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Corée du Nord : pourquoi l’avantage pourrait bien être à Kim Jong-un
©JUNG Yeon-Je / AFP

Gagnant-gagnant ?

La réunion prévue en mai entre le leader Nord-Coréen Kim Jong-un et Donald Trump a été présentée comme une victoire pour le président américain qui aurait réussi à faire plier Pyongyang. Mais à y regarder de plus près, c'est plutôt l'inverse...

Juliette Morillot

Juliette Morillot

Juliette Morillot est journaliste, historienne et écrivaine spécialiste de la Corée du Nord et du Sud. Elle a publié aux éditions Robert Laffont "Le monde selon KimJong-un" coécrit avec Dorian Malovic.

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Atlantico : D'ici au mois de mai, Donald Trump devrait rencontrer Kim Jong Un. Le président américain affirme qu'un accord est en préparation" et pour Mike Pence cette rencontre bilatérale est "la preuve que la stratégie d'isolement du président Trump fonctionne". Que pensez-vous de la situation actuelle et des réactions comme celles de Mike Pence?

Juliette Morillot : C'est aller très vite en besogne. La feuille de route d'un accord et des discussions va être très longue.  On verra  déjà ce que donne le sommet entre les leaders coréens et si Washington exigera des garanties de dénucléarisation avant une quelconque rencontre.

Ce qu'il faut voir, c'est quelle garantie de sécurité les uns et les autres vont donner. Je pense que la Corée du Nord est sincère dans sa volonté de dialogue car elle obtient ce qu'elle a toujours voulu obtenir, c’est-à-dire des négociations bilatérales. Mais rien ne dit qu'il ressortira quelque chose de ces discussions si elles ont lieu. Là où le bât blesse, c'est la petite phrase qui figurait dans les déclarations de Kim Jong-un lorsqu'il disait que la dénucléarisation ne sera envisageable que si "toutes les conditions de sécurité sont réunies". La question est de savoir à quel moment la Corée du Nord, même si elle est sincère, va juger que les conditions que lui présentent les Etats-Unis sont suffisantes. Car, in fine, ce que veut Pyongyang, c'est le départ des troupes américaines de la péninsule coréenne. Ce qui, bien sûr, est impensable côté américain par rapport à la montée de la puissance chinoise.

Même si la Corée du Nord peut accepter qu'il y ait des manœuvres conjointes entre Washington et Séoul, ce ne sera pas toujours le cas. Ces manœuvres sont aussi considérées comme des exercices de guerre agressive contre le Nord  ("Bukchimjeonjaengyeonseup"). Cela fait partie des objectifs de la Corée du Nord de stopper ces manœuvres et on voit bien que les intérêts divergent, ce qui sera certainement un frein aux négociations.

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La presse a présenté cette rencontre comme la réussite de la politique de Donald Trump. N'est-ce pas là faire une mauvaise interprétation de la situation ?

Je ne pense pas que ces annonces soient une victoire de Donald Trump. Cette manœuvre ne sera un succès pour le président américain uniquement si à l'issue de ces négociations la Corée du Nord commence à dénucléariser et que la situation s'apaise à long terme. Dans ce cas hautement improbable, cela aura mieux marché que la patience stratégique de Barack Obama.

Donald Trump, en acceptant spontanément la proposition de Kim Jong-un, a dû froisser son entourage en rompant la tradition américaine. D'autant plus qu'en acceptant cette proposition il franchit lui-même la ligne rouge qu'il avait imposé qui était celle du "pas de négociations avant dénucléarisation". Il accepte là tacitement la nucléarisation du pays et reconnaît tacitement le pouvoir en place. Il s'est avancé très vite et peut-être qu'il devra faire machine arrière en demandant des preuves de démarrage de dénucléarisation  (je ne vois pas comment c'est possible en si peu de temps).

Mais au final c'est bien Kim Jong-un qui se taille un costume d'homme d'Etat à la fois d'un point de vue intérieur et d'un point de vue international.

D'un point de vue intérieur d'abord, il a finalisé son programme nucléaire et son programme balistique (même si on peut toujours argumenter sur ce point mais si ce n'est pas fait aujourd'hui cela sera fait bientôt). Vis-à-vis de son peuple il a démontré ses aptitudes à combattre "l'impérialisme américain" et sa capacité à le protéger. Si l'on prend en compte la propagande en Corée du Nord et que les Nord-Coréens  se sentent sous menace permanente américaine. Trump en gesticulant pendant la crise a finalement apporté de l'eau au moulin du régime plus qu'autre chose. Après quand Kim Jong-un a tendu la main à la Corée du Sud puis aux Etats-Unis, il est apparu comme un "homme de paix".

D'un point de vue international la stratégie du leader fonctionne également. Maintenant qu'il est fort de l'arme nucléaire et a une réelle capacité d'autodéfense ("Jawi"). Il peut se permettre de mener la danse d'un point de vue diplomatique. Et il ne faut pas imaginer que les diplomates Nord-Coréens ne sont pas au niveau. Donald Trump aura le plus grand mal à trouver des négociateurs aptes à reprendre la main dans ce dossier.

On voit bien là que c'est une victoire de Kim Jong-un et non pas de Donald Trump, qu'importe ce qu'en dit Mike Pence

Au final est-ce que Trump dans cette affaire n'est pas condamné à endosser le mauvais rôle ?

Du point de vue des Nord-Coréens, bien évidemment. L'échec probable des négociations sera certainement réutilisé par la propagande. Trump va certainement être pointé du doigt de son côté aux Etats-Unis, certainement par les républicains qui diront "qu'il ne fallait pas dialoguer", et risque d'apparaître comme celui qui aura échoué à négocier alors que la main était tendue.

A mon sens le leader Nord-Coréen est gagnant sur tous les plans. Cela n'en aurait pas été ainsi si Donald Trump, au moment des premières tensions en 2017 avait pris l'initiative de la visite au lieu de se perdre en lignes rouges (qu'il franchira par la suite). Il aurait eu la marge de manœuvre nécessaire pour renverser la situation que l'on connaît aujourd'hui. Aujourd'hui, c'est la Corée du Nord qui a tendu la main et Donald Trump qui se retrouve en bien mauvaise position.

Propos recueillis par Nicolas Quénel

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