Derrière le rideau de la guerre, le business mondial continue… Sous l'émotion, la rationalité. Incompréhensible<!-- --> | Atlantico.fr
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Des bâtiments détruits après un bombardement dans la bande de Gaza. 29 octobre 2023
Des bâtiments détruits après un bombardement dans la bande de Gaza. 29 octobre 2023
©FADEL SENNA / AFP

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Comment expliquer que dans ce climat dominé par un risque de guerre mondiale, les pays au cœur du conflit n’ont jamais fait autant de business ? Tout se passe comme si les acteurs du monde des affaires nous protégeaient du cataclysme

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

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Raymond Aron nous manque cruellement aujourd'hui pour comprendre un monde fracturé qui multiplie les horreurs alors que le monde des affaires continue de se développer et de maintenir des liens entre des pays qui se font la guerre ou se menacent en permanence. 

Raymond Aron, politologue, philosophe et économiste, expliquait jadis dans ses chroniques journalistiques au Figaro que la géopolitique se développait dans un fragile équilibre entre l'émotion des peuples et le besoin de rationalité. Entre l'expertise technique de Clausewitz et son art de la guerre, le cynisme de Machiavel sur le pouvoir des princes, et l’emprise très sartrienne des idéologies, Raymond Aron pensait que les peuples étaient préoccupés par leur survie matérielle, d’où l'importance de l'économie comme moteur sans toujours le savoir précisément, mais qu'ils étaient aussi commandés par leurs émotions, historiques, culturelles ou religieuses.

La période que nous traversons actuellement n’a jamais correspondue autant à ce que Raymond Aron expliquait et traquait depuis la Deuxième Guerre mondiale. Les grandes démocraties libérales ont tenu les promesses de liberté et de prospérité économiques avec beaucoup de rationalité, les blocs autoritaires enfermés dans la guerre froide ont tenu par leur idéologie d’un monde meilleur mais pour plus tard. Cette cohabitation entre la chaleur des libertés individuelles et le froid du centralisme autoritaire a tenu l’équilibre pendant presque un demi-siècle.

« Ala fin de l’Histoire » La mondialisation gérante et heureuse parce qu’elle garantissait un climat de paix, aura été une courte parenthèse, puisque qu’aujourd’hui, on le voit, la planète est fracturée, mais … elle continue de commercer. D’où une situation a priori très contradictoire…

D’un cote , une guerre en Ukraine où les nostalgiques de l’Empire soviétique cherchent à élargir leur puissance, une guerre au Moyen-Orient sous le prétexte de récupérer une terre attribuée aux Juifs apres la guerre , par les instances internationales, mais une terre qui a toujours appartenu à des croyants... des menaces de guerre en Asie parce que la Chine de Pékin voudrait récupérer un bout de terre dans la mer de Chine, des guérillas en Afrique sur les vestiges du colonialisme. Toutes ces guerres sont très différentes, les drapeaux, les religions, les idéologies, les peuples sont différents. Ces guerres, qui sont meurtrières, n’affichent qu’un adversaire officiellement : l'Occident, les Blancs et les valeurs qui ont fait la force de l'Amérique et de l'Europe. En dehors de cet adversaire qu’ils visent, ces pays ont peu de points communs. En réalité, beaucoup se détestent. Entre la Chine, la Russie, la Turquie, entre l'Arabie saoudite et l'Iran, entre le Qatar et l'Arabie saoudite, ce n’est pas l'amour fou. Mais l'émotion que provoque la situation des victimes, et principalement des musulmans, déborde de partout sur la planète entière et vient nourrir les risques d’un embrasement mondial.

Ce qui est fascinant dans cette situation, c’est qu’au même moment, pour des raisons de pure rationalité, des liens sont tissés entre ces peuples du commerce et des échanges en pleine progression. Rien que cette semaine, le salon international de l’aéronautique va attirer à Dubaï les clients d'Airbus et de Boeing qui vont venir du monde entier.  Les commandes qui seront passées par des pays comme l’Arabie saoudite, la Turquie, la Chine, l'Égypte, sont considérables : 40 000 avions gros porteurs pour les 30 prochaines années. De telles commandes ne viennent pas d’États particulièrement inquiets et préoccupés par un risque de guerre mondiale. 

Quand Joe Biden et Xi Jinping décident de se rencontrer face à face, pendant deux jours à Los Angeles pour un sommet dont l'objectif déclaré est de renforcer des liens de communications et d’échange, on est très loin de penser que ces deux pays sont au bord de l'affrontement sur les côtes de Taïwan. Ne parlons pas des échanges de gaz entre la Russie et l’Europe qui reprennent, soit directement via un gazoduc qui traverse l’Ukraine, et qui n’a été détruit par personne. Soit par la Chine ou l’Inde de façon détournée . Personne n’ai dupe . Ne parlons pas des contrats passés par l'Europe avec les Chinois pour l’importation de voitures électriques, puisque Pékin va devenir le premier producteur de l’industrie automobile verte. Ne parlons pas du commerce de blé qui, venant d’Ukraine, sera exporté en Turquie ou en Égypte. Ne parlons pas des exportations allemandes en Chine qui restent à un haut niveau, ne parlons pas des flux de touristes européens et américains qui se bousculent à Dubaï, au Qatar, en Jordanie, en Turquie, en Égypte, au Maroc… On ne peut pas croire que ces pays ainsi visités sont sur le point de basculer dans la guerre mondiale. Ils commercent, échangent, et accueillent des produits occidentaux, des visiteurs parce qu'ils en ont besoin. La rationalité l'emporte sur l'émotion. 

Inversement, tous ces pays sont les premiers à envoyer leurs enfants se former dans les universités américaines ou européennes. Toutes les élites au Proche et au Moyen-Orient ont été formées en Occident. La rue fonctionne à l'émotion, les gouvernants gouvernent en équilibrant l'émotion de la rue et la rationalité qui permet de satisfaire les besoins élémentaires. Les pays autoritaires sont réfractaires à la démocratie et à toutes les formes de libertés individuelles, mais ils sont extrêmement vigilants à ce que les boulangeries aient du pain ou de la farine. Sans paraphraser Machiavel que citait parfois  Raymond Aron, les princes qui gouvernent n’habitent pas dans la rue, mais dans des palais, mais ils doivent se souvenir toujours que la rue existe et impose sa loi. Sinon … Wilfrid Galand, directeur stratégiste chez Montpensier, éditorialiste sur BFM Business le disait d’une autre manière en suggérant de mettre un peu moins d’émotion dans le logiciel de l’économie. 

Quand on observe la cohabitation entre la confrontation violente de toutes ces émotions et l'activité qui découle des besoins économiques qu'il faut satisfaire, on peut penser que le monde des affaires, habité par le respect des rationalités, peut sans doute empêcher le monde de s’embraser. Les crises rendent intelligentes aurait pu dire Raymond Aron.

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