De l’Ukraine à Gaza, les nouvelles méthodes de guerre électronique perturbent l’aviation civile jusqu’à très loin des champs de bataille<!-- --> | Atlantico.fr
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"Aujourd’hui, l'aviation est en train de se reconvertir à 100% dans l'utilisation du GPS, non seulement pour la navigation en altitude mais aussi atterrissages de précision", selon Michel Polacco.
"Aujourd’hui, l'aviation est en train de se reconvertir à 100% dans l'utilisation du GPS, non seulement pour la navigation en altitude mais aussi atterrissages de précision", selon Michel Polacco.
©SAUL LOEB / AFP

Brouillage

La Federal Aviation Administration a mis en garde les pilotes contre le brouillage GPS au Moyen-Orient.

Michel Polacco

Michel Polacco

Michel Polacco est journaliste et aviateur, spécialiste de l'aéronautique et de l'espace, et membre titulaire de l'Académie de l'Air et de l'Espace.

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Atlantico : La Federal Aviation Administration a mis en garde les pilotes contre le brouillage GPS au Moyen-Orient. On l'a vu aussi en Ukraine depuis le début de la guerre avec la Russie. Les interférences radio sont de plus en plus utilisées. Elles peuvent impliquer le brouillage des signaux satellites en les noyant dans le bruit ou en les usurpant. Qu'est-ce que cela signifie concrètement ?  

Michel Polacco : Depuis un siècle, l’aviation utilise des moyens radio avec des balises au sol pour aider les avions à naviguer et faire des atterrissages de précision. Le risque d’interférence existe. Il est arrivé que des gens, sur la même fréquence radio, parlaient à des avions et se faisaient passer pour des contrôleurs. On a eu des interférences qui étaient parfois liées à des systèmes électriques, électroniques, industriels ou des systèmes de passage qui étaient involontaires. Il y a eu aussi des gens qui avaient de mauvaises intentions et qui brouillaient les signaux.

Aujourd’hui, l'aviation est en train de se reconvertir à 100% dans l'utilisation du GPS, non seulement pour la navigation en altitude mais aussi atterrissages de précision. Or, le GPS, c'est quelque chose d'assez facile à brouiller. Ce sont des ondes qui proviennent de satellites qui sont très éloignés. Le signal qui arrive sur Terre est très faible. Il suffit de mettre des émetteurs très puissants dans des fréquences à peu près proches dans certaines zones pour arriver à provoquer soit du brouillage, soit de « la déception ». On peut vous faire croire qu'un signal que vous recevez est un signal en direct alors que c'est un signal qui a été enregistré un certain temps avant. On peut aussi vous faire croire que vous êtes à telle position alors que vous êtes à un autre endroit où vous avez un signal en direct.  Ce sont cependant des risques connus depuis longtemps. Il y a des parades. 

Les interférences radio ne se sont, jusqu'à présent, pas révélées dangereuses. Mais les systèmes des avions se sont révélés largement incapables de détecter l'usurpation d'identité GPS et de la corriger. Faut-il s'en inquiéter ? Des accidents sont-ils à craindre ?  

Il est effectivement possible de tromper, de leurrer et de décevoir. Mais l’aviation est quand même suffisamment organisée pour pouvoir se prémunir contre ce genre de situation dans la plupart des cas.

Dans les zones de guerre, il est évident que le brouillage fait partie du quotidien. En Ukraine, au Proche-Orient avec le Hamas ; c’est une véritable guerre du brouillage et notamment des signaux GPS. Des drones, des missiles, des munitions guidées par GPS sont utilisées soit pour empêcher les adversaires d’utiliser des armes, soit pour empêcher les adversaires de détecter leurs propres armes. Ce sont des choses qui, dans les zones de combat, sont connues. 

Survoler l'Ukraine ou survoler le Proche-Orient dans la zone Israël ou Gaza, n’est pas sans risques. Tout comme le survol du Yémen, de l’Iran, de l’Irak ou de la Syrie. Les organismes internationaux disent qu'il faut se méfier aussi dans les régions d’Azerbaïdjan, de Libye, de Chypre, en Turquie avec la mer Noire. Les zones qui sont considérées comme des zones dangereuses sont quand même assez nombreuses.

Dans les autres zones (celles où il n’y a pas la guerre), il peut y avoir des gens mal intentionnés ou des terroristes qui, eux aussi, vont essayer de tenter de mener des opérations de brouillages ou pire. Pour être très efficace, il faut quand même des moyens relativement importants.  

Le brouillage est courant dans les zones de conflit. L'usurpation d'identité, jusqu'à récemment, était rare. Est-ce à la portée de tout le monde ?

Faire du brouillage est à la portée de tout le monde. De l'usurpation, c'est beaucoup plus difficile. La plupart des signaux sont recoupés. Les satellites américains ont des codages. Donc, il faut être assez futé et être capable de développer des outils complexes. Il en va de même du systeme européen Galileo. Les Etats et les groupes terroristes ont des moyens importants pour le faire. Mais certains individus peuvent aussi gêner en utilisant juste une petite radio portable. 

En ce moment, on est en train de faire un pas énorme du tout balise au sol vers le tout GPS. On devient très dépendant des GPS. L'électronique hertzienne est devenue à la fois une menace et une faiblesse pour tous les gens qui naviguent. C’est bien pour les voitures ou les bateaux. Mais pour les appareils qui transportent des passagers, en particulier les avions ; les conséquences sont évidemment beaucoup plus grandes. Il n’y a pas beaucoup de parades. Les équipages doivent être vigilants.  

Tout miser sur le GPS, c’est un risque ?

En France, cette année, on va supprimer à peu près un tiers des balises au sol qui existaient depuis 10 ans. L'année dernière, on en a supprimé un tiers. L'année prochaine, il n'en restera qu'une quinzaine en France seulement. C’est très peu. Actuellement, on se met en situation de faiblesse. Nous sommes partis de l'idée qu'on touchait les dividendes de la paix depuis 30 ou 40 ans et que, par conséquent, on ne prépare plus la guerre. Il faut se prémunir contre le pire. Or, on donne des facilités de plus en plus grandes à des gens mal intentionnés, que ce soit dans les zones de conflit, les théâtres de guerre ou hors zone de conflit. C'est indiscutable.

Le danger existe, c’est incontestable. Il est connu depuis l’opération contre Bachar El Assad en Syrie lorsqu’il a utilisé des armes chimiques. Lorsque nous avons envoyé nos avions de combat dans cette partie de la Méditerranée, on s’est aperçu que les Russes, qui soutenaient le Président Syrien, avaient fortement brouillé la plupart des signaux GPS quand ils n’avaient pas carrément crée des dispositifs de déception, soit des faux signaux pour donner des fausses positions. On le sait. 

Nous sommes rentrés dans une période de méfiance durable. Pour piloter un aéronef dans les années à venir, il faudra non seulement avoir le savoir-faire d'un pilote, mais il faudra aussi avoir le savoir-faire d'un combattant qui est capable de se méfier des agressions extérieures, qu'elles soient militaires ou civiles. 

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