Covid-19 : affinement bienvenu de la stratégie gouvernementale, mêmes défauts opérationnels majeurs <!-- --> | Atlantico.fr
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Olivier Véran ministre de la santé
Olivier Véran ministre de la santé
©GEOFFROY VAN DER HASSELT / AFP

Lutte contre le coronavirus

Le ministre de la Santé, Olivier Véran, a repris ce jeudi ses points hebdomadaires sur l'épidémie de coronavirus. Au regard des mesures annoncées ce jeudi, quel bilan peut être tiré de la stratégie du gouvernement ?

Guy-André Pelouze

Guy-André Pelouze

Guy-André Pelouze est chirurgien à Perpignan.

Passionné par les avancées extraordinaires de sa spécialité depuis un demi siècle, il est resté très attentif aux conditions d'exercice et à l'évolution du système qui conditionnent la qualité des soins.

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Charles Reviens

Charles Reviens

Charles Reviens est ancien haut fonctionnaire, spécialiste de la comparaison internationale des politiques publiques.

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Atlantico.fr : La conférence du ministre de la Santé a confirmé un état des lieux exposé dans les médias depuis plusieurs jours. Mais en dehors des taux d'incidence, aucun chiffre concret n'a été donné sur la durée estimée des mesures en vigueur et à venir dans les territoires. Cela donne l'impression que le gouvernement cafouille toujours?

Charles Reviens : Rappelons d’abord l’équation à laquelle sont confrontés tous les pouvoirs publics depuis le début de la pandémie. Il faut maîtriser le risque sanitaire en matière de santé publique tout en assurant le fonctionnement le plus normal possible de la société et de l’économie qui a déjà subi d’immenses dégâts. Cela est quelque peu résumé par l’objectif de « vivre avec le virus » évoqué par Emmanuel Macron et le gouvernement depuis plusieurs jours.

L’enjeu de la communication étant par ailleurs devenu dominant dans l’action publique en France, il est utile de rappeler le feuilleton des dix derniers jours : le 9 septembre, le conseil scientifique évoque des « décisions difficiles » à venir, ce qui n’est pas vraiment le cas lors de la prise de parole du Premier ministre Jean Castex le 11 septembre : un peu « tout çà pour cà » avec la principale annonce de la réduction de la durée de quarantaine de 14 à 7 jours. Les médias ont ensuite été remplis de mentions de la double irritation d’Emmanuel Macron sur la juste articulation entre recommandation des scientifiques et décision politique d’une part, sur certains dysfonctionnement opérationnels liés en particulier à la durée importante de restitution des tests de dépistage d’autre part.

La dernière évolution concerne la conférence de presse d’hier du ministre de la santé dont tout le début a consisté à relater des données sur la résurgence de la pandémie : hausse du taux d’incidence, (83 cas pour 100 000 habitants contre 10 en juillet), taux de reproduction (supérieur à 1), taux de positivité des tests (5 sur 100 contre 1 au début de l’été). Donc un discours quelque peu anxiogène mais pas nécessairement exceptionnellement lisible.

Sur la plan opérationnel, les pouvoirs publics semblent se limiter d’après leur communication à des objectifs très simples : la stratégie de volume sur les tests (1,2 millions de tests hebdomadaires) a succédé a la volonté d’éviter que le système hospitalier ne tombe ce qui était de fait l’objectif principal lors de la flambée printanière de la contamination.

Ces objectifs simples (au moins au niveau de leur présentation médiatique) n’empêchent pas la poursuite d’importantes difficultés logistiques : la lenteur dans la fourniture des résultats des tests ne peut pas contribuer à des protocoles efficaces concernant les personnes contaminées et leur entourage. D’où la stratégie de priorisation évoquée hier pour certains publics et l’accent mis sur les nouveaux tests (antigéniques). Par ailleurs il apparait clairement que le succès n’est pas au rendez-vous en ce qui concerne le déploiement de l’application stop-covid et sa contribution à la gestion de la crise.

On verra ce qui se passe par la suite puisque Olivier Véran est appelé à s’exprimer chaque semaine…

Guy-André Pelouze : Comme le laissait présager la courbe exponentielle des nouveaux cas, l’accélération estivale de la transmission est en train de remplir les services Covid des hôpitaux et même les réanimations là où l’activité virale est la plus intense. Les nouveaux cas n’étaient pas “des jeunes asymptomatiques traversant la pandémie en chantant” mais bien une population entière dont l’âge moyen est plus jeune. Non il ne s’agit pas, non plus, d’un complot visant à faire peur à la population et ainsi à mieux la maîtriser ou la vacciner. La réalité est une résurgence forte dont j’ai décrit les facteurs ici même. La durée estimée des mesures, leur intensité à venir est inconnue. Le gouvernement annonce de nouvelles intentions qui vont dans le bon sens. Différencier le confinement, être sélectif, flexible et réactif, se concentrer sur les résultats. Ces intentions, contrairement à ce qu’a affirmé le ministre sont différentes de ce qui prévalait en matière de stratégie. Mais la doctrine est sans intérêt sans l’opérationnel. Et là c’est loin d’être à la hauteur. L’opérationnel de la lutte contre la transmission ne fait pas la une des journaux mais nous ne pouvons compter que sur ses succès pour sortir des résurgences avec une mortalité faible. Car c’est la deuxième balle pour le gouvernement, dans un match incertain. La première a été gâchée comme on le sait. Il faut réussir proprement la seconde sans clamer que nous sommes les meilleurs. Il est vain d’annoncer que nous serions le pays qui teste le plus. Le test est un moyen. Soyons précis, si une population est testée à 100% et que les isolements des cas positifs ne sont pas faits immédiatement la transmission virale n’est pas affectée. Le test ne protège personne. Le test positif dans la poche suivi d’un comportement inchangé c’est à coup sûr un coup d’épée dans l’eau. Voyons quelques ratés persistants de l’organisationnel:

- Tracer et isoler cela ne se fait pas avec du phoning. Les brigades sont en panne car les ARS ne sont pas des administrations conçues pour ce faire. Elles ne servent en réalité à rien et depuis le début. Or tester sans tracer ni isoler c’est une perte de temps, sans parler du coût. Le temps est notre ennemi. Nous attendons deux marqueurs de l’action du gouvernement: le % de traçage des contacts et le % des isolements contrôlés.

- Le résultat d’un test remboursé par l’assurance maladie doit être transmis aux brigades pour le traçage et l’isolement. Le gouvernement ne veut pas utiliser cette mesure simple et tout commence par là.

- La mauvaise idée de donner un gage de 2000 emplois aux syndicats d’une administration pléthorique ne va rien arranger. C’est une organisation sans faille près du terrain qui fait défaut. Cela ne peut être que l’exécutif régional.

- Il est regrettable que, lors de la conférence de presse, aucun journaliste présent n’ait posé la question des frontières. Là ce n’est pas un cafouillage c’est simplement que le gouvernement ne veut pas agir. Or c’est une source de l’accélération de la transmission. Par ailleurs c’est un mauvais signal adressé aux Français qui demande de l’équité dans les contraintes. 

- L’action de contrainte doit être la plus sélective et différenciée possible. Dans les grandes villes il faut aller chercher les foyers dans les arrondissements et encore plus finement là où les tests positifs se concentrent (d’où la nécessité de l’adressage automatique des résultats des tests aux brigades). Toute tentation de renoncer aux actions les plus ciblées aura deux conséquences: l’inefficacité et la pénalité économique. Or c’est possible.

Il reste donc à maîtriser la transmission du virus là où elle se produit. Dans ce contexte il faut rappeler que les Maires en voulant trop contraindre à l’extérieur négligent le contrôle strict à l’intérieur. L’observation de la vie urbaine le confirme, il y a beaucoup à faire dans tous les espaces clos ou semi-clos.

Le ministre fait appel à la responsabilité des Français tout en leur rappelant de prendre soin de respecter les semaines d'isolement et de rendre le moins possible visite aux proches en EHPAD. Les Français peuvent se sentir perdus… puisque le gouvernement donne une impression d'impuissance. Qu'en pensent les soignants?

Charles Reviens : Il est tout à fait évident que la mise en œuvre effective des consignes et des recommandations des pouvoirs publics par le grand publics et l’écosystème médicale contribue de façon critique à la maîtrise des risques. C’est un peu la « voluntary compliance » (fait que les gens acceptent d’eux-mêmes certaines attitudes et comportement). C’est cette configuration qui permet aujourd’hui à la Suède d’avoir des résultats sanitaires désormais solides tout en ayant retenu une stratégie originale et risquée de limitation maximale des dispositifs de confinement depuis le début de la crise.

Mais pour que le fonctionne, deux préalables sont indispensables. Il faut d’abord tenir compte réellement et sincèrement des spécificités anthropologiques de chaque nation. En ce qui concerne la France et les français, il faut rappeler le contexte tout à fait spécifique de défiance vis-à-vis de la plupart des institutions – et donc l’Etat – bien documenté dans l’essai économique « la société de défiance » de Cahuc/Algan/Zylberberg de 2007.

Par ailleurs, le contenu et la nature de la communication sont importants et il est assez clair que la communication gouvernementale dans la phase amont de la crise n’a pas aidé en matière de crédibilité (disponibilité et utilité des masques). Hier Olivier Véran a donné de nouvelles recommandations concernant la limitation des visites en EHPAD et des rassemblements sociaux et familiaux. Au-delà de ces recommandations précises, il est essentiel de garantir la lisibilité et la cohérence de la parole publique, car « les Français sont intelligents et ont du bon sens » (Jacque Delors), d’où la nécessité absolue de renforcer une confiance du grand public qui est tout sauf acquise et évidente en France.

Guy-André Pelouze : Les Français doivent d’abord continuer à être, comme ils le sont dans leur grande majorité, responsables et adopter des comportements appropriés à leur niveau de risque. En effet la cacophonie des pseudo-experts qui sèment le doute et la confusion ne doit pas les abuser. Ce sont eux ou leurs proches qui vont payer les conséquences de cette épidémie. Et la réponse de l’état en France se solde par un nombre de morts beaucoup trop élevé et une chute du PIB préoccupante dans un pays aussi endetté. Le gouvernement n’est pas impuissant. Il a toutes les manettes car le pays est hypercentralisé et la Constitution ne lui ménage pas les pouvoirs. Simplement le déconfinement a été assez médiocre dans ses modalités opérationnelles (cf supra) et ne l’oublions pas nous avons beaucoup de plages qui sont un lieu de destination prisé même si le flux touristique de l’étranger a été réduit. Il suffit de regarder le film de l’augmentation des cas positifs du point de vue géographique. Mobilité, relâchement des protections individuelles, faible taux de traçage et d’isolement voilà un cocktail qui permet au virus de se transmettre d’humain à humain plus fréquemment et plus vite. Du point de vue médical cela signifie, plus de cas, plus de cas symptomatiques et plus d’hospitalisations. Sur le plan de la morbi-mortalité la typologie de la population touchée permet d’espérer moins de morts mais plus de soins à dispenser à des patients ayant des Covid-19 symptomatiques. Bien sûr il faut rappeler que pour être malade il faut avoir été contaminé et que du temps s’écoule pendant lequel le virus se multiplie. Donc comme dans la phase sporadique les hospitalisations se produisent de manière retardée. Si le flux de patients nécessitant une réanimation augmente nous approcherons à nouveau des limites en lits (il est très peu probable que les paramètres soient radicalement modifiés) même si la mortalité en réanimation s’est effondrée fort heureusement. Dans ce contexte ceux qui doutaient de la réalité de la menace résurgente ne s‘excusent même pas de leur stupidité dangereuse. Nous sommes habitués depuis le début de l’année et de la pandémie à leur déni itératif.

Il semble évident de faire appel au bon sens des Français. Toutefois avec la territorialisation des mesures, ne risque t-on pas là encore de perdre l'attention de la population qui ne sait plus où elle en est, par exemple à propos des gestes barrières à respecter?

Charles Reviens : Olivier Véran a rappelé hier l’évidence de la différentiation des situations suivant les territoires ; le seuil d'alerte de 50 cas pour 100 000 habitants par semaine est dépassé dans des zones particulièrement touchées de Marseille (6 fois le seuil), de la Guadeloupe (5 fois le seuil), de Lyon et Bordeaux (4 fois le seuil) ou de Paris (2 fois le seuil). Des mesures différenciées sont déjà en place et de nouvelles sont à prévoir et le couple préfet (donc l’Etat)-maire est de nouveau mis à l’honneur.
Toutefois la gestion différenciée sur les territoires n’est pas vraiment dans l’ADN jacobin de l’Etat en France qui reste – et de loin – le grand pays européen le plus centralisé. L’écart est considérable avec l’Allemagne et encore plus la Suisse. Là encore il faut trouver un chemin permettant le gouvernement efficace entre la tradition étatique et le traitement des situations locales particulières.

Guy-André Pelouze : Franchement les décisions de contrainte guidées par la géographie et l'épidémiologie sont au contraire de nature à faire comprendre que nous pouvons agir intelligemment. Après le virus, le temps qui passe, le danger c’est le confinement indifférencié généralisé. Je l’ai écrit dès le début de la pandémie car c’est une mesure qui n’est que la conséquence d’un échec. Il n’est pas question de recommencer mais si nous laissons l’épidémie à son histoire naturelle nous aurons beaucoup plus de morts. La Suède est à 580 décès par million d’habitants et l’Allemagne à 111/million. Les Vikings ont tout faux mais cela ne fera pas changer d’avis les thuriféraires de la “herd immunity”; une théorie de médecine vétérinaire qui marche pour le rhume. Même Buzyn et Véran ont fait mieux que la Suède. Donc il faut le répéter seule une organisation sans faille va limiter la casse humaine et le chaos économique. L’option de la contamination volontaire n’est même pas valable pour les “jeunes”. Car certains pour des raisons multiples qui dépassent le cadre de cet entretien vont avoir des symptômes impactant leur capacité à travailler. À la fois du point de vue de la population mais aussi des formes cliniques de la Covid-19 il faut penser complexité, échelle de gris et non pas opposition binaire entre ceux qui ne risqueraient rien et d’autres qui “devaient mourir”. Ce cynisme qui est un renoncement à la rationalité fait encore beaucoup de dégâts dans notre pays. Contrairement à ce que professent avec brutalité ces cyniques il n’y a pas d’opposition entre d’un côté l’atteinte du virus quoi qu’il en coûte et de l’autre la misère économique. Choisir entre les deux c’est s’engager dans une voie où les deux se produiront. Et pour répondre directement à votre question, la protection personnelle vis à vis de la transmission est et sera essentielle tant que nous n’aurons pas de vaccin et/ou d’antiviral efficace. S’éloigner, ne pas se rendre dans des endroits où cet éloignement interpersonnel est impossible, ne pas se rendre dans des endroits clos a fortiori si la ventilation est faible ou bien s’il existe un système d’air conditionné, porter un masque et suivre les progrès sur les masques en particulier si on est immuno-fragile, renforcer son immunité à l’approche de l’automne voilà qui me parait très solidement basé sur des preuves. La pandémie a fait au moins 30 millions de cas et presque 1 million de morts identifiés dans le monde. C’est un fait. Ce qui en réalité handicape ce gouvernement c’est qu’il a peu de résultats à son actif en matière de gouvernance politique (dette, croissance, sécurité). Or dans la pandémie les résultats ne peuvent être renvoyés au prochain quinquennat ou aux générations futures, c’est tout de suite.

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