républicains d’accéder à des financements.

C’était un bon début. Malheureusement, ce n’est pas parce qu’on vote une loi qu’elle sera bien appliquée.

Un groupe de travail a été mis en place à la Commission des Lois pour permettre le suivi de la loi sur le séparatisme. Ce sera l’occasion de s’assurer de l’efficacité de ce qui est mis en place.

Benoit Perrin : Pour le moment, l’état des lieux est le suivant : les associations subventionnées par l’État doivent justifier de l’emploi des fonds reçus à destination du projet financé ; présenter les pièces justificatives de leurs dépenses, et des comptes annuels établis conformément au plan comptable, ainsi qu’un rapport d’activité. En cas de subvention affectée, elles doivent produire un compte rendu financier de leur emploi. Ces mesures sont insuffisantes. Depuis des années Contribuables Associés, qui ne reçoit aucune subvention et vit uniquement de la générosité de ses adhérents, réclame plus de transparence, davantage de lisibilité. Il faut resserrer les mailles du filet. Pour renforcer le contrôle, on pourrait par exemple obtenir une meilleure lisibilité des subventions et des aides indirectes versées afin d’éviter les doublons. Car certaines associations cachetonnent et reçoivent des fonds en provenance de plusieurs guichets publics (Etat, région, département, etc.). De même, nous préconisons des contrôles financiers externes plus fréquents. Ils permettraient de s’assurer que les fonds publics sont utilisés avec équité et transparence. Y-a-t-il des associations qui véhiculent des valeurs contraires à nos valeurs françaises ? Bien sûr ! Ironie de l’histoire c’est Marlène Schiappa qui lorsqu’elle était ministre déléguée à la Citoyenneté a dénoncé des moutons noirs, le rôle pernicieux d’associations « ennemies de la République » et pourtant gavées d’argent public.

Les associations contestant l'égalité hommes-femmes, la laïcité, le respect de la dignité de chacun ou encore la liberté de conscience ont été vouées au pilori qu'elles opèrent dans les secteurs sportifs, culturels, ou autres. Marlène Schiappa a même affirmé qu’elles seraient privées de subventions publiques.

Des mots ! Des promesses ! Billevesées ! Ces déclarations n’ont eu qu’une portée symbolique. Notamment lorsqu’il s’agit d’associations venant en aide aux sans-papiers ou apportant un soutien logistique aux clandestins alors que l’État ne manque pas une occasion d’affirmer qu’il veut maîtriser les flux migratoires !

Et l’état n’est pas le seul à financer ces associations qui font un pied de nez à la république, un bras d’honneur aux contribuables français. Les collectivités mettent aussi la main à la poche. Rappelez-vous, la Cour administrative d'appel de Paris a annulé la délibération du conseil de Paris attribuant à l'association « SOS Méditerranée France » une subvention d'un montant de 100 000 euros. Et Paris est loin d’être la seule ville concernée !

Dans quelle mesure est-il devenu (trop) facile de prétendre aux statuts d’association et d’obtenir des subventions ?

Nathalie Goulet : Le statut d’association n’est, objectivement, pas très difficile à obtenir. En revanche, il faut attendre un peu plus longtemps pour obtenir les subventions auxquelles il peut donner droit.

Compte tenu du nombre d’associations existant en France, il y a déjà beaucoup de travail, me semble-t-il. Bien sûr, il est tout à fait normal de venir en aide au milieu associatif, d’autant que les bénévoles se font de moins en moins nombreux et qu’il est toujours plus difficile d’activer nos territoires. Il est donc essentiel de ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain… tout en restant lucide sur la nature des problèmes auxquels nous devons faire face.

C’est pourquoi il faut être extrêmement vigilant sur tout ce qui donne droit à des déductions fiscales. Ecouter la Cour des Comptes pourrait aussi s’avérer pertinent. Le référé publié en décembre 2020 fait état de 7 milliards de subventions, auxquelles s’ajoutent 3,7 milliards d’euros d’avantages fiscaux. Avant d’en arriver à de telles déductions, il faudrait d’abord avoir un agrément !

Adélaïde Motte : Le problème ici est surtout l'attribution des subventions. La facilité de monter une association ne pose pas forcément problème, la bureaucratie française est bien assez épaisse sans qu'on lui demande de l'être plus. Il existe en France de nombreuses associations qui font un travail remarquable, mais leur financement par des fonds publics est, nous venons de le voir, trop hasardeux. Il serait bien plus sain que le gouvernement n’en finance aucune, diminue donc les taxes et charges et augmente du même coup le reste à vivre des Français. Ces derniers pourraient ainsi donner leur argent aux associations qui les touchent, suivant des critères qui n’appartiendraient qu’à eux. Le problème du copinage n’aurait plus de sens, et la bonne gestion des fonds serait un sujet moins sensible, puisque concernant moins de monde.

Le système d’encadrement des dons aux associations est-il insuffisant ?

Nathalie Goulet : Oui, en effet. La difficulté vient du fait que ce système d’encadrement doit faire preuve d’une certaine souplesse pour que les collectivités locales puissent financer les associations ainsi qu’elles le souhaitent… mais il faut aussi qu’il soit suffisamment protecteur de l’intérêt général. Au risque sinon de ne pas pouvoir s’assurer du bien fondé de certains versements.

La liberté d’association est une liberté constitutionnelle.

A quel point y a-t-il des associations qui pratiquent le copinage ? Le conflit d’intérêt ? Ou qui véhiculent des valeurs contraires à celles de la République ?

Nathalie Goulet : A partir du moment où il existe des grosses structures, dont le payeur n’est pas très regardant, ce genre d’association peut exister. Je doute qu’on en trouve beaucoup dans les territoires ruraux où les gens se connaissent… Mais je constate qu’il est très complexe de contrôler les associations, du fait de l’éventail extrêmement important d’organismes existant en France. Et, mécaniquement, un éventail de pratiques aussi. Il ne faut donc pas généraliser.

Ceci étant dit, le référé de la Cour des comptes établit que sur l’ensemble des sommes déduites fiscalement pour don aux associations, la question du bien-fondé (voire de la légalité) de l’opération se pose pour au moins 2 milliards d’euros. C’est l’absence de vérification qui fait naître le doute mais derrière ces chiffres se cachent une multitude d’associations dont certaines ont potentiellement vocation à protéger le patrimoine français, par exemple.

Quand l’objet d’une association peut s’avérer tendancieux, comme cela peut-être le cas quand on touche à l’éducation, à la radicalisation ou aux valeurs de la République, il faut se montrer vigilant. C’est là qu’il faut être regardant sur les dons, les collectes en ligne, l’obtention de subventions…

Il faudra aussi mettre en place un contrôle budgétaire sur l’ensemble des déductions fiscales accordées aux, en cela que cela pourrait aider à financer plusieurs grandes causes nationales : les retraites, la lutte contre la fraude…

Adélaïde Motte : Le paysage associatif est particulièrement touffu en France, sans parler de la difficulté à définir le copinage et le conflit d'intérêt, la frontière étant bien mince entre la promotion justifiée de ceux que l'on connaît et le "piston" illégitime. Supprimer les subventions permettrait à l'Etat de n'avoir qu'un intérêt limité pour ces deux points. Il pourrait ainsi se concentrer sur le dernier que vous évoquez, les associations contraires aux valeurs de la République. Le concept est néanmoins assez flou et sujet à questions, que ce soit à cause du wokisme qui s'invite dans l'égalité homme-femme ou à cause des difficultés à marier islamisme et laïcité.

Que faire pour séparer le bon grain de l’ivraie en matière d’association ?

Nathalie Goulet : D’abord, me semble-t-il, il faut identifier la composition  des bureaux et l’objet social de l’association contrôlée. Ces éléments étant déposés en préfectures sont normalement vérifiables assez simplement. Par la suite, et c’est là que la situation se corse, il faut faire extrêmement attention à la pratique de l’association.

Ce que je constate c’est que la France est très mauvaise en matière de contrôle et d’évaluation. Nous n’évaluons pas les mesures que nous mettons en place… ce qui signifie que nous nous exposons de facto à des déconvenues

Comment contrôler l’ensemble des associations en France ? C’est là la vraie question. La loi pour le contrôle par un expert-comptable d’une association fixe le montant de subvention minimum nécessaire à 153 000 euros. Au Sénat, nous avons plusieurs fois essayé d’obtenir la diminution de ce seuil, qui nous paraît trop élevé. Dans le même temps, il ne serait pas légitime d’imposer au commissaire au compte à des petites associations regroupant des chasseurs, des joueurs de boules ou des pêcheurs, par exemple : ils n’en auraient tout simplement pas les moyens.

Nous sommes partagés, compte tenu du nombre d’associations ainsi que du nombre de secteurs d’activité que ces associations recouvrent. Il faut trouver la juste mesure… Jusqu’à présent, nous n’avons pas réussi. Pour ma part, je crois qu’elle est fiscale et qu’il est essentiel d’inverser le processus d’obtention des subventions. Malheureusement, cela signifie aussi freiner l’initiative et le bénévolat qui est en chute libre partout.

Adélaïde Motte : D'abord définir le bon grain avec des critères objectifs, notamment indifférents à la politique. Ensuite définir l'ivraie et différencier les associations dangereuses de celles qui ne sont qu'indésirables. Enfin se doter d'outils efficaces, qui se contentent de brûler l'ivraie sans empêcher le bon grain de croître. Il ne s'agit pas de multiplier les réglementations, ni de se contenter de dissoudre les brebis galeuses. On peut en revanche pénaliser les dirigeants d'associations coupables, en les empêchant par exemple de figurer dans les statuts d'une autre association.

Comment mettre fin au Far West actuel ?

Nathalie Goulet : Revenons sur l’exemple des financements accordés aux associations de protection des migrants. Il s’agit d’un sujet éminemment politique et, bien évidemment, il est important de venir en aide à ces personnes qu’on ne peut pas laisser mourir de faim et de soif sur la plage. Mais compte tenu des montants en jeu, il est indispensable de procéder aux contrôles nécessaires. C’est loin d’être le seul cas dans lequel cela devait s’imposer.

Il me semble aussi qu’il faudrait suivre les recommandations de la Cour des comptes. L’existance d’un jaune budgétaire est un signe de transparence, mais cela ne suffit pas. C’est une première étape mais, puisque l’ensemble des ministères et des collectivités territoriales subventionnent des associations, notre vision de la situation est, au mieux, parcellaire. C’est pourquoi il est si important de tenir compte de l’avis de la Cour des comptes.

Il y a donc deux éléments importants à retenir :

Le contrôle des aides directes (s’assurer que l’association qui bénéficie de subventions existe encore, par exemple), ce qui suppose des moyens humains extrêmement importants.

Le contrôle des aides indirectes, à travers la déduction fiscale.

Dans un cas comme dans l’autre, sans contrôle, c’est le contribuable qui paie. Sans avoir le choix de choisir pour quoi ou pour qui il paie.

Il n’y a aucun doute sur le fait qu’un contrôle du financement des associations serait une source d’économies importante et de rationalisation de la dépense publique.

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