« Défense active » : voilà le plan de l’Ukraine pour survivre à la Russie en 2024<!-- --> | Atlantico.fr
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Le président ukrainien Volodymyr Zelensky.
Le président ukrainien Volodymyr Zelensky.
©Sergei SUPINSKY / AFP

Nouvelle tactique

Après l'échec de sa contre-offensive estivale, l’Ukraine a décidé d’adopter une nouvelle tactique alors que le pays se prépare à une troisième année de guerre.

Jérôme Pellistrandi

Jérôme Pellistrandi

Le Général Jérôme Pellistrandi est Rédacteur en chef de la Revue Défense nationale.

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Atlantico : Après l'échec de sa contre-offensive estivale, l’Ukraine a décidé d’adopter une nouvelle tactique alors que le pays se prépare à une troisième année de guerre. En quoi consiste la stratégie de « défense active » ? Quelles sont ses principales innovations ?

Jérôme Pellistrandi : La contre-offensive menée par Kiev n'a pas permis d’obtenir les résultats escomptés. Depuis le mois de septembre, la ligne de front terrestre est presque gelée. La difficulté pour les Ukrainiens est de tenir dans la durée, en espérant que l'attrition des forces russes sera suffisante pour obliger Moscou à bouger. L'Ukraine a connu une profonde transformation depuis deux ans de guerre. Le secteur agricole a été en mesure de reprendre ses exportations. Le blocus maritime qui était imposé par Moscou n'a pas eu l'effet escompté. Il y a donc une vraie capacité ukrainienne à rebondir. Elle se traduit également dans le domaine militaire avec cette nouvelle stratégie de défense active qui est déployée.

Pour le moment, il est difficile pour Kiev de lancer une nouvelle contre-offensive car cela nécessiterait d’importants moyens, des blindés lourds. Il faut donc consolider la ligne de front. Les discussions se poursuivent à l’international pour livrer toujours plus d’armes et de munitions à l’Ukraine. Le ministre des Armées, Sébastien Lecornu, a confirmé l’engagement de la France pour soutenir Kiev et pour permettre aux Ukrainiens d’être dotés de capacités suffisantes pour avoir suffisamment de canons et de munitions pour défendre la ligne de front.

La logistique est également un facteur extrêmement important. Les Ukrainiens doivent réorganiser l’acheminement des munitions et des obus. La rationalisation des chaînes logistiques est capitale.

Est-ce que la stratégie défensive de l'Ukraine ne va-t-elle pas entraîner de lourdes pertes ? Y aurait-il des solutions pour trouver des positions plus sécurisées pour les troupes ukrainiennes sur le front ?

Cette stratégie va soulever de nombreuses questions sur la problématique de l'artillerie et sur la capacité de frapper l’ennemi en profondeur, sur des territoires de plus en plus lointains.

La France a annoncé la livraison de 40 missiles SCALP, ayant une capacité de frappe dans la profondeur et la livraison de 50 bombes guidées A2SM par mois. Cela va constituer un véritable atout sur la ligne de front et dans la profondeur.

L'arrivée des avions de combat F-16 est aussi prévue pour cette année 2024.

Tous ces moyens militaires et ces armes vont permettre à l'Ukraine de se défendre. Mais de là à relancer une contre-offensive pouvant casser le front russe et en particulier les fameuses lignes de défense, notamment dans le Donbass et du côté de Zaporijia, cela semble difficile.

Le problème logistique de l'Ukraine n'est-il pas lié aux difficultés pour les livraisons d'armes et à la faiblesse du soutien occidental ?

S'il n’y avait pas eu les livraisons occidentales, l'Ukraine aurait eu du mal à tenir face à la Russie. Malgré la résilience du peuple, malgré une volonté farouche, l'aide occidentale a bien permis à l'Ukraine de résister et de tenir. Il y a eu des difficultés logistiques liées à l’étendue du territoire ukrainien et entre la frontière polonaise et la ligne de front.

Mais l'aide occidentale a été conséquente depuis le début du conflit et a permis à l'Ukraine de tenir.

Les progrès et les avancées de la Russie sur le front n'ont-ils pas contraint l'Ukraine à adopter une stratégie plus défensive ?

Les Russes ont su, eux aussi, tirer des leçons des échecs des premiers mois de la guerre. Les Ukrainiens sont dans l'obligation de préserver leurs capacités humaines parce que le rapport de force est en faveur de la Russie. Les forces russes estiment qu’elles disposent de ressources humaines beaucoup plus conséquentes par rapport à Kiev.

La Russie a bel et bien progressé sur le front. Tactiquement, il n'en demeure pas moins que cela se fait au prix de pertes extrêmement importantes du côté russe.

Est-ce que le fait de s'appuyer sur une stratégie défensive est préjudiciable à l'effort de guerre de l'Ukraine ?

Il s’agit de la seule chose que puisse faire Kiev pour le moment, compte tenu de la réalité sur le front et des défenses russes. Sur le plan terrestre, il est difficile pour les Ukrainiens d'envisager autre chose qu'une stratégie défensive. Mais il y a des possibilités qui s’offrent à Kiev via des stratégies de contournement, notamment à travers les batailles navales qui sont très largement en défaveur de la marine russe. La situation en mer Noire est une succession d’humiliations pour la Russie. Mais les victoires navales ne permettront pas de gagner la guerre, même si Moscou n’est pas parvenu à contrôler la mer Noire. Cette situation est très humiliante pour la Russie.

Dans le cadre de cette stratégie alternative, Kiev a aussi mené des frappes en profondeur en Russie sur des sites industriels ou économiques grâce à l’usage de drones militaires.

Ces stratégies alternatives ne permettent pas de gagner la guerre mais déstabilisent le pouvoir russe dans le contexte des élections au mois de mars.

Est-ce qu'il y a de l'espoir sur le front du côté ukrainien ?

Les Ukrainiens, en fait, sont dans une situation analogue à ce qui s'est passé en 1915 pour la France. Ils doivent impérativement tenir. La grande inconnue concerne la situation du printemps prochain. Il est difficile de savoir précisément ce qu’il pourrait advenir.

 La stratégie de défense active est censée renforcer les lignes défensives tout en recherchant les points faibles à exploiter chez l’adversaire grâce à des frappes aériennes de longue portée. Cela permettra-t-il à l'Ukraine de reconstituer ses forces cette année et de se préparer pour 2025, date à laquelle une nouvelle contre-offensive pourrait être menée. Un tel scénario est-il plausible ?

La guerre pour le moment est figée. Les deux pays tentent de reconstituer leurs forces. Il y a un problème très net, lié aux soldats qui ont été mobilisés depuis deux ans. La question de la mobilisation d'autres soldats se pose en Ukraine.

Il y a également beaucoup d’interrogations avec les élections américaines.

L'objectif est donc de tenir autant que possible sur la ligne de front.

Est-ce que l'Ukraine dispose de suffisamment de ressources ? Le pays est-il suffisamment solide sur le plan du commandement militaire ou à travers le pouvoir politique de Volodymyr Zelensky ?

Des dissensions d'ordre politique sont au cœur de la nouvelle stratégie menée par Kiev, notamment sur la nécessité de recourir à une mobilisation supplémentaire des Ukrainiens pour l’effort de guerre.

Le commandement ukrainien s’est extrêmement aguerri et a gagné en efficacité depuis le début de la guerre mais il y a encore des marges de progrès à faire sur la capacité des bataillons à manœuvrer.

Il y a également un enjeu considérable avec le déploiement imminent des avions F-16. Cela nécessite du temps et de la formation pour que leur utilisation soit efficace.  La France s’est d’ailleurs engagée à poursuivre sa formation des militaires ukrainiens, pour aider Kiev à tenir dans la durée.

De retour d'un voyage en Pologne et en Ukraine, des sénateurs français de la commission des affaires étrangères et de défense ont regretté que l'économie de guerre promise par Emmanuel Macron ne soit pas en place. Ces sénateurs viennent de publier un rapport « Pourquoi l'avenir de l'Europe se joue en Ukraine ? ». Quels sont les défauts français sur cette économie de guerre ou sur le soutien à l'Ukraine ? Est-ce que la France pourrait faire mieux ?

Le président de la République a encore fait référence à cette économie de guerre lors d’un récent déplacement à Cherbourg. Dans certains domaines, des efforts ont été faits, notamment par les industriels. Le cas le plus emblématique est celui du canon Caesar. Des améliorations sont constatées pour la production de ce canon avec une diminution dans les délais et une augmentation des quantités fournies. La France va atteindre une capacité de production de 3.000 obus par mois. Elle a été multipliée par trois.

Dans d'autres domaines, il va falloir aller plus vite et prendre des risques. Emmanuel Macron souhaite ainsi adresser un appel aux industriels afin d’être toujours plus innovant et afin d’impliquer tout l'écosystème de la défense pour avoir des développements de programmes plus rapides, pour avoir moins de sophistication sur certains équipements.

La construction de chars ou de matériaux militaires est plus complexe en France qu’en Russie.

La France fait aussi face à la difficulté de la relocalisation de la fabrication de poudre. Un certain nombre d'éléments qui, au regard du conflit en Ukraine, sont redevenus essentiels et prioritaires pour consolider notre souveraineté peuvent être également portés par des projets à l’échelle de l’Europe.

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