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Crise des migrants : la défense des être humains prônée par le pape François face aux mafias
©MARCELLO PATERNOSTRO / AFP

Bonnes feuilles

Jean-Baptiste Noé publie "François le diplomate" aux éditions Salvator. Le pape François s'active sur la scène mondiale depuis son élection en 2013. Dépourvu d'expérience diplomatique, à la différence de ses prédécesseurs Pie XII et Paul VI, François s'est imposé avec charisme et intelligence comme un interlocuteur privilégié des leaders de ce monde. Extrait 2/2.

Jean-Baptiste  Noé

Jean-Baptiste Noé

Jean-Baptiste Noé est docteur en histoire, rédacteur en chef de la revue de géopolitique Conflits. 

Il est auteur notamment de : La Révolte fiscale. L'impôt : histoire, théorie et avatars (Calmann-Lévy, 2019) et Géopolitique du Vatican. La puissance de l'influence (Puf, 2015)

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La défense des migrants est le thème récurrent du pontificat de François. Si ce thème était traité par ses prédécesseurs, notamment lors de la Journée internationale des migrants, c’était toujours de façon périphérique. François en a fait l’élément central de son pontificat, l’abordant dans de nombreuses interventions publiques, visitant des migrants lors de chacun de ses voyages, effectuant des voyages spécifiques pour les visiter. Cela a commencé dès le début de son pontificat avec la visite à Lampedusa, en Sicile, le 8 juillet 2013, première visite hors de la péninsule. Il y a fustigé « la mondialisation de l’indifférence » face aux nombreux morts noyés en tentant de traverser la Méditerranée. Sa visite de l’île grecque de Lesbos le 16 avril 2016 est un autre voyage majeur de son pontificat. Il a visité les camps de migrants et il est revenu avec douze d’entre eux dans son avion, de confession musulmane, pour leur permettre de vivre en Italie. Lesbos est un voyage à la fois œcuménique et géopolitique, où a été effectué une rencontre avec les patriarches de Constantinople et d’Athènes et où fut signée une déclaration conjointe. La salle de presse du Saint-Siège avait prévenu avant le départ du pape : ce voyage est œcuménique et humanitaire. L’œcuménisme est le fil rouge de la diplomatie de François, lui qui aime à rappeler ce tragique œcuménisme du sang que vivent les chrétiens d’Orient. C’est la deuxième fois qu’un pape se rendait en Grèce, la première étant Jean-Paul II à Athènes, en 2001. Quand on connaît la prévention et l’inimitié que les orthodoxes grecs ont pour les catholiques, cette rencontre n’est nullement anodine. N’est pas anodin non plus le fait d’avoir fait se rencontrer le patriarche de Constantinople et celui d’Athènes alors que, là aussi, les antipathies ont pu être très fortes dans le passé. Cette rencontre cimente l’œcuménisme au sens propre, c’est-à-dire la réuni fi cation de l’œkoumène, l’unité de tous les chrétiens. C’est là un geste religieux et également politique. Il s’agit de dire que seule l’unité des chrétiens permettra de résoudre les défis posés par le monde multipolaire. 

L’accueil des douze migrants fut un autre geste politique de grande ampleur, même si l’irénisme n’est pas toujours absent chez les communautés ecclésiales, voire un aveuglement volontaire face aux réalités de la crise migratoire. Lors de la conférence de presse donnée dans l’avion du retour, le pape a évoqué les trafics humains et les ventes d’armes qui alimentent ces guerres. La déclaration rappelle la nécessité de lutter contre les « causes sous-jacentes » de ces déplacements forcés de population. Il ne s’agit donc pas de traiter uniquement les effets (par exemple par l’accueil des migrants), mais surtout d’aller résoudre les causes de la déstabilisation du Moyen-Orient. Le passage suivant est probablement un des plus importants de la déclaration :

Nous appelons tous les dirigeants politiques à utiliser tous les moyens afin  d’assurer que les individus et les communautés, y compris les chrétiens, restent dans leurs pays et jouissent du droit fondamental à vivre en paix et en sécurité. Un large consensus international et un programme d’assistance sont d’une nécessité urgente pour soutenir le droit, pour défendre les droits humains fondamentaux dans cette situation insoutenable, pour protéger les minorités, pour combattre la traite et le trafic humains, pour éliminer les routes qui ne sont pas sûres, comme celles à travers la mer Égée et toute la Méditerranée, et pour développer des procédures de réinstallation sûre.

Usage de la force militaire et éradication des mafias

Appel d’une part aux dirigeants politiques à « utiliser tous les moyens » pour résoudre les causes de la crise, c’est-à-dire moyens diplomatiques et humanitaires, mais aussi moyens militaires. Quand on parle de « tous les moyens », c’est que l’on rend possible le moyen militaire. La déclaration rappelle le rôle joué par les mafias dans ce qui est une nouvelle forme de traite humaine. La mafia albanaise, qui a infiltré la Libye et qui est en train d’infiltrer les côtes françaises de la Manche, joue un rôle de premier ordre dans ces trafics, avec les mafias nigérianes et italiennes. Le trafic de migrants leur rapporte plus d’argent que le trafic de drogue. Autre élément de cette déclaration, le droit pour les migrants de rester chez eux, et de pouvoir y revenir : Que les chrétiens « restent dans leurs pays et jouissent du droit fondamental à vivre en paix et en sécurité » et « développer des procédures de réinstallation sûre ». Dans les propos du pape, présents dans cette déclaration et réaffirmés dans la conférence de presse, l’accueil est provisoire. Il ne s’agit donc pas d’effectuer un vaste transfert de population du Moyen-Orient vers l’Europe, mais d’accueillir provisoirement ceux qui fuient la mort, de résoudre les causes de leur fuite, et de leur permettre de revenir. La nécessité du retour des migrants est clairement établie dans la déclaration : Il faut œuvrer « pour le retour honorable de ceux qui ont été contraints à abandonner leurs maisons ».

Reste la question de l’accueil unique de familles musulmanes, qui a été diversement appréciée en Europe. Est-ce un geste démagogique, qui oublie les chrétiens persécutés et qui défend les sociétés multiculturelles ? Ou bien est-ce un geste prophétique, un de ces coups de boutoir qui peuvent faire tomber le rideau de fer oriental ? On constate que le geste du pape a été mesuré : les personnes accueillies ont des papiers en règle et ce sont des familles, non de faux réfugiés ni des travailleurs clandestins. L’accueil est également proportionné aux capacités d’accueil et d’intégration. Enfin, c’est un geste qui ne peut manquer d’ébranler le monde musulman. La notion de l’oumma, la communauté des croyants, est une notion essentielle du monde musulman. Or, que constate-t-on ? Des musulmans djihadistes bombardent et tuent des populations musulmanes, qui sont rejetées par des pays musulmans pourtant très riches (Arabie Saoudite, Qatar). Sur le terrain, l’oumma est donc inexistante. L’allié se révèle être un ennemi, et l’ennemi, un allié. Il y a là quelque chose de troublant. Face à la violence de l’islam djihadiste, la réponse du pape est d’y opposer la force du droit et de la charité, c’est-à-dire la force de la lucidité, quand certains chrétiens sont parfois tentés par l’irénisme, qui est une autre forme de violence. Il rompt ainsi la montée aux extrêmes, que René Girard a très bien théorisée.

Au cours de son pontificat, François a quelque peu modifié son message sur les migrants, passant de l’accueil des réfugiés et de la nécessité du retour, à la construction d’une société multiculturelle fondée sur l’accueil inconditionnel des étrangers. Le discours qu’il a tenu au Maroc, lors de sa visite d’un camp de migrants à Rabat, s’écarte de la déclaration commune de Lesbos. Le pape a rappelé sa feuille de route migratoire, contenue dans les quatre verbes : accueillir, protéger, promouvoir et intégrer. Accueillir les migrants qui souhaitent entrer dans un pays, protéger les routes migratoires pour limiter les drames humains, promouvoir l’accueil des migrants dans les pays où ils se rendent, intégrer en favorisant la construction de société interculturelle. La question du retour n’est plus évoquée.

François a rappelé que les quatre verbes « accueillir, protéger, promouvoir et intégrer » doivent être un cadre de référence pour tous. […] Développant le verbe accueillir, le pape a rappelé que l’établissement de canaux migratoires réguliers, avec des voies sûres et légales, « est nécessaire pour ne pas accorder de nouveaux espaces aux marchands de chair humaine qui spéculent sur les rêves et sur les besoins des migrants. […] Les formes d’expulsion collective, qui ne permettent pas une gestion correcte des cas particuliers, ne doivent pas être acceptées. En revanche les parcours de régularisation extraordinaires, surtout dans le cas de familles et de mineurs, doivent être encouragés et simplifiés. Le deuxième verbe, protéger signifie assurer la défense « des droits et de la dignité des migrants ainsi que des réfugiés, indépendamment de leur statut migratoire. […] Promouvoir signifie « assurer à tous, migrants et autochtones, la possibilité de trouver un milieu sûr où se réaliser intégralement. Cette promotion commence avec la reconnaissance que personne n’est un déchet humain, mais que chacun est porteur d’une richesse personnelle, culturelle et professionnelle qui peut apporter beaucoup de valeur là où il se trouve ». […] Enfin, le quatrième et dernier verbe, intégrer, permet de « s’engager dans un processus qui valorise à la fois le patrimoine culturel de la communauté qui accueille et celui des migrants, construisant ainsi une société interculturelle et ouverte », sans « se laisser conditionner par les peurs et par l’ignorance ».

Pour François, la question migratoire n’est pas seulement une question politique, c’est aussi et surtout une question théologique. Pour lui, le migrant est l’image du Christ sur la terre. L’accueillir, c’est accueillir Jésus-Christ. Il considère aussi que chaque homme est un migrant.

Extrait du livre de Jean-Baptiste Noé, "François le diplomate : la diplomatie de la miséricordre", publié aux éditions Salvator

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