Déportations et disparitions… : ce que l’on sait de la vie dans les territoires occupés par la Russie en Ukraine <!-- --> | Atlantico.fr
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Un bureau de vote lors des élections locales organisées par les autorités par la Russie à Donetsk, en Ukraine sous contrôle russe, le 8 septembre 2023.
Un bureau de vote lors des élections locales organisées par les autorités par la Russie à Donetsk, en Ukraine sous contrôle russe, le 8 septembre 2023.
© STRINGER / AFP

Dérive autoritaire

Alors que le vote anticipé pour l'élection présidentielle russe a déjà commencé dans les zones occupées d' Ukraine, les tactiques d'intimidation sont monnaie courante.

Galia Ackerman

Galia Ackerman

Galia Ackerman est docteure en histoire et chercheuse associée à l'université de Caen, Galia Ackerman est spécialiste de l'Ukraine et de l'idéologie de la Russie post-soviétique. Elle a été journaliste à RFI et à la revue Politique internationale. Elle est notamment l'auteure, aux éditions Premier Parallèle, de Traverser Tchernobyl (2016, rééd augmentée 2022). Elle a cofondé la revue Desk-Russie. Elle a également dirigé le numéro 77 de La Règle du jeu consacré à l'Ukraine (octobre 2022). 

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Atlantico : Quelle est la politique de la Russie actuellement dans les territoires ukrainiens occupés

Galia Ackerman : La même politique que celle du KGB, les services secrets soviétiques, est appliquée et plus généralement cela correspond à la même emprise que le pouvoir militaire soviétique par rapport aux territoires occupés d'abord au début des années 1940 et ensuite à la fin de la guerre, à savoir l'Ukraine occidentale et la Russie occidentale, la Moldavie. Cette politique s'appuie sur le maillage préalable de ces territoires. Le régime recherche des sympathisants, implante les agents, qui recensent en quelque sorte la population qui est hostile au régime d'occupation en Ukraine. Cela concerne les administrations locales, à l'exception de quelques collaborateurs, les professeurs, les instituteurs, les journalistes, etc. Tous ceux qui peuvent exprimer un avis public sur l'occupation. 

Quand l'occupant arrive dans une localité, généralement, il a déjà des listes d’individus qu'il faut éliminer ou neutraliser. Les plus intransigeants sont éliminés. Il y a eu beaucoup de localités qui ont été occupées par l'armée russe et ensuite libérées par l'armée ukrainienne. On retrouve parfois des fosses communes avec des cadavres de personnes disparues. D'autres personnes sont envoyées dans des prisons, des centres de torture qui sont systématiquement installés dans les territoires occupés. Parfois, ils sont transférés aussi dans les soi-disant Républiques populaires de Donetsk et Lougansk dans des infrastructures, des camps de filtration, des prisons où l’on pratique la torture ont été installés depuis des années. Ils sont très cruellement torturés, suffisamment intimidés et relâchés. Parfois, ils sont échangés. Mais le problème de la population civile est que normalement elle ne rentre pas dans le cadre d'échange. Le reste de la population est traité de façon différente. Il y a une partie généralement qui est déportée tout simplement vers les Républiques de Donetsk et Lougansk, et ensuite vers la Russie et on les dissémine sur le territoire, rendant difficile, voire impossible, le retour en Ukraine. 

Sur probablement 2 millions de personnes qui ont été déportées depuis ces territoires, il y en a quelques milliers peut-être, qui ont réussi à rentrer en Ukraine. On leur prend leur passeport ukrainien. Parfois, on leur délivre un passeport intérieur russe, mais pas de passeport permettant de voyager et ils n'ont pas d'argent. Ils sont disséminés aux quatre coins de la Russie, y compris en Sibérie, même à l'Extrême-Orient. Ils sont démunis. Parmi eux, il y a, selon les Russes, sept cents enfants. Ces enfants sont l'avenir de la nation ukrainienne et on les russifie de force en inculquant des valeurs impériales, on leur apprend à détester l'Ukraine, en racontant des histoires totalement déformées de l'Ukraine et de Russie. 

Comment le Kremlin organise la russification du territoire ? 

Pour la population qui reste sur place, elle est très étroitement contrôlée par l'administration russe. Il y a aussi beaucoup de dénonciations par des personnes qui sont pro-russes. Il peut y avoir toutes sortes de motivations, comme pendant l'occupation nazie : dénoncer son voisin pour occuper son logement.

Les gens qui restent sont obligés d’adopter les règles russes. Pour les professeurs instituteurs, c'est l'enseignement de préférence en langue russe. Et même quand c'est en ukrainien, l’enseignement se fait selon les manuels imprimés en Russie. L'occupation a été bien préparée parce qu'il y a par exemple des manuels d'histoire et de littérature en langue ukrainienne, mais qui reflètent totalement les thèses russes. Et ensuite, il y a l'embrigadement, l'obligation de fréquenter des meetings, d'applaudir l'occupant, de ne jamais afficher une symbolique ukrainienne quelconque, etc. C'est une sorte de rouleau compresseur, de russification dans tous ces territoires. 

Dans les régions où les terres sont riches sur tout le pourtour de la mer d'Azov, entièrement occupées, avec des villes comme Bergen ou Marioupol, on incite la population russe à venir s'installer. Imaginez, une ville comme Marioupol avec quatre mille trois cents habitants en 2021, c'était une ville qui est restée sous contrôle ukrainien et où beaucoup de gens originaires d’Oblast ou de Donetsk se sont réfugiés. Aujourd’hui, la ville est dévastée. D’après les témoignages, on empêche les Ukrainiens qui reviennent de récupérer leur logement sur toutes sortes de prétextes. On les incite très fortement à ne pas revenir et en revanche, on invite les Russes à s'installer en ville. Des propositions sont faites via des annonces immobilières pour des logements abordables. Marioupol est présentée comme une magnifique ville avec un bord de mer. Beaucoup de Russes, des gens qui ne sont pas aisés, ont ainsi la possibilité d'acquérir un bien immobilier. Des retraités notamment, mais aussi des personnes actives. 

Quel est le sort réservé aux Tatars en Crimée ? 

Les Tatars étaient les plus grands partisans de l'Ukraine parce que l'Ukraine leur a permis de revenir dans leur patrie et de développer leur culture, d'enseigner dans leur langue, etc. Avec l'occupation de la Crimée, il y a eu beaucoup de Tatars qui ont été forcés de quitter la Crimée comme le chef historique des Tatars de Crimée. D’autres habitants de cette région ont été arrêtés pour extrémisme, terrorisme… Ils sont condamnés à des peines extrêmement lourdes, 15, 20, 25 ans de prison. Ils se retrouvent dans des camps en dehors de la Crimée, sur le territoire russe, en Sibérie. Les familles ont le plus grand mal à entretenir des liens avec les prisonniers. Et cette purge tatare continue. Dernièrement, il y a eu une nouvelle vague d'arrestations. Leur organe politique a été interdit.

Quelle est l’importance des élections à venir et comment sont-elles organisées dans ses territoires ? 

L'important est de montrer la présence de votants, tout simplement. Rien que participer à cette élection est en quelque sorte comme participer au jeu de ce régime. Cela correspond au fait de reconnaître la légitimité de ces élections. Les gens seront peut-être obligés de voter comme c'était le cas à l'époque soviétique, quand les préposés aux élections passaient d'une maison à l'autre pour faire voter. Je pense aussi que probablement, le secret du vote ne sera pas respecté et que ce sera très difficile pour les gens de participer à ce vote, par exemple avec un bulletin blanc, parce que tous les candidats en lice, en premier lieu Vladimir Poutine lui-même, mais aussi trois autres candidats, sont tous des candidats du pouvoir. Le but est d’embrigader, de montrer qu'ils n'ont pas d'autre solution que de participer au vote et donc de se plier aux exigences du pouvoir russe.

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