Derrière la guérilla en mer rouge, l'offensive des régimes autoritaires sur les circuits clés du commerce mondial<!-- --> | Atlantico.fr
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Des membres des garde-côtes yéménites affiliés au groupe Houthi patrouillent la mer Rouge, le 4 janvier 2024.
Des membres des garde-côtes yéménites affiliés au groupe Houthi patrouillent la mer Rouge, le 4 janvier 2024.
©Photo AFP

Guerre maritime

Le futur du commerce mondial, semble-t-il, passe par des corridors multimodaux eurasiatiques, qui dépendront tous de la Chine, de la Russie, de l'Iran et de la Turquie. Un enjeu géopolitique d'autant plus essentiel que des opérations de guérilla maritime frappent d'ores et déjà Israël en Mer rouge... tandis que l'Europe laisse faire.

Xavier Raufer

Xavier Raufer

Xavier Raufer est un criminologue français, directeur des études au Département de recherches sur les menaces criminelles contemporaines à l'Université Paris II, et auteur de nombreux ouvrages sur le sujet. Dernier en date:  La criminalité organisée dans le chaos mondial : mafias, triades, cartels, clans. Il est directeur d'études, pôle sécurité-défense-criminologie du Conservatoire National des Arts et Métiers. 

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D'abord ce rappel : les criminologues s'emploient à étudier des individus ou entités aussi dangereux qu'antipathiques, avec lesquels ils ne copinent ; moins encore, ne partagent de vacances : milices, mafias, etc. Ce qui suit est donc un simple avertissement, à propos de pays et de forces qui, à l'instant, semblent mener leur barque (si l'on ose dire) bien plus habilement hélas, que nos dirigeants, d'abord européens.

Scrutons la carte ci-dessus : Terre, mer, rail, route : faisant du transport l'avenir de l'Eurasie, au-delà, du monde ; ces projets lancent la titanesque irrigation d'un immense espace, de Brest à Vladivostok. De la Russie et la Chine, ces artères nord-sud font du grand Moyen-Orient le débouché naturel des nouvelles routes de la Soie. Dans l'axe Est-Ouest, l'Asie centrale et l'Europe du Nord sont désormais bien plus proches.

À l'horizon 2030, ces corridors eurasiatiques multimodaux (terre-mer-route) dépendront tous du quatuor Chine, Russie, Iran, Turquie. Par eux, passera l'essentiel du trafic entre Asie et Europe (sauf voie aérienne, ±10% du total). Seule riposte occidentale à cet inquiétant monopole : IMEC, India Middle-East Corridor : de Bombay à Dubaï, puis train/route vers Haïfa (Israël), cargo vers l'Europe. Or le 7 octobre à Gaza, l'attaque d'une milice (inspirée par qui ?), réduit IMEC à presque rien. Fin décembre 2023, un sondage donne 95% de Saoudiens violemment hostiles à toute entente avec Israël. En septembre, le prince-héritier, gouverneur de fait du royaume, voyait l'accord israélo-saoudien "chaque jour plus proche" : rêve évanoui.

Retour à la carte - sur la verticale Mourmansk-Océan Indien, se finalise INSTC (International North South Transport Corridor) : l'emprunter gagne deux semaines sur l'itinéraire canal de Suez-Mer rouge. Or en novembre, après la riposte israélienne à Gaza, seconde "inspiration stratégique" : la milice yéménite AnsarAllah, aussi nommée "Houthis", interdit la Mer rouge à tout navire marchand desservant le port d'Eilat, en Israël (poussée par qui, là encore ?).

Là, une simple affaire de milices islamistes (sunnites ou chi'ites), vire à la crise mondiale. Nos articles et études affirment de longue date que, loin de la fictive "guerre des étoiles" hypnotisant tant de médias et politiciens - d'abord, européens - nous décelons comme vraie menace du XXIe siècle le retour aux grandes compagnies, lansquenets, ou bandes armées hybrides. Du Sahel à Bakhmout, on l'a vu avec Wagner - milice que nous fûmes les premiers à détecter. 

Pire aujourd'hui autour de l'Arabie, où un piège aux mâchoires bien huilées happe l'Europe, du fait des milices Hashd al-Chaabi (Irak), Hezbollah (Iran), Hamas (Gaza) et AnsarAllah (Yémen). Et tant d'autres : dès 2017, nous consacrions un numéro de la revue Sécurité Globale à un "Chi'isme paramilitaire" contrôlant, dans le monde, des centaines d'entités de toute taille.

Mesurons d'abord la menace : aux approches du canal de Suez, 30% du si stratégique trafic mondial de conteneurs longe le détroit de Bab el-Mandeb (29 km au plus étroit), modèle de goulot d'étranglement. 20 000 navires par an, 40% du commerce maritime mondial, dont 9 millions de barils de brut/jour. Alternative, contourner l'Afrique : 13 000 km, dix à quinze jours de plus - chaos logistique en vue, la plupart des conteneurs rentrant vides en Asie - des semaines perdues pour tout aller-retour par le Cap.

Or depuis novembre, les attaques de la guérilla maritime houthie sur des navires "desservant Israël" se comptent par dizaines - une quinzaine ont fait mouche. Sur le coup, les géants MSC, Maersk, Hapag-Lloyd, CMA-CGM, Yang Ming MT, Evergreen, 60% du trafic maritime mondial, déroutent par l'Afrique des dizaines de porte-conteneurs. Seule riposte, une initiative américaine sans mandat du conseil de sécurité de l'ONU, ni participation d'un seul pays majeur de la péninsule arabe. Riposte ou gouffre financier ? Les drones des Houthis coûtent 2 000 dollars US et les missiles les interceptant, d'un à quatre millions pièce. 38 drones abattus fin décembre ? La (lourde) addition est vite faite.

Déjà, un désastre pour l'Égypte, à qui le canal de Suez rapporte 10 milliards de dollars par an ; et en novembre passé, le port d'Eilat a perdu 85% de ses revenus, 30% des importations d'Israël empruntant la Mer rouge. Pendant ce temps, les tankers et cargos russes, saoudiens, émiratis et qataris sillonnent librement la Mer rouge : nul risque pour eux, disent les Houthis.

Et l'inquiétude croît encore dans le monde quand, fin décembre, un dirigeant des Gardiens de la révolution iraniens évoque la fermeture d'autres goulots d'étranglement maritimes stratégiques - la planète n'en manque pas.

Clairement, ces problèmes géopolitiques relèvent de l'Union européenne, seule d'envergure continentale. Mais que font Mme von der Leyen et M. Michel devant ces menaces, pourtant "claires et présentes", comme dit la formule ? Débordé par le formidablement rusé R. T. Erdogan, ce tandem-Europe a ensuite plongé à l'aveuglette dans le pétrin ukrainien. Là, sur ce si stratégique péril eurasiatique, on ne les voit ni ne les entend. Que font-ils ? Que proposent-ils ? On aimerait le savoir.

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