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Déconfinement à Wuhan : les acheteurs chinois semblent avoir perdu le goût de la consommation
©HECTOR RETAMAL / AFP

Nouveau symptôme du coronavirus

Les habitants de Wuhan peuvent désormais sortir de chez eux. Pourtant la peur d’une résurgence du Coronavirus est toujours là et le comportement des consommateurs chinois ne montre aucun signe de normalité.

UE Bruxelles AFP

Jean-Paul Betbeze

Jean-Paul Betbeze est président de Betbeze Conseil SAS. Il a également  été Chef économiste et directeur des études économiques de Crédit Agricole SA jusqu'en 2012.

Il a notamment publié Crise une chance pour la France ; Crise : par ici la sortie ; 2012 : 100 jours pour défaire ou refaire la France, et en mars 2013 Si ça nous arrivait demain... (Plon). En 2016, il publie La Guerre des Mondialisations, aux éditions Economica et en 2017 "La France, ce malade imaginaire" chez le même éditeur.

Son site internet est le suivant : www.betbezeconseil.com

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Emmanuel Lincot

Emmanuel Lincot

Professeur à l'Institut Catholique de Paris, sinologue, Emmanuel Lincot est Chercheur-associé à l'Iris. Son dernier ouvrage « Le Très Grand Jeu : l’Asie centrale face à Pékin » est publié aux éditions du Cerf.

 

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Atlantico.fr : Le gouvernement chinois espère que les citoyens retourneront dans les magasins pour étancher leur soif de shopping pour booster l'économie mais cela ne se passe pas comme prévu. Contrairement au boost de consommation attendu les consommateurs dépensent moins leur argent et préfèrent épargner. Est-ce dû à la peur d’une seconde vague ? Doit-on s’attendre à un comportement similaire en Europe lors du déconfinement ? 

Emmanuel Lincot : Les gens sont commotionnés. Imaginez: vous perdez vos proches, vos parents dont le corps a été abandonné dans des housses en plastique, sur le trottoir, des jours durant, avant d'être enfin emportés par les croque-morts vers les crématoriums, débordés de cadavres. Ce n'est parfois que des semaines plus tard que l'on a remis ce qu'il restait de vos proches, sous la forme d'urnes, anonymes, et dans un silence assourdissant. Il faut lire les commentaires désespérés de l'écrivaine Fang Fang, que le journal Le Monde a rapporté pour comprendre la portée de ce traumatisme. Bref, l'ambiance n'est pas à la fête mais bien au recueillement. Et dans un pays où le moindre rassemblement religieux ou des prières rendues publiques sont susceptibles d'arrestations, il faudra d'abord compter sur ses propres ressources spirituelles et intérieures pour faire face à l'émotion qui vous submerge. C'est cela la Chine communiste du Président Xi Jinping. Ce que l'on craint par ailleurs, c'est en effet une seconde vague de pandémie. Un nouveau foyer a été détecté au Henan par exemple. Et puis, l'effondrement de l'économie américaine va faire des dégâts en Chine même. Action, réaction: chacun va épargner ses économies en attendant des jours meilleurs car la pleine croissance ne sera certainement pas au rendez-vous. En Europe, la reconstruction sera lente. Certaines régions comme la Lombardie mettront du temps à panser leurs blessures. Mais à la différence de la dictature chinoise, nous sommes des démocraties. Thomas Gomart, directeur de l'IFRI, n'y voit pas une clé de lecture pertinente. Moi, si. Et surtout, dans le contexte du déconfinement qui ne pourra pas être géré par de seules mesures technocratiques, froides et déshumanisées, comme le tracking. 

Jean-Paul Betbeze : Déconfiner peut signifier décompresser, pas surconsommer. Des inquiétudes vont demeurer, un temps, sur les produits consommés, avec sans doute moins de produits frais, de viandes fraiches, venant notamment d’animaux sauvages. Un temps d’inquiétude et de soupçon va peser. L’offre va s’adapter, avec des produits cuits, préparés, et la demande avec peut-être moins d’achats dans les marchés. On peut ajouter que la peur d’une deuxième vague va jouer, poussant à des achats de produits en conserve ou surgelés. Bien sûr, tout ceci dépendra des niveaux de vie, on peut penser ainsi que les classes moyennes seront plus longtemps réservées pour dépenser et plutôt épargnantes.

Le même processus va se retrouver en Europe avec le déconfinement : conserves, surgelés, pâtes, moins de viandes, non seulement pour des raisons de revenu en baisse, ou prévu en moindre croissance, mais aussi d’inquiétude. Le retour à la « normale » aura d’autant moins lieu que l’offre va interpréter les inquiétudes du public : plus de produits d’origine française, peu élaborés, traçables.

Le carnet de commandes des entreprises chinoises s’amenuise de jour en jour malgré la sortie de crise et un plan de relance important n’arrive pas à rattraper cela. Comment l’effondrement de l'économie mondiale affecte-t-il les entreprises du pays ? 

Emmanuel Lincot : Il est encore trop tôt pour le dire mais tous les voyants sont au rouge et ce qui affecte avant tout la Chine et son gouvernement, c'est une crise de confiance majeure. La propagande de l'Etat-Parti aura beau claironner sur un mode triomphaliste son succès dans le règlement de cette crise, nul n'est dupe. Censure de l'information, mensonge sur le nombre réel de victimes, instrumentalisation de l'OCS et de l'OACI, projets hors-sols conduits par Xi Jinping à l'étranger dans le cadre des Nouvelles Routes de la soie en injectant des centaines de milliards à perte dans l'économie de pays insolvables alors que ses concitoyens ne bénéficient d'aucun système de sécurité sociale, crainte, enfin, de la réaction des Etats-Unis dont nombre d'entreprises seront tentées de demander à la Chine des réparations...Tout cela rend l'avenir extrêmement incertain. Et de toute évidence si l'économie ne redémarre pas comme elle le devrait, l'Etat-Parti ne parviendra plus à acheter la paix sociale. Le corollaire de tout cela, c'est une  implosion ou une solution tactique de sortie de crise qui, dans les cas les plus extrêmes, et nous l'avons vu dans le cas du Japon à la veille de la seconde guerre mondiale, peut être aussi le choix de la guerre.

Jean-Paul Betbeze : Ce qui se passe en Chine, comme partout, est un double effondrement : de l’offre (arrêt des usines) et de la demande (confinements et pertes de revenus liées à des licenciements, chômages partiels ou prolongés, chute des demandes d’emploi pour les jeunes…). Le plan de relance chinois ne suffira pas à relancer l’offre et la demande en Chine, puisque la relance de l’offre dépend de bons de commandes américains ou européens, bloqués ! Le double écroulement de l’offre et de la demande se retrouve être interdépendant. C’est parce que l’économie mondiale s’effondre partout qu’elle ne peut repartir que par l’offre et par la demande, chez chacun, et en même temps. C’est bien pourquoi il faut partout soutenir les entreprises, avec des crédits et des aides publiques, et les ménages, avec notamment des mesures de soutien au chômage partiel. Partout les banques centrales sont indispensables, Fed et BCE aux États-Unis et en zone euro, pour aider les banques à financer les entreprises et les ménages et pour acheter des titres de la dette publique, en relâchant les limites. Ceci sans oublier les banques internationales, FMI, BERD, Banques de développement en Afrique ou en Asie. 

La consommation intérieure a représenté plus de 58% de la croissance du pays en 2019 et le pays comptait là-dessus pour passer d'une économie d'exportatrice à consommatrice ? Comment la crise du coronavirus a-t-elle changé les plans du gouvernement chinois ? 

Emmanuel Lincot : L'atout de la Chine est d'être - au contraire de nos économies  - autonome dans sa production manufacturière. En revanche, sa dépendance de l'extérieur en matière de high tech ou d'un point de vue de sa sécurité alimentaire la rendent extrêmement vulnérable. Et c'est là que nous devons y voir pour l'Union Européenne des opportunités à condition de forcer le gouvernement chinois à une réciprocité réelle. Si nous n'en prenons pas le chemin, c'est paradoxalement l'économie allemande et non la nôtre, beaucoup moins dépendante du marché chinois, qui en fera les frais. Il y a là encore un autre argument pour Paris dans ses négociations avec Berlin. Et c'est dans ce contexte tourmenté que nous reconnaîtrons des hommes qui n'auront pas eu froid aux yeux. Plus que jamais pensons, au poète Hölderlin: "Avec le danger croît ce qui sauve".

Jean-Paul Betbeze : La Chine épargne beaucoup, ce qui lui permet d’investir et surtout d’exporter. Et exporter, vers les États-Unis et l’Europe lui a permis de croître. Mais aujourd’hui, ses clients se rendent compte qu’ils sont trop dépendants d’elle, et elle trop dépendante d’eux. On va rechercher, ici et aux États-Unis, de rapprocher et de maîtriser des activités essentielles, autrement dit de détricoter une part des échanges mondiaux. La Chine le sait et va tenter de ralentir le processus et de régionaliser plus de ses ventes externes et d’augmenter sa demande interne, ce qui veut dire d’augmenter les salaires. Il faut bien prendre en compte les limites, difficultés et temps indispensables à ces redécoupages, plus l’argent et les emplois nécessaires. Le gouvernement chinois va devoir freiner ses « routes de la soie », par manque de ressources et du fait des crises des pays où il entendait les installer. Peut-être est-ce temporaire, mais la Chine va sans doute renforcer son pourtour. Il n’est pas sûr que les États-Unis la laisseront faire (mer de Chine) : les nouvelles discussions internationales seront plus tendues. Quant à la zone euro, il lui faudra trouver une autre démarche stratégique que son gentil « Pacte vert ».

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