De quel mal ces enfants qui tuent ou frappent leurs profs voire leurs parents sont-ils le symptôme ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Les professeurs semblent victimes d'agressions de plus en plus violentes
Les professeurs semblent victimes d'agressions de plus en plus violentes
©MARTIN BUREAU/AFP

Effrayant

Alors que plusieurs cas d’enfants ayant frappé voire tué leurs parents ont été recensés ces dernières semaines, les professeurs sont eux aussi en butte à des agressions de plus en plus violentes

Pascal Neveu

Pascal Neveu

Pascal Neveu est directeur de l'Institut Français de la Psychanalyse Active (IFPA) et secrétaire général du Conseil Supérieur de la Psychanalyse Active (CSDPA). Il est responsable national de la cellule de soutien psychologique au sein de l’Œuvre des Pupilles Orphelins des Sapeurs-Pompiers de France (ODP).

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Une professeur d'arts plastiques empoisonnée par un élève de 3e dans un collège d'Ecquevilly dans les Yvelines. Les faits se sont déroulés mardi lors du goûter de fin d'année. L'élève a reconnu avoir mis un produit détergent dans sa boisson sucrée. Comment expliquer ce geste? Les adolescents n'ont-ils plus de limite? Sont-ils de plus en plus violents ?  

Pascal Neveu : Au delà de la violence, nous constatons que les enfants et ados n’ont plus de connexion avec leur surmoi (monde du réel, inculqué par les parents mais aussi la société et les valeurs morales, éducatives). Les dernières études démontrent que des applications telles Tiktok et Snapchat libèrent des pulsions dont ils ne prennent pas conscience mais qui peuvent tuer. Ils s’enferment dans un monde qui n’est pas la réalité, et qui échappe à leurs parents qui ne surveillent rien. Ce n’est pas leur faute… ils ne prennent pas le temps face un monde qui est dans l’immédiateté et l’hyperactivité, comme Dominique Wolton l’écrivait il y a plus de 20 ans.

La jeunesse actuelle n’a aucune conscience de sa capacité criminogène.  A t’il eu conseoence qu’il aurait pu tuer son enseignante et porter durant toute sa vie ce qu’il faut nommer un meurtre ? Seules les familles « privilégiées » sont plus promptes à se raisonner. Je ne ferai jamais aucune discrimination, mais nous avons des chiffres qui démontrent l’absence des parents. Et de cadre, de repères. Mais la vie est de plus en plus en plus en difficile, même si cela n‘excuse rien !

Autre drame début décembre, Valentin, âgé de 15 ans, qui a avoué le double meurtre de ses parents et l’incendie de la maison familiale à Châteauvilain, en Isère. Il a affirmé être habité par plusieurs personnalités. Armé du fusil de chasse de son père, Valentin a tiré mortellement sur ses parents avant d’incendier leur maison. Cette tragédie s’apparente-t-elle à quelque chose qui a toujours existé ou assiste-t-on à une multiplication de troubles psychiatriques et psychotiques chez les enfants et les adolescents en France ?   

Ces crimes ont toujours existé. Je vais le développer dans une autre question. On entend de plus en plus parler, via les medias, de ces enfants qui ont commis un ou plusieurs meurtres et comment cela peut arriver d’un point de vue psychologique.

Dans son cas, les experts définiront une éventuelle psychose, car il est rare qu’à 15 ans on développe un trouble apparenté à de la schizophrénie. Cela s’exprime plutôt autour de 20-25 ans… même si on a ce cas académique (qui a d’ailleurs donné un film) de 23 personnalités recensées chez ce tueur en série.

Dans la plupart des cas, ces tueurs grandissent et deviennent des ados « normaux », ce qui peut rendre leurs crimes encore plus troublants. Cependant, certains enfants sont tellement endommagés par leur passé que leur capacité d’empathie est annihilée. Ce qui n’excuse rien. Mais il faut reconnaître également l’échec de la psychiatrie française, parent pauvre de la médecine, avec un suivi et des erreurs de diagnostics, de repérages et d’alertes.

Il n’existe pas de statistiques précises sur l’âge moyen des enfants qui ont commis un meurtre. Mais de plus en plus de passages à l’acte violents et criminels sont perpétrés par des jeunes de moins de 18 ans.

Les motifs les plus courants sont la vengeance, la colère et la peur. Au delà la psychose. Dans beaucoup de cas, les enfants qui ont tué, ont vécu des drames familiaux et des maltraitances répétées. D’autres mineurs se sont retrouvés impliqués dans des gangs ou ont été incités à commettre des actes graves à cause de mauvaises fréquentations. Et dans le pire des cas, nous nous retrouvons face à des jeunes ne ressentant rien : ni empathie, ni culpabilité. Ils ont tué pour le frisson et l’excitation. Mais aussi car leur psychisme avait réprimé leur monde émotionnel.

Je ne néglige pas les cas de psychose et de schizophrénie, ni d’organisation limite.

Mais les passages à l’acte dans ces cas sont très rares, même si d’une extrême violence. Nous avons en France environ 2% de la population psychotique, ce qui représente un certain nombre, mais parmi eux seulement 2-3 % qui passeront à l’acte agressif voire criminel. Certes quasi 3000 individus, dont un très grand nombre hospitalisés en structure fermée et sous camisole chimique.

Car des jeunes peuvent être diagnostiqués avec un trouble de la personnalité antisociale, sans avoir eu un quelconque traumatisme.

La question du discernement se pose également  juridiquement.

Certains crimes, commis par de jeunes adolescents, ont choqué les populations du monde entier. 

Amarjeet Sada, 7 ans reste, le plus jeune tueur au monde. Il a d’abord tué sa cousine âgée de 8 mois, sa soeur de 6 ans puis sa voisine de 6 mois.

Jasmine Richardson, 12 ans, a tué son petit frère de 8 ans, son père et sa mère. Elle était en couple avec un garçon âgé de 23 ans. Ses parents ne voulaient pas qu’elle fréquente ce garçon, bien plus âgé qu’elle, ils ont décidé d’éliminer la famille. Elle fut condamnée à 10 ans de prison et d’hôpital psychiatrique et a été libérée en 2016.

Question : que peut ressentir un enfant qui a tué quelqu’un ?

Cela dépend de nombreux paramètres, notamment si le crime a été prémédité ou non.

Durant « l’avant », il y a une phase de préparation pendant laquelle l’enfant ou l’adolescent part à la recherche d’informations : comment piéger sa victime, de quelle manière la tuer, selon les moyens qu’il a à sa disposition, comment nettoyer la scène de crime, que faire du corps… Tout se trouve sur internet et le darkweb !

Lors du « pendant », durant lequel de nombreux ressentis peuvent surgir. S’il y a préméditation, le tueur peut chercher à éprouver des sensations bien spécifiques, comme ce qu’il a ressenti durant la visualisation de ses fantasmes : domination, plaisir, frénésie… car la violence peut être ressentie comme l’expression d’une rage trop longtemps réprimée et vécue sur le coup comme une délivrance.

Puis « l’après », l’enfant ou l’ado peut être traversé par de nombreux sentiments et des émotions diverses. Cela dépendra de sa personnalité, de son éducation et de son vécu. Il peut finalement y avoir des remords, de la culpabilité et de la honte face au crime commis. Mais aussi de la colère envers la personne qui a donné l’envie de passer à l’acte. Si c’est une victime qui s’en prend à son bourreau, peut-être peut-elle avoir l’impression qu’elle avait le droit de le tuer et qu’ainsi, elle rend service au reste de l’humanité.

Mais il se peut aussi que le jeune criminel n’éprouve rien de négatif, aucun remord. Juste un bel accomplissement, de la satisfaction et de la sérénité.

En France, toujours en fonction de la gravité des actes, les mineurs purgent leur peine dans différents établissements : maison d’arrêt en quartier pour mineurs, centres éducatifs fermés ou Etablissement pénitentiaire pour mineurs.

En Seine Saint-Denis début décembre, c'est un jeune homme de 27 ans qui a tué sa mère d'une trentaine de coups de couteau. Y a-t-il une augmentation des passages à l’acte violent de la part des enfants, des adolescents au sein de certaines cellules familiales ? Sommes-nous tous concernés ? 

Non. Il existe d’ailleurs une thèse excellente sur les enfants tueurs au 19ème siècle au sein de la structure intrafamiliale.

Pour rappel, le 12 février 1992, deux garçons de dix ans enlevaient, torturaient puis assassinaient James Patrick Bulger, âgé de deux ans, à Bootle, près de Liverpool. Ces deux garçons, Robert Thompson et Jon Venables, rappelaient à l'opinion publique mondiale que les enfants tuent.

Mais déjà, entre 1825 et 1914, vingt-six cas de meurtres et tentatives de meurtre commis par des individus de quatorze ans et moins sont recensés dans les archives de la Gazette des Tribunaux.

Les traumatismes de l’enfance peuvent amener certains jeunes à commettre l’irréparable. Soit parce qu’ils ont décidé de se venger, ou parce qu’ils ne veulent plus vivre dans la peur constante. D’autres développent des troubles de la personnalité parce qu’ils ont vécu de graves bouleversements, mais cela n’est pas toujours le cas.

Alors même si beaucoup de gens supposent encore que les enfants qui naissent dans une famille violente sont destinés à devenir eux-mêmes violents, il convient de relativiser. 

Sommes-nous tous concernés ? 

Aucune stigmatisation. Toutes les catégories socio professionnelles sont concernées.

Nous sommes dans une génération qui existait, faisait n’importe quoi pour certains et certaines ... sauf que cette nouvelle génération est d’une violence compliquée... les réseaux sociaux,  l’absence de dialogue en famille, très souvent séparée (et ce n’est pas un reproche) .

Nous avons réellement besoin à mon sens de redonner du sens au sens de la vie. Mais n’oublions pas non plus ce qui est du registre de la psychopathologie. Il y a le normal et le pathologique… et la folie. Mais nous sommes sur une augmentation du nombre de passages à l’acte. Nous sommes très inquiets. Nos ados ont de moins en moins de limites et sont prêts à tout, pout des raisons religieuses, des questions identitaires, sexuelles…  Nous n’avons pas les chiffres. Mais Les états de faits sont consternants. La violence ne fait qu’augmenter. Nous sommes concernés en tant qu’adultes mais aussi nos enfants et ados

En quoi ces enfants qui tuent ou frappent leurs parents sont-ils le symptôme d’un nouveau mal français ?

Il y a eu la COVID et le confinement qui ont accru les troubles psychologiques, le non suivi psy. Mais il y a aussi de plus en plus un manque de repères et absence d’éducation parentale. Nous ne cessons d’alerter depuis 20 ans ! L’éducation est à la maison, l’enseignement à l’école !

Repensez à cet élève qui a poignardé son enseignante.

Mais cela amène aussi à interroger la place de la violence dans la socialisation d’un jeune meurtrier. Deux principaux espaces de violence doivent être distingués : la cellule familiale et le groupe infantile. Selon les époques et les situations, la plus ou moins grande autonomie de l'enfant vis-à-vis de sa cellule familiale et du groupe adulte en général va accentuer l'importance de la première ou de la seconde sphère de violence. En général, les deux cohabitent dans une dynamique de violence d'abord exercée au sein du foyer puis transposée dans les relations juvéniles.

Il s'agit toujours plus ou moins d'un enfant qui a subi ou observé des sévices et est confronté à la possibilité d'une enfance joyeuse qu'il ne comprend pas, qu’il ne vit pas et qui met en péril l'idée qu'il se fait de lui-même. La fragilité de l'enfant est en général renforcée par l'instabilité de son lieu de résidence et des figures d'autorité dans son parcours. Cette instabilité a souvent été pointée comme un des facteurs déterminants du crime (il faut lire « Les anormaux » de Michel Foucault). Nous voyons qu'en plus d'être violent, l'entourage de l'enfant est souvent incertain, mouvant (divorce), et donc doublement préjudiciable à son développement. Sans compter les réseau sociaux, le harcèlement scolaire, l’isolement... alors que l’enfant a besoin d’un socle solide identitaire.

Je voudrais aussi aborder un autre thème. Il existe, sur un tout autre plan, les enfants qui tuent durant la guerre. Ce fut le cas au Rwanda. Spectateurs de viols et de crimes brutaux sur les membres de leur famille, puis de personnes environnantes, traumatisés, il étaient emmenés contre leur gré pour combattre. Durant la guerre au Rwanda, des jugements ont été prononcés contre des mineurs ayant entre 14 et 18 ans, sans pour autant qu’ils soient jugés comme des adultes. La contrainte et le contexte ont été retenus. Pour les plus jeunes, ces derniers ne pouvaient pas être poursuivis pénalement Des enfants mineurs qui entre 13 et 18 ans, frappent, violent… Les génocides, mais aussi la religion, le retournement du cerveau… entraînent cette folie qui transgresse tous les codes et toutes les normes d’une société normalement structurée avec des interdits.

Est-ce un problème d’éducation global ? Est-ce lié aux renoncements dans le cadre de l’éducation et aux difficultés liées à la frustration ?

Il y a évidemment un renoncement à l’éducation parentale et un report vers l’école, sauf dans les Classes Supérieures qui différencient enseignement et éducation.

Pour autant il ne faut pas stigmatiser toutes ces familles en pleines difficultés, comme on le disait affreusement à une époque : « élever son enfant ». Nous n’élevons pas ! On le fait grandir ! Et j’en reviens à cette souffrance, ces frustrations, ces meurtrissures qui peuvent faire qu’un enfant ou un ado peut passer à l’acte car il n’en pourra plus.

Mais à nouveau je ne minimise aucunement des causes psychopathologiques non diagnostiquées, non diffusées, hélas.

Les parents sont de plus en plus démunis, également désemparés et meurtris dans leurs difficultés de couple, de famille, financières, médicales et ne parviennent que de moins en moins à gérer la systémique familiale et l’équilibre de leur enfant qui peut « vriller » sur un plan psychologique et commettre un acte irrécupérable… qu’il va payer et n’oubliera jamais de sa vie, même si nous avons des jeunes qui par la suite sont parvenus à devenir de bons parents, de bons employés… Je peux citer nombre d’exemples.

Et je vais continuer à me faire des ennemis au sein des enseignants qui ne font rien. J’ai personnellement sauvé des gamins il y a tant d’années car j’avais repéré leurs souffrances. Le nouveau Ministre prend à bras le corps beaucoup de sujets, mais comme le disait Allègre… « Il faut dégraisser le mammouth ! ». Bonne chance !Ils ont un devoir de repérage et de signalement de souffrances, de frustrations, d’isolement, d’actes agressifs. C’est un inscrit dans la loi et leurs devoirs.

Mais la question de la frustration est très intéressante. Déjà nous adultes, même si nous en avons fait l’apprentissage et l’avons « domptée »… Imaginez l’enfant que nous avons tous été, dans cette opposition identitaire du non, et pire…, adolescents avec les tourments pulsionnels et sexuels, les envies, les interdits, les dénis… Il s’agit pour eux, à ce moment là,  de se sentir vivre comme des volcans éruptifs, hélas capables du pire et du plus tragique. C’est un drame absolu pour les familles et la société… Mais qui est une réalité ancestrale. Comme toute radicalisation que la famille ne voit pas car exténués par leurs soucis, à n’importe quel niveau de classe sociale.

Nous ne voyons plus, nous n’écoutons plus… nous sommes sr nos smartphones.. sans nous parler.

On parle d’enfants tueurs… mais n’oublions pas les infanticides… et autres.

Pour finir: réflexion à méditer de mon ami Pierre Perret : " Si ce Dieu juste et bon N'envoie ses oraisons Qu'à des tueurs, Doit-on penser qu'alors L'oraison du plus fort Est toujours la meilleure ?"

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