CRAB, la bactérie qui vient de remonter en tête des préoccupations de l'OMS après avoir été longtemps considérée comme inoffensive<!-- --> | Atlantico.fr
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L'OMS alerte sur une nouvelle bactérie.
L'OMS alerte sur une nouvelle bactérie.
©FABRICE COFFRINI AFP

Menace de santé publique

Communément appelée CRAB, la bactérie Acinetobacter baumannii largement considérée comme inoffensive est montée en tête de la préoccupation de l'OMS en matière de danger à la santé globale. Elle est responsable de sepsis, infections respiratoires et urinaires, toutes associées à une mortalité brute qui peut aller jusqu’à 65%.

Victor Zosim

Victor Zosim

Victor Zosim est interne en Biologie Médicale au CHU Amiens-Picardie. Il s'intéresse aux mécanismes d'efflux chez Acinetobacter baumannii.

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Atlantico : Communément appelée CRAB, la bactérie Acinetobacter baumannii largement considérée comme inoffensive est montée en tête de la préoccupation de l'OMS en matière de danger à la santé globale. Pourquoi ? A quel point est-elle dangereuse ? 

Victor Zosim : Tout d’abord distinguons Acinetobacter baumannii et les souches CRAB, puisque ce n’est pas exactement la même chose. 

A. baumannii est une espèce de bactéries, capables de causer un certain nombre d’infections chez l’humain, dont la majorité survient dans les hôpitaux. Il s’agit principalement de sepsis, infections respiratoires et urinaires, toutes associées à une mortalité brute qui peut aller jusqu’à 65%.

La raison de son apparition est bien complexe et loin d’être entièrement comprise, mais le facteur déclencheur semble être la création de la niche écologique, c’est-à-dire de l’environnement où cette bactérie peut exister et se multiplier. Cet environnement est la somme de l’hôpital et du patient qui reste longtemps dans cet hôpital, où il reçoit beaucoup d’antibiotiques et à qui on pose du matériel médical : sondes, cathéters, matériel d’intubation, etc. 

Les épidémies s’intensifient à partir des années ‘70 et le mythe de la bactérie inoffensive est vite confronté aux réalités du terrain. Le clou est définitivement enfoncé avec l’apparition des souches CRAB. Ce mot est un acronyme anglais et veut dire « A. baumannii résistant aux carbapénèmes ». Les carbapénèmes sont des antibiotiques très précieux et une des dernières lignes de défense. 

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Ces souches sont tellement répandues dans le monde, qu’elles sont devenues majoritaires à l’échelle mondiale : l’Asie, les pays du Golfe, l’Europe de l’Est, le pourtour méditerranéen y compris nos voisins l’Italie et l’Espagne, l’Afrique du Nord, tout le continent d’Amérique du Sud, le Mexique et même les Etats-Unis commencent à y succomber. Bref, la Terre entière est touchée. 

Selon les dernières estimations, il y a un million de décès par an à l’échelle globale dus aux infections à bactéries multi-résistantes. Le CRAB est sur la 4e place en termes de mortalité. Et comme il n’y a peu (voire pas) d’antibiotiques pour soigner ces patients, en 2017 l’OMS la place en tête de la liste des agents pathogènes prioritaires pour lesquels il faut trouver urgemment des thérapeutiques nouvelles. Ces nouvelles molécules apparaissent tout timidement, mais la mauvaise nouvelle est que les résistances suivent très rapidement, d’où le principal danger de ces souches.

Pour ne pas alarmer et causer la panique totale chez nos lecteurs, précisons quand même qu’en France nous sommes assez épargnés par cette problématique. Ici, les CRAB représentent moins de 2% de toutes les souches invasives et les chiffres sont stables. Cela ne veut aucunement dire que nous sommes particulièrement spéciaux et immuns à ce danger. Il faut continuer d’être vigilants.

Qu’est-ce qui explique que le milieu hospitalier soit quasiment le seul lieu de sa propagation ?

Plusieurs raisons sont en cause. J’ai déjà mentionné le rôle qu’ont eu les hôpitaux eux-mêmes en créant le milieu où cette bactérie peut se répandre facilement. Elle colonise très facilement les matériaux plastiques dans les hôpitaux, presque toutes les surfaces, le réseau de canalisation, quasi tout le matériel médical. 

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Et au-delà de tout, dans les hôpitaux nous disposons des carbapénèmes, qui ne sont administrés nulle part ailleurs. Une pression de sélection se crée dans cet environnement, où seuls les survivants les plus adaptés restent. C’est du darwinisme à l’échelle de l’hôpital, d’où l’importance de l’utilisation correcte et parcimonieuse de ces traitements, dont on a malheureusement usé et abusé.

Il s’agit en quelque sorte d’un « animal d’hôpital », un rejeton non voulu de notre activité de soins. Nous prenons mieux en charge un grand nombre de pathologies et de ce fait nous avons créé le patient à risque de ces infections. C’est une conséquence non voulue, mais bien réelle de nos soins, que nous essayons de combattre du mieux que nous le pouvons.

Quelles sont les origines de la découverte de cette bactérie ? Comment s’est-elle répandue ? 

Son histoire est particulièrement sinueuse, car depuis son isolement à partir du sol en 1911 par Beijerinck, un microbiologiste néerlandais et jusqu’à l’apparition d’outils suffisamment discriminants en microbiologie pour son identification correcte, il s’est écoulé plus d’un demi-siècle. 

C’est aussi un facteur expliquant la lenteur avec laquelle la communauté médicale a pu identifier son potentiel pathogène. C’est facile à comprendre : si vous ne la voyez pas, vous avez du mal à vous apercevoir qu’elle existe et encore moins qu’elle pose un danger. 

Le nom d’espèce d’ailleurs, « baumannii », est donné en honneur de Paul Baumann qui a défini correctement le genre Acinetobacter en 1968. A cette époque on ne savait toujours pas faire la distinction entre les espèces, or des Acinetobacter, il y en a une myriade. Seulement A. baumannii et rarement quelques autres espèces sont réellement impliquées en pathologie humaine. Les autres espèces sont des bactéries que l’on retrouve dans différentes niches de l’environnement et ne posent pas à ce jour de danger réel.  

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Nous savons que seulement quelques clones appelés « globaux » se sont propagés, mais pourquoi ils ont émergé et pourquoi ils sont devenus dominants sont des questions d’actualité. Il paraît qu’il y a eu un « goulot d’étranglement » assez récemment dans l’évolution de l’espèce, probablement en lien avec l’introduction des antibiotiques conduisant à une baisse importante de la diversité des souches. 

Ces souches ont accumulé des mécanismes de résistance selon un phénomène appelé « capitalisme génétique » : les riches s’enrichissent, les bactéries résistantes deviennent plus résistantes. 

Comment expliquer nos difficultés à lutter contre cette bactérie ?

Je l’appelle la « résistance incarnée » et je rigole en disant que ce sont les fameux 0,01% des bactéries non éliminées par les désinfectants. Elle a une capacité naturelle de résister à toutes sortes d’agressions physiques et chimiques. Elle peut persister dans le milieu hospitalier pendant des semaines – une bouffée épidémique une fois contrôlée, peut reprendre plus tard parce que la bactérie réémerge d’une source précédemment non-contrôlée.  

Les soignants la transmettent aussi, par les mains essentiellement, mais aussi par contact avec tout type de matériel. En France, les patients qui ont un CRAB sont isolés et cela permet de casser la chaine de transmission, mais si par malheur vous l’avez fait trop tard cela peut aller jusqu’à la fermeture du service. Vous imaginez les répercussions humaines et matérielles que cela puisse engendrer.

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Sur quoi se concentre la recherche en la matière ?

Disons qu’en ce qui concerne la pratique médicale, nous sommes surtout intéressés par la résistance, les traitements pouvant la dépasser et l’épidémiologie. 

Tout cela a comme but de pouvoir mieux prendre en charge les patients et comprendre comment nous pouvons faire barrière à sa dissémination et surtout comment arriver à le faire reculer dans les pays submergés par les CRAB. Il faut admettre que nos efforts sont en grande partie rapidement anéantis par la bactérie. Le dernier traitement innovant, le céfidérocol, ne semble pas être aussi efficace que l’on l’espérait, mais il est prématuré de conclure définitivement sur ce sujet. Un autre traitement qui paraîtra dans les années à venir c’est sulbactam/durlobactam. Encore une fois, des résistances existent déjà avant la mise sur le marché de l’antibiotique. 

La leçon à retenir est que l’on ne court pas plus vite que l’évolution. Une génération humaine change tous les 30 ans – une génération bactérienne toutes les 30 minutes. Leur capacité à innover des défenses est inscrite dans leurs génomes depuis des centaines de millions d’années. Nous devons générer des nouveaux traitements, mais si nous échouons à les préserver et endiguer la dissémination des souches résistantes nous perdrons la course. 

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