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Coronavirus : qui va payer la facture ?
©ludovic MARIN / POOL / AFP

Coût du confinement

La crise sanitaire du coronavirus a généré un coût astronomique et provoqué une crise économique majeure. Qui va réellement payer les conséquences de cette crise sur le plan financier ? Les ménages et les entreprises vont-ils connaître une inflation record ou une augmentation des impôts ?

Mathieu  Mucherie

Mathieu Mucherie

Mathieu Mucherie est économiste de marché à Paris, et s'exprime ici à titre personnel.

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Jour de déconfinement, et jour du début de présentation de la facture. Qui va payer, impossible d’éviter la question, elle est dans toutes les bouches, et tout le monde s’en délecte, chaque citoyen-contribuable-téléspectateur a bien conscience que de nombreux droits et salaires ont été accordés en échange d’une non-production radicale (voir nos précédents articles dans ces colonnes…), et que, faute de croissance, les déficits d’aujourd’hui feront les impôts de demain ; à partir de là, on se persuade vite que cette sacrée facture sera pour le voisin (près de 90% des français affirment dans les sondages qu’ils conduisent « mieux que la moyenne »), ou du moins qu’elle devrait lui être adressée.

Notons en guise de préambule que nous sommes là en plein réflexe Léniniste (« à qui cela profite ? »), typique d’une société mesquine et sûrement en fin de course. Je ne sais plus où, René Girard écrivait que dans l’URSS du début de Gorbatchev quand un brise-glace coulait dans les eaux de l’Arctique, la première question qui était posée était à qui la faute ?, une attitude trumpienne et cargo-cultiste, au fond sacrificielle, peu compatible à long terme avec une bonne incorporation du progrès technique. C’était le début de la fin. Face à une crise économique liée à un choc radicalement exogène, où il n’y a pas de coupable et où le risque d’aléa moral est infinitésimal (les gens ne vont pas s’injecter le coronavirus pour être subventionnés !), nous devrions réfléchir à une remise des dettes et, au moins, à la monétisation des déficits, facturés à 0% ; mais comme les boutiquiers de Francfort, les satrapes de Berlin et les gardiens du temple allemand de Karlsruhe décideront en toute indépendance avec eux-mêmes de ne pas appliquer aux autres européens la solution rationnelle et chrétienne qu’ils se sont appliqués à eux-mêmes (vers 2009 avec leurs banques régionales, et à d’autres moments de l’histoire), alors : qui va payer la facture ?    

A mon avis, si on sollicite l’histoire et l’analyse économique : les plus faibles, les moins mobiles et les plus ignorants.

Pour les premiers (CDD, intérimaires, AVS et autres statuts précaires, etc.), c’est une évidence, et il suffit de se souvenir de 2008. Dans notre société de castes, de diplômes-rentes et de réseaux, et où la dévaluation n’est pas une option car la BCE veille sur l’euro cher, les faibles représentent le seul volet de flexibilité du système face aux chocs, que ces chocs soient symétriques ou asymétriques, d’offre ou de demande, domestiques ou exogènes. Ils payeront, en fait ils ont déjà commencé. Et cela devrait durer une décennie, si tout se passe bien (comme avait osé le dire le patron de la Bundesbank, Jens Weidmann, en avril 2013 : « surmonter la crise et ses effets restera un défi dans la décennie qui vient »). Mais passons, leur sort n’intéresse personne, sinon nous aurions choisis un régime monétaire moins hostile à leurs intérêts, et nous n’aurions pas fait en sorte que notre marché du travail soit aussi hypocritement dual.

Ensuite, les moins mobiles. Ils font une bonne base taxable, bien fixe dans le stand de tir de Bercy. S’ils sont vieux, ils sont riches, mais en partie immunisés, car ils votent, et « votent bien », comme on dit. S’ils ont de l’immobilier, il ne serait pas illégitime de les faire payer un peu, car ils se sont beaucoup enrichis en dormant depuis l’introduction de l’euro, mais ce n’est qu’une opinion personnelle. Nos dirigeants seront plutôt tentés de faire les poches de l’assurance-vie, ce qui n’est pas une bonne idée, et surtout de balancer le gros du fardeau tantôt vers la masse inerte des travailleurs (« on » a crée 50 milliards de trou de la sécu en 7 semaines, les charges ne vont pas baisser ; d’autant qu’ils n’ont pas beaucoup râlé l’hiver dernier face à la spoliation de leurs retraites), tantôt vers leurs enfants. Business as usual.

Enfin, les ignorants. Le genre qui mise sur l’or, le Bitcoin et Virgin Galactic. Eux vont payer le prix fort : nombreux et désarmés, ils ne se rendent même pas compte. Le risque de se faire détrousser varie en fonction inverse de la connaissance ; pour ne prendre que quelques exemples, si vous croyez que l’introduction d’un impôt sur les vaches conduira à faire payer les vaches, ou si vous pensez comme un juriste que l’impôt sur les sociétés est payé in fine par les « sociétés », ou si vous approuvez le principe d’une taxation sur des produits chinois au motif implicite qu’elle sera payée par des chinois, alors vous êtes… concernés par ce paragraphe, vous êtes le « cœur de cible ».

Qui sont les plus pathétiquement ignorants dans notre pays ? Pas les entreprises, qui sont (à peu près) au courant de vivre dans un fantastique épisode de déflation. Crise anticipée est à moitié amortie. Les ménages, eux, vivent dans les paradis artificiels de l’illusion nominale, ils n’ont pas la moindre idée de ce qui se prépare, ils anticipent de l’inflation comme des moutons, et connaîtront le même destin, la tonte :          

Observez le léger décalage de la période récente…

On trouve de nombreuses explications dans la littérature académique au sujet de cette myopie à la déflation des agents économiques de base. Pour ne prendre qu’un exemple récent, au sujet des consommateurs, un article de Cavallo, Cruces et Perez-Truglia (AER juillet 2017) explore les données d’enquête qui révèlent que les gens sont assez bons pour se souvenir des prix des biens qu’ils viennent juste de payer, mais qu’interrogés sur des biens payés il y a un an ils répondent le plus souvent avec un prix bien plus bas que ce qu’ils avaient effectivement payé. Si les individus sous-estiment systématiquement les prix du passé, cela revient au fait qu’ils surestiment l’inflation sur la période. Nombreuses autres études sur le sujet, à toutes les époques et sous toutes les latitudes (dans les années 30, les lettres de protestation envoyées par le grand public vers les banques centrales concernaient l’inflation, pas la déflation). En ce moment, nos chers consommateurs constatent qu’il en coûte 5 euros pour un masque qui ne devrait pas dépasser 50 centimes, ils tablent sur l’inflation, alors que le fleuriste s’apprête à brader ses marchandises au coin de la rue. Un peu plus tard, ils découvriront que leur pricing power face à leur patron ne ressort pas vraiment grandi de cette crise, mais n’anticipons pas.

Les entreprises savent que la demande agrégée sera faible, le pouvoir d’achat comprimé, la demande mondiale hésitante, l’appui budgétaire et monétaire incertain et/ou en mode boomerang. Les entreprises vont serrer la vis, faire attention au cash, ne pas se lancer dans de vastes projets avant de réemployer à fond leurs capacités existantes. Lucides, ouvertes sur le monde et pas sur Le Monde, elles s’en sortiront, je l’espère. Les ménages confondent davantage inflation et prix relatifs, inflation et coût de l’essence, inflation et salaires. Ils sont un peu perdus, et désinformés. De plus, ils sont encore moins bien assurés contre les chocs macroéconomiques, et trop engagés/endettés dans de l’immobilier illiquide pour disposer de la moindre marge de manœuvre. A partir de maintenant, et au pire à partir de juin 2022, ils payeront, d’une façon ou d’une autre.   

Tout cela bien entendu dans le scénario probable où la monnaie n’est pas utilisée comme depuis 4000 ans pour apurer les créances, où on nous emmène loin de ce qu’il faudrait pour l’Italie et pour tout le monde : la dévaluation, ce nouveau départ, ce moment rooseveltien, ce retour à la vérité des prix après tous les faux prix crée par l’euro cher, cette façon de retrouver de l’attractivité, cette façon de revenir vers la cible d’inflation, cette façon d’avantager enfin l’entrepreneur sur le rentier.

A. Prate ne craignait pas de comparer le Franc à un arbre que l’on taille, empruntant au Bocage royal de Ronsard l’image du saule verdissant :

« Plus on le coupe et plus il est naissant

et rejetonne en branches davantage

prenant vigueur de son propre dommage ».

En termes moins lyriques, je dirais pour conclure que nous allons tous payer (mais certains seront plus égaux que d’autres devant la facture), pour une crise sans coupable, ce qui conduira très légitimement à s’agacer encore plus de ce gouvernement qui reste aussi monétairement aveugle et impuissant qu’il l’aura été épidémiologiquement.  

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